La belle-mère N°1

divina-bonitas

Texte concours irrévérence - la belle-mère qui marie son fils

La femme qui marie son fils est une louve aux dents acérées. Une belle-mère pour une bru paniquée. Un mâle à aimer en commun met en jeu des questions territoriales. Chacune pose ses limites, plante des piquets, sort ses banderilles. La belle-mère joue avec un coup d'avance. Elle la connait sa progéniture, sortie de son ventre dans d'abominables souffrances il y a des lustres. Les douleurs de l'enfantement passées depuis quatre décennies au moins lui donnent des droits immuables. 


Le premier est de passer à l'IRM de son sens critique la future épousée. Le rapport est détaillé: garde-robe et accessoires, maquillage, nez, yeux, bouche, dents, front, cheveux (dont colorations et coupes), pilosité, tatouages, piercings, doigts (même de pieds), scolarité/études, expression verbale, culture générale, capacités culinaires, origines (dont génétiques), hygiène (dont capacité à appuyer sur le bouton de la machine à laver), capacités d'écureuil bancaire...L'examen a la méticulosité d'une discussion médico-légale. La pauvrette est passée au crible de l'œil beau maternel. Dans l'hypothèse où rien de flagrant n'apparaît, les questions et remarques ouvertes, directes, insidieuses, soupçonneuses voire fielleuses fusent, faussement anodines, à l'heure de la poire et du fromage: "vous avez dû porter un appareil dentaire...j'espère que ça ne vous a pas abîmé l'émail";  "vous n'êtes pas parent avec la famille untel...il y a eu des cas de trisomie chez eux"; "cette robe vous va à ravir...on dirait de la soie...j'espère que votre budget vous le permet"; "un enfant à 25 ans? C'est bien jeune...avec la crise..."; simultanément "j'espère que vous ne prenez pas la pilule...vous avez vu les risques de cancer"; à l'inverse: "vous ne comptez pas avoir des enfants après 35 ans...quand on connait les risques de l'amniocentèse", juste avant et sans transition: "mettez-vous du gruyère sur le gratin dauphinois?...de la moutarde dans la vinaigrette?...du bicarbonate dans l'eau des haricots verts?"; préambule au venimeux: "merci pour les lys...savez-vous que ces plantes sont toxiques?"


La belle-mère pose des questions tout en sachant pertinemment qu'il n'y a pas de bonne réponse. L'objectif premier est de déstabiliser sa future belle-fille, tester son système émotionnel,  vérifier sa motivation, évaluer les risques futurs encourus avec cette "pièce rapportée". 


La préparation du mariage est un moment clef. La belle-mère a une liste microscopique de boutiques vendant des robes adaptées pour sa belle-fille: pas trop décolletées, surtout pas courtes, blanches mais pas vraiment ("le blanc c'est pour les vierges"), pas de couleur vive non plus - c'est d'un vulgaire!; pas de traîne - inutile qu'elle se prenne pour une princesse; pas de transparence ni de fentes...La belle-mère espère en secret que sa belle-fille portera donc une robe de bure beige et un voile de nonne. Au mieux conseillera-t-elle une capeline immense qui donnera à sa bru d'un mètre soixante, des airs de lampe de chevet le jour de la noce. 


Seconde étape: la belle-mère choisit sa tenue. Comme par hasard, sa boutique préférée lui a proposé un chapeau blanc, une robe claire vaporeuse avec un décolleté plongeant (sur ses vieux nibards fripés), une transparence de mousseline de soie à mi-fémurs laissant transparaître des genoux gras et mous, des escarpins en chevreau crème, une voilette ornée de plumetis délicats...


Vient ensuite la liste de mariage, déposée dans "the" boutique où la belle-mère aurait toujours rêvé de déposer la sienne, elle à qui à l'époque, on n'avait pas laissé le choix, de la porcelaine vieillotte, du décor à fleurs, des porte-couteaux en forme de poisson, des carafes dont personne ne se sert et des cocottes en fonte. Cinquante ans plus tard, c'est la même qui va systématiquement repérer le service décoré de myosotis, les casseroles qui attachent, les repose couverts et les carafes qui resteront dans une boîte au fond d'un placard avant de finir sur le Bon Coin. 


Le jour du mariage est surtout le jour de la belle-mère. Chacun doit savoir qu'elle a tout préparé, réfléchi à tout, commandé le traiteur, testé les plats, corrigé les faire-parts, décoré la salle, réservé la chambre pour la nuit de noce. Elle est tellement contente de faire une surprise aux jeunes mariés, de leur offrir une nuit dans un hôtel romantique...dont elle a pris soin de tester le lit. 


L'annonce de la future naissance sonne le glas de ses espoirs. Mince! Elle est tellement surprise qu'elle en lâche le plat à gratin. Elle ne s'y attendait pas, enfin pas si tôt, pas avant que...


Puis la belle-mère s'occupe de la grossesse, surveille l'alimentation de la primipare, ouvre son sac pour vérifier que ne s'y trouve pas un paquet de clopes, s'assure que les rendez-vous médicaux ont été pris, regarde les clichés de l'échographie et commente: "je le reconnais...ce menton, c'est celui de mon fils". Puis elle se met en quête de layette, jaune poussin, vert verveine, vieux rose, dans des boutiques ayant résisté par miracle à la crise et tentant d'écouler un stock démodé. Parfois la belle-mère s'avère une fan du tricot et du crochet. Là c'est pire. Que dire de la barboteuse lavande en acrylique rehaussée de croquet blanc? Du pull vert sapin en jacquard arborant un pingouin sur une banquise en mohair? De la couverture de berceau au crochet en mode patchwork jaune et rouge? 


La belle-mère assure sa revanche le jour des naissances. Entrant avec des airs de chatte impatiente dans la chambre de l'accouchée, elle aiguise sa langue. L'alitée est crevée, blême, cernée, heureuse mais percluse, parfois même perfusée, c'est le moment d'en profiter. La bru voulant se montrer accorte voire reconnaissante s'exclame enjouée: "regardez belle-maman comme votre petit-fils ressemble à votre fils!". La belle-mère lance son ultime flèche tout en caressant doucement la joue du bambin: "Au début ils (les bébés) lui ressemblent tous, mais après, c'est à vous qu'ils ressemblent". 



  • Beaucoup de belle mère et souvent le beau père écrasé ! Le coup à la fin à la maternité j'adore car c'est trop vrais ; )

    · Il y a presque 8 ans ·
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    Noura Bellissima

    • Merci Noura! le coup à la maternité...je parle en connaissance de cause pour l'avoir entendu!

      · Il y a presque 8 ans ·
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      divina-bonitas

  • Oh ! Divina, rassurez-moi: Votre description est un ensemble de plusieurs belle-mères, hein !?! C'est pas possible qu'une seule cumule à ce point...
    Et... Le beau-père ? Vous compter vous en occuper ? En général il est plus relax (ou écrasé par sa femme la Belle Doche).

    · Il y a presque 9 ans ·
    Oiseau... 300

    astrov

    • Merci Astrov! Plusieurs belles-mères...hum...une et demi et encore, avec 6000 caractères obligés, le portrait est incomplet! Bonne idée le beau-père...écrasé? Diantre non!

      · Il y a presque 9 ans ·
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      divina-bonitas

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