Journal intime
Colette Bonnet Seigue
Ce 10 mai 1942
Où est-il en ce moment, dort-il ou pas ? Cette nuit comme les autres, le sommeil est en jachère. Lui, si loin et moi, petite chose sans importance, je rumine son absence qui me pèse tant.
Aujourd'hui, le printemps est partout jusqu'aux ailes- dentelles des papillons tout juste sortis de leur chrysalide. La fête est au dehors, mais pas dans mon cœur de Pénélope qui attend le retour de son guerrier.
Mon pauvre journal, combien je t'agace avec mes sollicitudes et mon déversoir de mots alambiqués, attendant de toi des réponses muettes à mon désespoir. Pourtant s'étendre sur tes pages à petits pas menus ou, en Chat Botté, c'est s'allonger langoureusement sur ce blanc-seing qui nous unit. Son odeur, son souffle, son pas, confiés à ton vélin, le bruissement des feuillets bavards, l'onde mystérieuse d'un fil de plume larmoyant et la magie s'infiltre en encre bleue. Comme celle de ses yeux, mon Edmond soldat qui respire en mon être dans l'impatient espoir de sécession.
Cette nuit est sans lune. Demain peut-être…
12 mai
Sais-tu que j'ai dormi comme un bébé cette nuit ! Mais le jour, ah ! Le jour ! Il faut faire comme si, sans sa présence.
Pas même un petit mot, un tout petit mot écrit à la sauvette en coin de lettre. M'a-t-il écrit ? Demain peut-être… Je sais, il écrit dans sa tête. Il me l'a dit souvent. Il sait si bien écrire mon regard, mes sourires, son amour. Alors tu vois, ça n'a pas de prix !
Mais moi, j'ai besoin de tacher sur tes pages, en ribambelle, tous ces mots manquants pour ne pas les oublier à son retour. A son retour, tu verras, je ferai chanter ma plume ! Tu seras ma partition, mon arpège, mes bémols. Mais chut ! Cette lyrique orchestration, c'est entre nous n'est-ce-pas ? Simplement, garde bien au chaud, dans un creux de page tous ces sentiments qui encombrent mon cœur submergé.
Tu m'aideras, dit ! Tu m'aideras un jour à les lui offrir ?
13 mai
Jour vide, sans soleil, sans mémoire. Juste en flottement de draps, cette impression d'inexistence. Je garde le lit bien au chaud pour son retour…
16 mai
La radio du matin annonce une avance du front allemand. Toujours pas de nouvelles de mon Edmond.
Je parle Edmond, je respire, je mange, je m'endors Edmond…
Mais grand Dieu ! Ou est-il aujourd'hui ?
16 juin
Oui, je sais, je t'ai fait une infidélité. Voilà un mois que je ne suis venu à notre RV quotidien. Le manque de courage sans doute. Tout ça, c'est la faute de cette sale guerre ! Alors, j'avais plus envie de toi, plus d'idées plus rien pour crier mes peurs collées à ma gorge. Encore ce vide tenace, ce silence figé à ma solitude !
Jusqu'à quel point l'amour peut attendre ? Dis, répond !!!
10 juillet
Après ce vague à l'âme, c'est le rush des enfants en vacances. Drôles de vacances en état de guerre. Mais, les enfants ça rit, ça bouge, ça espère et ça fait du bien.
Camille a plongé dans la mare aux canards des voisins, Heureusement, Léon était là ! Quelle histoire !
J'ai cueilli de délicieuses pêches au verger aujourd'hui. Il fait une chaleur étouffante !
Babet est malade. Comme moi, elle attend son Gontran guerrier. La pauvre, elle me fait peine, elle n'arrive pas à surmonter sa solitude.
Moi, j'y arrive un peu, mais pas tout à fait…
Septembre 1942
La brume s'étale dans le vallon et s'incruste à ma chair. J'ai froid…Je tremble…
Dans notre chambre mon doigt dessine sur le carreau embué, deux cœurs cassés :
« Edmond et Adeline »
Mes larmes dégoulinent jusqu'au feu de la terre.
Edmond est mort hier matin…
c'est une chose si triste d'attendre en vain, mais c'est encore plus triste de devoir y renoncer :'
· Il y a presque 8 ans ·sortilege
Une correspondance terriblement belle...
· Il y a presque 8 ans ·Tête De Plume
Merci Ludivine
· Il y a presque 8 ans ·Colette Bonnet Seigue
C'est tout simplement superbe cette correspondance, très forte, de plus, quand on pense à toutes ces femmes qui attendaient ainsi le retour de l'aimé, vraiment tu excelles Colette, émouvant à l’extrême ! aussi foi d'Eponine CHAPEAU A RAS DE TERRE pour la pertinence de ton correspondance ! bravooo ! bisous et douce soirée loin de cette terre ensanglantée ! à bientôt et merciii parce qu'il ne faut jamais oublier !
· Il y a environ 8 ans ·Christine Millot Conte
Merci Christine pour ce gentil commentaire. Bises
· Il y a environ 8 ans ·Colette Bonnet Seigue
c'est une triste réalité...kissous
· Il y a environ 8 ans ·Vivi Sonneville
Je pense aussi à tous ces combattants au Moyen-Orient et à leurs femmes.
· Il y a environ 8 ans ·Colette Bonnet Seigue
Magnifique texte, où l'on ressent la peine dans l'attente. L'on pourrait presque dire : c'est merveilleusement triste !
· Il y a environ 8 ans ·Touchante et belle vidéo qui accompagne bien ton récit !
Louve
Mille mercis à toi pour ce gentil Commentaire qui m'a touchée!
· Il y a environ 8 ans ·Colette Bonnet Seigue
Très chouette colette.
· Il y a environ 8 ans ·j'aime cette douce idée de faire chanter une plume...
Frédéric Cogno
Merci Frédéric. Bisous.
· Il y a environ 8 ans ·Colette Bonnet Seigue
Un journal qui bouscule Colette ...
· Il y a environ 8 ans ·marielesmots
Merci Marie. Combien d'Adeline parmi toutes ces femmes qui attendaient un fils ou un mari soldat!
· Il y a environ 8 ans ·Colette Bonnet Seigue
Très émouvant journal intime qui rappelle tant d'émotions...
· Il y a environ 8 ans ·Gros bisous Colette.
nilo
Merci Nicole. Bisous.
· Il y a presque 8 ans ·Colette Bonnet Seigue