La monnaie des malfaisants

drims-carter

- Que s'est-il passé ? mais bordel, que s'est-il passé ?

- Nous n'en savons rien Monsieur le Commissaire" - répond l'un des policiers qui venaient de l'accueillir - "Seul cet homme là bas dit avoir vu la scène. Il est traumatisé, il ne souhaite parler qu'à vous."

La scène ? Plusieurs cadavres mutilés, déchiquetés et trainés par terre jonchent le parvis de cet immeuble délabré d'une cité ghetto de la banlieue parisienne. Des morceaux de bras et d'autres membres trainent ci et là. De longues trainées de sang laissent entrevoir l'horreur qui s'est déroulée à cet endroit il y a quelques heures. Le profil des victimes est assez clair, ce sont tous des dealers. Leurs survêtements, leur jeune âge, leur baskets de marque - quand ils-ont encore un pied accroché à leur corps - dressent leur identité sans trop d'équivoque. L'un d'entre eux est d'ailleurs crucifié sur un candélabre, à trois mètres du sol, juste au dessus de l'entrée de l'immeuble et au dessus de l'unique témoin de la scène. Un léger filet de sang continue de couler de sa jambe et dessine une sorte de rivière sur le sol. En entrant dans l'immeuble, on constate que le même travail de boucherie barbare s'est déroulé jusqu'aux portes des appartements, dont certains - trois ou quatre – ont la porte défoncée. Au total, c'est bien une vingtaine de morts que nous pouvons dénombrer dans cette affaire. Pas mal de boites crâniennes sont explosées, de nombreux impacts de balles apparaissent sur les murs et des mains arrachées tenant des pistolets ou des mitraillettes nous permettent de comprendre que les dealers ont tenté de se défendre mais que l'assaillant n'a pas semblé souffrir de leurs balles. Partout du sang et des membres ou des organes, sur les murs de la cage d'escalier, sur les marches, sur les sols des paliers. L'ascenseur a été complètement « repeint » par le sang d'un dealer dont la moitié du corps est déchiquetée à l'intérieur. Dieu seul sait où est l'autre moitié.

« Nous sommes le lendemain de la nuit d'halloween, le psychopathe qui a fait ça n'a pas manqué d'imagination » se dit le Commissaire Bergault, pensif. Il dresse le contexte à l'enquêteur qu'il a chargé de cette affaire, le lieutenant Sargasse. Celui-ci est spécialement venu du ministère de l'intérieur. Supermarché de la drogue, cet immeuble était le point de vente le plus lucratif du département. Des dizaines de dealers y officiaient quotidiennement, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Ce matin, c'est la première fois que la police peut s'en approcher d'aussi près sans se faire tirer dessus. Depuis deux ans, de nombreux policiers sont morts sur ce parvis, l'abandon des quartiers ghettos par les autorités a laissé apparaitre de véritables armées de trafiquants de drogue, qui régissent les quartiers en toute impunité, sauf lors « d'opérations punitives », généralement en périodes électorales. Rien ne rentre, rien ne sort dans la cité sans leur contrôle, ils tirent généralement à vue. "Qui a donc bien pu les massacrer de la sorte sans y laisser des plumes ? Un règlement de compte entre eux ? Un autre groupe de trafiquants ? et puis... comment ont-ils fait pour accrocher un gars à trois mètres de haut ? Il n'y a pas de grue ou d'échelle haute à proximité.

