J'te dis

thib

Photographie Guillaume Bonnel.

                

J'vais t'dire le vrai. Là nu, comme ça. Comme si quelqu'un qu'on aime allait mourir et qu'il y avait soudainement un plus grand besoin de vérité. On ment toujours à tout, on peut mentir à tout. Sauf à la douleur. Alors voilà. Je ne sais pas de quoi j'ai mal.

               

Y a de nombreux exemples pourtant de gens qui ont souffert de joie. Est-ce que c'est ça, je n'en sais rien. Je ne me pose même pas la question. La seule chose, c'est que le vrai. Que le vrai soit nu. Sans formule, sans gants, sans autre chose. C'est pas une chose à réclamer, d'ailleurs, pas un aveu à te faire. C'est que je voudrais t'atteindre. Comme un matin, comme ça m'atteint, les petites choses que tu signes.

               

Le vrai c'est que je n'imaginais pas. On avance en soi, on déambule dans les rues, dans les secondes, et puis les villes et les années. On rencontre, ici, là, au fond, au bout, à droite et derrière. On fait le cadran dans tous les sens avec le vent. On se bâtit, on compulse, on découvre. Avec les habitudes, on cimente nos désirs. Y a le café à l'aube, l'ordre d'écrire, les regards reconnus, les baisers. On avance, on déambule. On s'habitue, on fume, on festoie, on apprend. On rencontre. C'est fait de rues, d'intersections, c'est fait de musiques et d'ombres. C'est un réseau. On déambule. Déambuler, oui, mais avec des poches. Découvertes, ciments et mots. On a beau lire. On s'attend pas. Va croire toi. Avec toutes ces choses inutiles qu'on t'empile sur la gueule, et les talons des autres qui t'aveuglent. J'ai cru, mais de cette façon labile, qui ne demande pas, et qui ne veut pas savoir. J'ai cru, mais c'était à peine pour me rassurer. Peut-être même que c'était pour me faire peur. Me dire que si, et si, alors et puis.

               

On est bâtis de jours qui se ressemblent et puis se fondent. Hommes de verre. Oh y a de bons moments. Les petits plaisirs, comme ils disent. Et parfois les petits plaisirs c'est tout ce qu'il reste. Mais souvent, ce ne sont que de petits plaisirs et c'est fini. J'avale pas que les petits plaisirs font de grandes joies. A mon avis c'est l'inverse. Mais c'est vrai qu'on prend tout à l'envers. Par exemple les gens pensent qu'ils doivent travailler en rétribution de leur salaire. Qu'il est normal d'être payé et ensuite, ensuite seulement on travaille en rapport. 


C'est pour ça que tout ce qu'il y avait de sain dans le travail a foutu le camp. Offre et demande. On ne dit pas : celui-ci gagne bien trop pour ce qu'il fait et celui-là pas assez, on dit : pourquoi je ne gagnerais pas plus moi aussi tout en faisant moins ? Et si je devenais à la fois bouffeur de cornichon et milliardaire tiens ? 


Offre et demande. Pour la joie c'est la même chose  : ce sont les douleurs qui nous la tendent et non l'inverse. Plus on souffre, moins on ment. Moins on donne, moins on reçoit. On n'entasse plus de récolte dans un grenier déjà rempli. Ça reste dehors et ça pourrit sur pied. Et plus c'est grand, la joie, quand elle se montre. Au moins la terre et les bêtes se nourrissent. Tant qu'on ne. Des mots. Je tronque.

               

Moi j'imaginais pas tout ça. On te farcit avec tellement de conneries aujourd'hui que les hommes de verre deviennent des pots à moutarde. Pourtant j'étais au fond comme tout le monde, je déambulais. Les rues, les chiffres, l'impatience et la résignation. Putain je me mentais tellement que je comprenais plus le sens. C'est ça quand tu vois pas plus loin que le bout d'ton cul. Y a qu'un seul sens. C'est le temps. Que tu veuilles ou non t'es pris dans le courant. C'est con d'y aller à l'aveuglette, à reculons, ou en attendant que ça s'arrête. Comme si le temps il en avait quelque chose à foutre. Tu lui mets une paire de lunettes, une jupette et un bonnet, ça reste le temps et puis c'est tout. On déambule, on consomme : les rencontres les rues la lumière les plaisirs les mensonges les mots et la misère. Vis le moment présent, t'as raison, fais comme si le temps était en miettes. Va capturer des pokémons tiens. Pendant que les sites de pédophilie prospèrent et qu'on enterre une foule à Nice. Vas-y, le monde. Le monde ira bien mieux quand on sera tous partis à la conquête d'un programme informatique.

