La gueule de l'emploi

J'ai entendu il y a quelques mois à la radio les conclusions très intéressantes d'une sociologue. Il apparaît que les prénoms nous prédestinent, par le biais des aprioris, à nous cloisonner dans des catégories sociales.

Pour étayer mes propos, prenons un exemple. D'après le site « Famille et Généalogie », 19 404 petites filles ont eu la malchance d'être prénommées Georgette depuis 1940. Elles sont réputées ouvertes, sympathiques, extraverties, communicatives, elles possèdent de grandes facilités d'expression. Elles sont joviales et de bonne humeur. Il est vrai qu'elles font la joie des clubs du troisième âge. Pourtant, hormis Georgette Lemaire, adulée par ma maman tout comme Frida Boccara, point de Georgette célèbres. Il est vrai qu'il existe des exceptions pour confirmer la règle. Je pense aux Simone qui ont investi la littérature, la politique ou un sketch de Coluche.

Pour respecter la légitimité hommes-femmes et éviter la foudre des censeurs, j'ajouterai que René ou Marcel doivent être moustachus, être chaussés de Méphisto et porter d'improbables chemises à carreaux de bûcherons canadiens.

Il y a un prénom qui pour moi est synonyme de coiffeuse, c'est Lydie. En saisissant « Lydie coiffure » sur Google, j'ai d'ailleurs obtenu, en un centième de seconde, 197 000 résultats. Et de m'interroger si les parents les avaient, dès leur naissance, destinées à ce noble métier ou si ce sont les profs qui en sortie de troisième et par réflexe les ont orientées vers un CAP coiffure.

J'ai de très bon souvenir de mes coiffeuses. Je sais, c'est un classique au même titre que l'infirmière ou que l'hôtesse de l'air. Qu'importe, j'adorais qu'elles me coupent les cheveux en quatre, par l'intermédiaire d'interminables discussions. A quatorze ans, j'avais réussi à convaincre Micheline, ma maman (oui, j'ai aussi vérifié : sur 56 820 naissances depuis 1940, je n'ai trouvé que Micheline Dax, Micheline Presle et Micheline Boudet. Et je ne suis pas vraiment d'accord qu'elles soient qualifiées de fières, ambitieuses et voulant réussir pour commander et diriger, sans autorité au-dessus d'elles) de quitter le gros barbu qui me soûlait à parler politique. C'était pourtant un précurseur, descendant Mitterrand en flèche, dont il ignorait sans doute le passé vichyste et augurant de l'avènement prochain du Front National. Tiens donc, malgré ses origines polonaises, il s'appelait Jean-Marie. Remarquez, je n'ai pas eu chaud aux fesses avec lui. C'était l'archétype machiste et hétéro. Il y a toujours les exceptions qui confirment la règle.

Sur la table basse de Lydie Coiffure, je comprenais pourquoi les prétendants n'étaient pas si pressés de passer à la coupe. A défaut de Jour de France ou de Point de Vue, qui étaient pourtant farcis de permanentes dignes d'être présentées au championnat du monde de la discipline capillaire, je ne trouvais que des Penthouse et des New-Look. Les coupes sur lesquelles je m'attardais étaient bien plus courtes que les réglementaires que je découvrirai lors de mon service militaire.

New-look avait l'avantage d'avoir également des reportages, au demeurant fort intéressants. Quand j'étais appelé, je tournais rapidement les pages, rougissant, pour tomber sur les grands requins blancs ou sur les châteaux hantés d'Ecosse. Je me précipitais pour m'asseoir et cacher, autant que faire se peut, mon émotion. La longue blouse viendrait rapidement sauver la mise.

Je ne saurais dire combien de litres de salive j'ai eu à déglutir pour masquer mon émoi quand je sentais la poitrine de Lydie appuyée sur mes épaules. Et que dire des mains prestement retirées des accoudoirs quand elle se plaçait de manière latérale pour me dégager mes oreilles en chou-fleur ? Le paroxysme était atteint quand je passais sous la douchette. Après un « Ce n'est pas trop chaud (tu parles …), jeune homme ? » elle me massait le crâne d'une façon que je ne pouvais qu'interpréter comme un appel du pied. Sans oublier la lame, pour me terminer, dans le cou.

Quelle allumeuse, cette Lydie. Mais je regrette de ne pas avoir appelé ma progéniture Charles-Maximilien et Anne-Charlotte, pour les mettre à l'abri du besoin.