« Heureusement que nous avons un témoin ! ». Le commissaire Bergault est tendu mais feint la satisfaction. Il observe cet individu maigre, vêtu d'un simple marcel blanc mouillé, et d'un vieux caleçon rayé tous deux souillés de sang. Celui-ci est assis sur un plot de parking en béton qui est renversé et contemple le sol. Son visage lui rappelle vaguement quelqu'un, « surement un ex-dealer repenti » se dit-il. Il est huit heures du matin en plein hiver, il fait encore nuit et tant mieux, les gamins ne verront pas le sang et les cadavres en allant à l'école, mais le témoin ne semble pas avoir froid, ce qui marque tout de suite le lieutenant Sargasse, en bon enquêteur expérimenté. En bon chef de la police locale, lui, le Commissaire Bergault donne ses directives au lieutenant et part rejoindre le cordon de policiers qui encercle la scène du crime pour empêcher les badauds de voir la scène et les journalistes de filmer ou photographier. Il propose aux journalistes de les recevoir dans une tente à proximité, spécialement dressée pour une conférence de presse. Il va leur servir son baratin habituel pendant que ses hommes ont les mains dans le cambouis.

Avant d'entamer ses premiers échanges avec le témoin, Sargasse fait un tour d'horizon de la scène. Une scène de guerre, ces pauvres gamins - mineurs pour la plupart - se sont fait démolir salement. La moitié des policiers sur place semble avoir déjà vomi son petit déjeuner, « ce qui va compliquer le travail de la police scientifique » pense Sargasse. Il s'adresse au témoin :

- Vous allez bien ?

- Oui ça va aller, répond le gars d'une voix tremblotante, tellement pâle qu'on croirait qu'il a vu le diable mais gardant toujours la tête basse.

- Quel est votre nom ?

- Christophe Freville, mais je ne souhaite parler de ce que j'ai vu qu'au commissaire Bergault en personne. Il ne regarde toujours pas son interlocuteur.

- Il est très occupé et m'a chargé de l'enquête, reprend Sargasse en ajoutant d'un ton ironique : « Soyez rassuré, j'ai plus d'expérience que lui ». Changeant de ton : « Vous acceptez de témoigner là ou tout le monde se tait. N'avez vous pas peur des représailles ? »

- Non, répond calmement Freville, ce qui tranche avec la voix tremblotante qu'il avait il y a quelques secondes.

- Pourquoi ?

- Parce qu'ils sont tous morts

- Tous ? Comment en êtes-vous certain ?

- Tous ! Je le sais dit le témoin en levant enfin la tête.

- Qu'avez-vous vu ?

- Je ne le dirait qu'au Commissaire Bergault.

- Ok Ok, je m'en charge, consent Sargasse, je vous propose qu'on aille en parler au chaud au commissariat.

Arrivés au commissariat, le Commissaire, préalablement prévenu vociférait dans son bureau. Il n'est pas commissaire pour se tartiner les témoins selon lui, mais vu l'ampleur de la tuerie il accepte de recevoir Christophe Freville dans son grand bureau. A peine entré dans le commissariat, en le voyant ainsi vêtu et taché de sang, certains agents de police devinrent blêmes, figés, comme choqués par la simple vue de celui qui a vu la tuerie. Certains ont même perdu connaissance et d'autres se signaient de la croix du Christ en priant.

Accueilli froidement par le Commissaire qui eu aussi un geste d'hésitation à sa vue, Christophe Freville raconte en détail ce qu'il a vu :

- Cette nuit les dealers « travaillaient » comme à leur habitude : les guetteurs guettaient, les vendeurs étaient en place dans le hall, les clients affluaient, dont certains déguisés à l'occasion d'halloween, ce qui ne plaisait pas aux trafiquants qui en ont réprimandé plusieurs. A un moment donné, les guetteurs ont signalé un individu suspect : un gars déguisé en policier. Ils ont attendu qu'il arrive dans le hall et celui-ci a commencé à les massacrer un par un, à mains nues.

- Ils ont laissé entrer une personne déguisée en policier dans l'immeuble ? Comment savaient-ils qu'il n'était pas un vrai policier ? Interrogea Sargasse, étonné.

