Jeu de vilain

petisaintleu

Depuis trois ans, avec Célestin, je retrouve mon âme d'enfant. À vrai dire j'avais conservé quelques parcelles de puérilité. Je n'ai jamais pu concéder à abandonner de jouer aux dames. Je suis donc devenu depuis des lunes un expert en la matière. Je me suis également remis de manière intensive au mikado. Non pas que c'est devenu une petite faiblesse qui me perdra mais il m'a permis d'acquérir un doigté incomparable. Je suis ainsi quasiment certain de pouvoir jouer au docteur Maboul sans trop avoir à craindre les échecs.

Sur cette lancée, tout de go et par effet domino, je me suis également remis au jeu de dada. Vous me direz peut-être de faire attention, que je suis sur le point de dépasser les milles bornes. Je tiens à relativiser. Je ne franchirai jamais les frontières de l'indécence, au point de me lancer sur un cochon qui rit ou sur un nain jaune. Quitte à choisir, je préfère le solitaire. Mon fils est encore trop jeune pour comprendre le Taboo et ses mots interdits.

Il est fort dommage que Karen, de par ses origines philippines, ait toujours refusé de lui apprendre la manille. Elle veut garder toutes les cartes en main qui lui permettent de rester maître de son jeu. Et ne compter par sur elle pour biaiser ou pour piper les dés. Mais, je vous rassure. Elle possède d'autres atouts qui nous évite la bataille et pour remettre sur le tapis de triviales poursuites dans l'alcôve. Ah oui, je vous connais, vous voilà pendus à ma chronique, dans l'espoir que je vous sorte toute la tambouille de mon intimité.

Désolé, ne comptez pas sur moi pour que je vous explique comme je joue à la dînette ou au marchand des quatre saisons. Je ne prendrai pas le Risk de jouer nos destins par le biais de mes révélations. La vie n'est pas un jeu de Monopoly pour  la jouer à la roulette russe et pour l'hypothéquer comme je le ferai avec la rue de Belleville ou avec la gare de Lyon. Elle est bien assez casse-tête pour ne pas se la compliquer et pour ne pas avoir à affronter les diatribes d'un lapin crétin qui jalouserait très certainement de pas être à la puissance 4 de mon esprit.

Revenons aux classiques pour ne pas atteindre le fond. Une bataille navale est toujours la bienvenue, bien que le fiston n'ait pas encore compris que perdre faisait aussi partie des règles. Je dois faire preuve de beaucoup de tactique pour être certain que mon bonhomme fasse couler sans coup férir mon destroyer et mon porte-avions. Au jeu des sept familles, je m'arrange pour lui faire deviner mes cartes ou pour les laisser traîner, l'air de rien. Il me fait rire à friser le torticolis pour les mater dès que je feins de ne pas faire attention. Je m'étonne alors qu'il m'annonce fièrement et dans la minute qui suit qu'il voudrait dans la famille de la jungle le perroquet et dans celle des animaux domestiques le chien.

Pour se justifier, je suis bon pour qu'il me ressorte son coffret de magie. J'ai le droit à de biens touchants et maladroits numéros. Je prends alors la posture du faux énervé de ne pas comprendre comment il a pu faire disparaître la figurine en mousse, alors qu'elle dépasse d'une bonne tête d'entre son majeur et son index. Je lui dis d'aller jouer aux billes avec ses crottes de nez.

Franchement, j'ai hâte qu'il ait dix ans. Déjà parce qu'alors Adélie en aura quatre. Elle pourra se joindre à nous sans qu'elle envoie bouler d'un revers de la main les pièces. Je n'aurai pas à  lui ouvrir d'urgence la bouche avec l'angoisse qu'elle en ait avalée une alors que j'avais le dos tourné. Elle ne renversera plus le biberon en se marrant sur le jeu de l'oie tandis que son aîné cacarde de rage.

Surtout, je pourrai acheter tous les jeux dont je rêvais quand j'étais gamin. Je serai l'inspecteur Moutarde avec le chandelier dans la cuisine ou je pourrai lancer des dés polyédriques dans l'espoir d'occire un orque et de gagner des points de force.

Ces dames le savaient déjà. À ces messieurs d'en être désormais informés. Je suis joueur et ce n'est pas prêt de se terminer.

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