               

J'vais t'dire. La vie, c'est pas si beau. Ceux qui la font passer pour du sucre filé se sont fait bourrer la gueule avec des raffineries. Et finalement, heureusement. Heureusement, chaque soir, je le dépense avec toi. C'est ça, le plus vrai. C'est de savoir que tu vas revenir, que tu vas passer la porte. C'est à n'y rien comprendre. Vraiment. C'est que ta peau, et puis ta voix, et puis tout, autour de toi, tout. La vie c'est pas si beau. Heureusement. Chaque matin, quand le sommeil se retire. Il te découvre à mes côtés. Le vrai c'est ça. C'est que je ne trouve pas les mots, et ils n'existeront jamais. A partir de toi je veux bien dire oui au monde. A partir de toi je sais qui je suis. Voilà le vrai. C'est pas beau. C'est pas bon ni juste ni beau. Des fois c'est douloureux, ça te prend au milieu du ventre comme un arbre qui s'écrase. Ou bien c'est difficile, parce que c'est l'autre versant de toutes ces petites choses, l'autre versant des rues, des rencontres, de la lune et du feu. Ce n'est plus croire, ni mentir. C'est savoir, même lorsqu'on se trompe. Faut pas penser que ça se fait toujours d'évidence. Savoir que la seule direction de tout, le seul sens, c'est le temps. Et que tu peux toujours le passer à fuir, à tricher, à faire ce que tu veux. Le temps s'en fout ; il est pareil. Tu sais toi t'as plus de substance que tous les langages réunis, c'est ça la vérité. T'es plus vraie ; tu débordes comme une maison, la maison comme un livre et le soleil dessus, comme un rêve ébloui. Je l'dis : tu prends l'espace au temps, et par amour, tu le lui rends. Et par amour, je te comprends. Tu nous libères et je te continue.

  • Le temps celui qui passe et nous change, quelque soit les chemins que l'on emprunte, avec des poches de plus en plus lourdes à porter... et un jour, un(e) autre croise notre route, et allège le fardeau de nos poches... le temps a passé et on peut laisser sur la route tous les mauvais souvenirs qui alourdissaient nos poches... pour les remplir de vérité, de vrai, d'amour...

    J'adore ta bande son...

    · Il y a plus de 8 ans ·
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    Maud Garnier

    • Moi aussi j'aime beaucoup les bandes sons :) Merci Maud. Toujours.

      · Il y a environ 8 ans ·
      Vie1

      thib

  • C'est souvent un autre monde qui fait basculer le sien. Et puis c"est mieux quand on se fait un peu secouer, on se retrouve tel qu'on est finalement. C'est pas juste un endroit pour apaiser ce sur quoi on a si peu d'emprise, c'est aussi une source pour continuer à affronter tout ça et sans fermer les yeux !

    · Il y a plus de 8 ans ·
    544717p1010362

    lilu

    • Y a pas de répit de toute façon hein ? Pas de bouton sortie, ni pause, et c'est comme ça. Se faire secouer, oui, ça a du bon. Et puis surtout, quand ça te change d'orbite. Quand tu t'rends compte qu'aller plus prêt des choses, c'est parfois passer à travers les certitudes. Comme tu dis, y a pas d'endroit où s'apaiser, seulement des gens avec lesquels on ne se protège plus, parce que quoi qu'on fasse, ils nous retrouvent toujours. Et c'est bon, parfois, de ne plus se protéger de rien. Merci m'zelle. Merci.

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Vie1

      thib

  • Le début de ce texte, je suis déjà conquise. Enfin on parle du vrai. Plus on souffre, moins on ment, écris-tu. Et j'applaudis à l'intérieur. Et je lis toutes les phrases avec l'avidité de celui qui manque de temps, qui ne sait pas et voudrait être assez pour savoir un peu le vrai, et si les autres le cherchent un peu aussi, question pas si illégitime dans notre monde média miroir aux alouettes, mais pas seulement, tout le monde fait miroiter aux voisins son meilleur profil, s'autorise des petites entorses à la sincérité vis-à-vis de soi, ce n'est pas grave, nous le valons bien, hein, de nous faire briller ! Et quand je veux la vérité, je m'étonne d'être si seule, alors, j'enterre mes pensées sous le mutisme, pour ne pas dissonner avec les autres. Cercle vicieux. Le plus courageux s'épuiserait sans être épaulé par un ami, quel qu'il soit. Alors parfois, lire ça, sans fard, ça fait plus que du bien. Il est tard et je m'emmêle un peu. Mais merci, pour le sens, les poches, les tours et détours dans la ville et dans les phrasés, Pour la trouvaille de l'autre juste avant le renoncement à la beauté. Ta lecture allège. Que peut-on demander de plus essentiel à un auteur ?

    · Il y a plus de 8 ans ·
    Mai2017 223

    fionavanessa

    • Oui, il fait bon vrai. Ou, disons, il fait bon que quelqu'un ne s'arrête pas à nos mensonges. On ne demande rien à un auteur, tu sais, on le rencontre, ou on le rate. Merci d'être au rendez vous.

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Vie1

      thib

  • Savoir apprécier ces petits et immenses bonheurs en partage, cela donne un vrai sens à la vie ... Il faut les savourer ... Merci Thib, tu as l'art de nous toucher au coeur ...

    · Il y a plus de 8 ans ·
    W

    marielesmots

    • Rien que de toucher, ça me suffit. Merci.

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Vie1

      thib

  • La chance, la merveilleuse chance de trouver ça au milieu de ce monde qui déborde. ou le destin des aimants qui s'attirent. Ô combien précieux.

    · Il y a plus de 8 ans ·
    Ananas

    carouille

    • Miraculeux, même. Comme le goût d'un dernier miracle sur terre. Et alors tout commence.

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Vie1

      thib

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