- Oui, ils l'ont laissé entrer. Répondit Freville. Ils n'imaginaient probablement pas qu'un vrai policier puisse venir seul là où une dizaine d'entre eux ont été tués en deux ans, dans des échanges de tirs nourris. Freville reprend son récit : « Le policier a alors attrapé la tête du premier vendeur qu'il a écrasé d'une seule main, le sang a giclé dans tout le hall, éclaboussant les deux autres gars qui étaient avec lui, les murs et les boites aux lettres. Les yeux du vendeur sont sortis de leurs orbites, entre les doigts du policier. Les deux autres vendeurs lui ont sauté dessus, mais il les a repoussé d'un coup chacun, les assommant contre le mur. L'un d'entre eux s'est réveillé pendant que le policier arrachait les bras et les jambes de sa première victime et a sorti son calibre. Il l'a arrosé d'une quinzaine de balles, sans que le policier ne réagisse, comme si les balles le traversaient sans lui faire de mal. Il était effrayé et paniqué, il ne savait plus quoi faire et s'est mis à crier.

En entendant les tirs et les cris, les trois guetteurs ont accouru dans le hall et se sont fait aussitôt assommés par le policier d'un seul coup de poing chacun »

- Non mais vous êtes sur de ce que vous nous dites ? S'énerva Bergault, c'est complètement invraisemblable !

- Et ce que vous avez vu dans le hall et sur le parvis, c'était invraisemblable ? Répondit avec un léger sourire le témoin.

- Hum... continuez s'il vous plait, dit calmement Sargasse à Freville, qui reprend :

- En entendant les tirs et les cris, le troisième vendeur s'est réveillé et a machinalement sorti son pistolet mitrailleur Uzi et a copieusement « canardé » le policier, qui n'a pas plus réagi qu'à la première rafale de son collègue.

Toujours en entendant les tirs et les cris, d'autres dealers, cachés dans la cage d'escalier sont descendus et ont aussi arrosé le policier avec des pistolets automatiques, tuant eux-même accidentellement les guetteurs assommés à terre. Le policier, qui venait de finir de démembrer le premier dealer s'avança alors vers les deux autres vendeurs qu'il attrapa d'une main chacun au niveau du cou et leur broya la nuque.

Ayant compris qu'il était immortel, les dealers qui étaient descendus se sont enfuis vers les étages, pour se réfugier dans leurs appartements de repli. Le policier ne les a pas poursuivis tout de suite. Il a bien pris le temps de démembrer et déchiqueter tous ceux qui étaient déjà morts, en jetant sur le parvis des membres ou des organes. Une main à droite près de la poubelle, un cœur à gauche sur la pelouse, etc... et en trainant les troncs jusqu'au trottoir. On dirait qu'il voulait écrire quelque chose au sol.

Le policier continua alors sont trajet dans l'immeuble : deux dealers était restés cachés dans l'ascenseur, dont ils avaient bloqué la porte de l'intérieur. Comme s'il avait senti leur présence, il a détruit la porte de l'ascenseur à mains nues et a attrapé l'un d'eux pendant que l'autre se sauvait en passant sous son bras. Il lui a broyé la tête et a compressé son corps pour le faire éclater dans l'ascenseur. Son sang a giclé abondamment, comme un sac plein d'eau qui éclate. Il l'a ensuite déchiré en deux, j'ai bien dit déchiré, il n'avait pas d'armes et a tout arraché à mains nues. Il a esquissé un sourire sadique et a abandonné la moitié du corps dans l'ascenseur, emportant l'autre avec lui dans l'escalier.

Deux dealers sont redescendus avec des Kalachnikovs dans l'escalier et ont tenté d'intercepter le policier. Ils se sont également fait démolir.

Il a ensuite continué de monter dans les étages en répandant volontairement du sang, des organes et des membres dans le cage d'escaliers et sur les paliers. Il a pris soin d'encastrer les tête écrabouillés sur les têtes des rampes d'escalier de chaque étage qu'il parcourait.

