La grosse pute !

Hervé Lénervé

Un bon mélo pour commencer une bonne journée.

Oui, tout le monde le savait. Elle, c'était une grosse pute !

Toute petite à nattes déjà, les gens disaient en la voyant : « Elle, c'est une sacrée grosse pute ! »

Et même avant, au berceau, les seuls sons qu'elle distinguait indistinctement dans un brouillard de purée aux champignons, c'était : « Oh, la belle groffe puffe ! »

Alors, bien sûr, elle eut des problèmes psychologiques – Qu'est-ce que je raconte, moi – elle fut grave perturbée, la gamine, oui ! Diagnostiquée,  secouée 14/10 sur l'échelle Richter.

 

Par conséquent aux faits préalablement cités, elle perdit tout attrait aux choses de l'amour et devint frigide sans avoir jamais pratiqué la chose. Elle resta vierge toute sa vie, la pucelle frigide grosse pute.

Elle perdit l'appétit aussi et ne le retrouva pas en maigrissant. Elle qui n'était pas bien épaisse, la gamine, elle devint évanescente, une créature vapeur, un gaz. On ne la distinguait plus que par son odeur et l'on disait : « Tiens, j'crois qu'il y a la grosse pute qui vient de passer ! »

Elle fut même sélectionnée avant son état gazeux pour un défilé de top-models anorexiques. Où, elle ne démérita pas, la gamine. Il faut dire que les dernières arrivantes arrivaient avec des béquilles, style tableau de Dali, alors, évidemment, les béquilles, ça fait des faux plis sur les robes.

Mais revenons, à notre histoire, qui vous vous en doutez bien, est un conte, une fable, une allégorie, une légende, une chanson de gestes, une grosse connerie, quoi !

Bé... la gamine abstraite, elle disparut un jour d'un coup de vent... oui, ou d'inanition ou de quelque chose d'autre encore, mais elle mourut, ça c'est bien sûr !

C'est dommage, vous vous étiez attachés à la gamine aux tresses nattées, qui avait tout pour devenir une enfant espiègle, puis une jeune fille radieuse, irradiant les cœurs de soupirants à foison et enfin, une femme comblée auprès d'un mari aimant et d'une marmaille bruyante. Mais non ! Cette mauvaise réputation faite par méchanceté, lui colla à la peau comme un cautère sur une jambe de bois d'arbre.

 C'est de l'empathie ! C'est humain, moi-même, je l'ai déjà ressenti une fois, cet élan de se mettre à la place de l'autre. Mais je n'ai jamais recommencé, car un gus en avait profité pour me squatter et j'ai eu toutes les peines du monde pour le foutre en dehors de moi.

Sur sa tombe la bêtise fit graver l'épitaphe « Ci-git une grosse pute ! »

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