J't comprends pas

« J't comprends pas »

Inlassablement, on lui inflige ces mêmes maux. Son entourage semble s'être rassemblé, il semble s'être accordé afin de lui répéter cette tenace rengaine. Mais que peut-elle répondre ?

Elle non plus, ne comprend pas. Elle n'en sait strictement rien. Elle ignore pourquoi, pourquoi, elle est comme ça. Alors que peut-elle leur dire ? Que peut-elle leur servir comme réponse ?

Rien, elle répond, qu'elle ne sait pas. Car c'est la vérité… Mais ce n'est pas la bonne réponse.

Les gens s'énervent, ils renâclent, tapent du pieds. Leurs yeux la toisent, la dévisagent. L'incompréhension peignant leurs traits. Abasourdis par une telle réponse, ils témoignent leurs mécontentements.

Ils lui répondent que ça ne suffit pas, qu'elle ne peut pas passer sa vie à se cacher. Que dans la vie, il faut agir, que cela ne sert à rien de se complaire dans son malheur. Qu'elle ment, et surtout qu'elle se leurre.

Oui, elle fera des erreurs, mais il faut qu'elle arrête d'en avoir peur. On n'en fait tous. Mais on n'en meurt pas.

A son tour, d'être dubitative. Elle a envie de rire… Ou de pleurer. Tout dépend son humeur. Parfois, elle aurait envie de leur hurler sa haine tant leurs phrases la blessent. Elle voudrait les maudire, pour ces futiles paroles qu'ils lui claironnent.

Mais le pire, c'est qu'ils pensent l'aider. Ils pensent que leurs mots vont la secouer, la réveiller.

Mais ça ne marche pas comme ça. Pas chez elle en tout cas.  Cela fonctionne peut-être pour les autres, mais pour elle, ces bavardages sont inutiles.

Elle, elle en souffre.

Quand ils lui assènent ces discours, elle se replie. Elle devient minuscule. Elle reçoit les coups cinglants, ses mots dégoulinant de confitures s'étalent sur son visage et s'impriment sur sa peau. Ses dents grincent, tandis que leurs mots semblent lui ronger les os. Elle ne retient que ce qu'il lui servira pour se faire du mal…

C'est inévitable.

Lorsqu'on lui dit, qu'elle doit agir, qu'elle se cache, qu'elle se ment. Elle entend, qu'elle ne fait pas bien les choses, qu'elle n'agit pas comme tout le monde, qu'elle se complait dans son malheur. Et qu'elle le mérite plus que tout. Elle comprend alors qu'elle n'est qu'une mauvaise fille, qu'elle finira dans le caniveau… Ou dans un fossé, son corps depuis longtemps dévoré par des carnassiers aux dents acérées.

Lorsqu'on lui dit qu'elle a le droit de faire des erreurs, que l'échec permet d'avancer, que l'on doit tous en essuyer. 

Elle. Elle a envie de rire. D'un rire sans joie, d'un rire cynique car elle ne pense pas comme eux. Car une petite voix dans sa tête lui tient un autre discours.

Elle entend qu'elle n'est pas à la hauteur, qu'elle ne réussira jamais à atteindre ses objectifs. Elle entend que l'échec est insurmontable, qu'il n'est pas envisageable. Qu'elle est déjà à elle seule, un échec ambulant… Alors, elle ne doit pas faiblir. De toute façon, perdre la paralyse. La peur lui enserre le cœur, et l'empêche d'agir. Et c'est déjà un échec en soi, n'est ce pas ? Alors à quoi bon lutter ?

Elle ne sait pas. Elle ne sait plus. Et elle ne veut pas savoir.

La vérité la terrifie. Les mots l'effraient et la passionnent. Les mots sont des armes qu'elle pense pouvoir maitriser. Les mots sont supposés être ses alliés… Pourtant lors de ces morales sans fin, ces petits soldats se liguent contre elle. Ils la poignardent.

Elle reçoit la trahison, elle accuse les coups. Patiemment, tandis que le tonnerre gronde dans son ventre, tandis que sa bouche s'assèche, que ses yeux s'inondent.

« J't comprends pas, explique moi. Explique moi ce qui ne va pas. Pourquoi tu n'bouges pas les choses, pourquoi tu n'agis pas ? Pourquoi tu t'enfermes comme ça ? Tu t'fous de tout c'est ça ? »

A nouveau, ils la questionnent. Ils s'interrogent, ils exigent des réponses. Et c'est leurs droits, elle le sait.

Néanmoins, elle ne sait quoi leur dire, quoi leur répliquer. Tout ne serait que futilités, que mensonges exacerbés. Alors, elle répond qu'elle ne sait pas. Elle ne sait vraiment pas pourquoi.

Promis, elle ne ment pas.

Elle ignore réellement pourquoi tout dans sa vie fonctionne ainsi, pourquoi elle ne parvient pas à se détacher de sa noirceur. Elle aimerait avoir une réponse à formuler, un alibi à donner pour se justifier.

Mais, elle ne possède rien de tout cela. Car elle même ne se comprend pas. Alors comment pourrait-elle, leur expliquer quelque chose qu'elle ne connaît pas ?

« Je sais pas »

Trois mots. Trois syllabes. Une phrase si simple à dire pour les autres. Une phrase dite lâche et facile par les autres, mais qui ne l'est pourtant pas pour elle.

Oui, lorsqu'elle prononce ces trois petits mots… Elle se perd un peu plus. Elle s'enfonce un peu plus dans son trou, elle sombre dans une nuit irréelle… Et tout à fait éternelle.

Tandis, qu'ils attendent tels des rapaces, affamés. Ils quémandent la vérité, la sincérité… Ils demandent des faits, des actes. Mais, elle se trouve incapable de se justifier.

Elle aussi, elle aimerait comprendre. Elle aimerait se comprendre. Mais, c'est impossible.

Pourquoi elle ? Pourquoi n'arrive t'elle pas à être heureuse ? Elle aimerait savoir, elle aussi. Pourquoi son ventre se tord à l'idée d'agir ? Pourquoi serait-elle moins capable qu'un autre de vivre, de s'épanouir, de réussir et d'échouer ? Sans pour autant se sentir paralysée… Et vouloir par la suite, se jeter dans un fossé.

Elle devrait être capable de satisfaire leurs appétits voraces. Elle sait leurs demandes légitimes… Pourtant, elle n'y peut rien. Les mots, les phrases demeurent bloqués dans sa gorge. Son cerveau fulmine, mais son âme se perd dans une valse embrumée. Elle ne parvient à dénicher aucune information.

Alors, elle redresse la tête, sa fidèle indolence s'imprimant sur son visage. Plongeant son regard vide dans leurs yeux assoiffés. 

Elle aimerait cessé de penser.

Son âme, enfermée à triple tour en son crâne. Cherchant à se protéger de leurs féroces assauts, elle leur livre son seul et ultime argument.

« Je ne sais pas. »