La Flaque d'eau

vaureal

Je m’appelle Flac. Je suis né un jour de pluie. Elle était douce et fine. Les averses se sont succédées et au neuvième jour, je vis le jour dans la rue Cumulus. Mon nom Flac a pris sa source dans les langages des passants.

− Attention une flaque !

Les promeneurs sont mes amis. Patient, j’attends jour et nuit les moments de notre rencontre. Surtout les femmes. Le soir lorsqu’elles sortent pour aller danser dans leur robe de soie. J’aime les explorer lorsqu’elle m’enjambe pour ne pas mouiller leurs souliers. Leurs bas qui câlinent leurs cuisses de dentelles noires et laissent entrevoir le satin de leur secret. Mon corps bouillonne et une vapeur d’eau s’en échappe et comme une je les enveloppe de caresses mouillées. Je les vois s’éloigner à regret, inconsciente de mon émotion.

La pluie est ma meilleure nourriture et aujourd’hui il pleut. Les gouttes m’ondulent et je dégage un parfum boisé. Un couple s’approche et s’arrête juste devant moi.  Ils s’amusent de leur séparation devant une flaque d’eau. D’un côté l’homme tire le bras de sa femme pour lui voler un baiser et de l’autre la belle rit à pleins poumons. Je gonfle mon volume d’eau et je rigole sur les chaussures du monsieur. Je me régale en léchant le cuir rouge bordeaux. L’homme attrape sa femme et l’embrasse à pleine bouche et confusément mon eau rosie.

Certains jours de mai sont les plus durs. Les promeneurs sont plus nombreux et moi je suis devenu  plus petit. Ma flaque est piétinée. Plus personne n’a peur de me confronter. Quelques uns me crachent dessus, d’autres écrasent leurs cigarettes ou jettent leurs papiers. Je suis souillé. Je manque d’oxygène. Parfois, je sens ma fin arrivée. Et, soudain, il pleut. Je me lave de toutes les impuretés et je retrouve mon origine. Je ne vieillis jamais et mon esprit sans cesse vagabonde. Mes visiteurs bons ou mauvais m’enrichissent chaque jour de leur histoire.

Il n’est pas impossible que mon cousin vous ait déjà rencontré. N’avez-vous pas dans votre ville ou village une rue qui a un nom qui vous fait penser à moi ? Lorsqu’il pleut, la pluie me ramène les histoires d’une autre région. Je vous vois vivre. L’eau est une bonne narratrice. Je comprends vos peines, vos divorces, vos maladies, vos décès et votre solitude.

Il pleut depuis quelques jours. Les gens sautillent de flaque en flaque. La promiscuité avec mes voisins m’est difficile. J’entends un homme crier :

− Si cela continue, c’est l’inondation !

J              Je me suis uni avec ma voisine, elle avec son voisin.et nous dévalons la rue ensemble. Je déménage dans un caniveau et c’est un désastre. Nous nous soulevons les uns sur les autres. Des vagues se forment et nous gagnons en vitesse. Nous rejoignons des milliers de flaques. Un fleuve se forme. Il pleut toujours. Nous grossissons et emportons avec nous les habitations de nos amis. Ils ont peur et nous aussi. Le vent se lève. Il est en colère. Il soulève tout à son passage et recrache plus loin les nids des humains.

Je vois au loin une grande étendue bleue. Mes cousins m’informent qu’elle se nomme la mer. Elle est élégante avec son écume blanche et les oiseaux qui les accompagnent. Des poissons de toutes tailles et de couleurs différentes y habitent. Je vais enfin voyager et me déplacer au gré des courants. Sûrement je visiterai tous les pays du monde. Quelle joie. Demain, je serais peut-être sur une plage en train de jongler avec les baigneurs. D’une vague, je les déposerai sur le sable fin. Aussitôt, je repartirai aussitôt pour ne pas m’attacher et surtout parce que j’aurai tellement de territoire à visiter et de personnes à aimer.

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