Au deuxième étage, il s'est posté devant un appartement. Il savait aussi que les dealers s'y cachaient. Il a détruit la porte, les a débusqué et les a sauvagement assassinés aussi. Il a recommencé dans deux autres appartements au troisième étage et a - au final - massacré dix-neuf dealers. Il en a gardé un entier, celui qu'on appelle Freezer, le chef de la bande, qu'il a crucifié sur le candélabre devant l'entrée de l'immeuble lorsqu'il est redescendu. Il a ensuite retiré son uniforme.

Voilà tout ! 

Freville, termine ainsi son récit et semble satisfait de lui. Il sourit au Commissaire Bergault qui est ahuri par la force des détails cités. Celui-ci est assis dans son large fauteuil de ministre en cuir et se tourne, presque implorant vers Sargasse, pour qu'il l'aide à trouver une posture plus digne. Sargasse lui, ne se laisse émouvoir ni par le récit de Freville, ni par le regard de chien battu de Bergault. Il reste concentré et se tourne vers Freville, toujours aussi pâle, qu'il questionne :

- Parlez-moi de ce policier, comment était-il ?

- Il était a peu près de ma taille, fin et brun comme moi mais il avait les orbites des yeux vides comme un squelette, et les dents pourries.

- Vous nous avez raconté toute la scène avec un nombre impressionnants de détails. Comment avez-vous pu le suivre sans qu'il ne vous tue ? Ou étiez-vous placé ? repris Sargasse.

- Euh... balbutia Freville... Quand on frappa à la porte du bureau du commissaire.

Un agent de police ouvre la porte sans attendre d'y être invité et, manifestement paniqué, tend une enveloppe à Sargasse et repart presque en courant. Le Lieutenant ouvre l'enveloppe en jetant un œil vers Freville qui semble calme malgré la question piège à laquelle il doit répondre. Il en sort une photo et une note manuscrite. La photo a été prise du haut de l'immeuble où eut lieu le crime et montre le parvis. Sargasse montre la photo au commissaire en disant : « Freville avait raison, le policier immortel a bien tracé un message sur le sol du parvis avec le sang de ses victimes : « Monnaie est rendue aux malfaisants » il est écrit. Qu'est-ce que ça signifie ? Une vengeance ? » Freville approuve cette remarque en hochant la tête. Sargasse commence alors à lire la note manuscrite remise par le policier : « Commissaire, la personne qui est avec vous dans le bureau est Christophe Freville, un agent de police de notre commissariat, assassiné par Freezer à Halloween, il y a un an jour pour jour. »

Sargasse, bouche bée, laissa échapper le billet en regardant Freville, puis Bergault qui commençait à paniquer en criant : « Je me rappelle, je me disais bien que je l'avais déjà vu quelque part ! Vous n'êtes donc pas mort ? »

Freville esquissa un sourire et s'exclama : «  je répond à la question du lieutenant ! J'ai pu suivre le policier parce que c'était évidemment moi. Je suis revenu de parmi les morts, avec l'approbation du diable, mon esprit de vengeance était plus fort que tout, il fallait que je punisse les malfaisants qui ont détruit ma vie et cela l'arrangeait bien, il manquait de gens à torturer dans sa géhenne. Par contre, je tiens à vous rappeler, Monsieur le Commissaire, que vous aviez envoyé mon équipe au casse-pipe, contre cette bande de dealers alors que vous saviez bien que nous nous ferions tuer, mais vous répondiez à une « commande » du ministère qui avait besoin d'un alibi pour engager une « action punitive » avant les élections. Vous êtes un malfaisant !

A ces mots, ses yeux disparurent, laissant la place à des trous béants et ses dents noircirent et devinrent absolument innommables. Un vrai squelette vivant. Freville, ou ce qu'il en restait, attrapa le commissaire par le cou et lui broya la nuque. Il le démembra devant les yeux choqués de Sargasse et éparpilla ses membres dans le bureau. Sa besogne finie, il sourit à Sargasse et disparaît dans un nuage de fumée.

Sargasse reprit ses esprits et se demanda comment il allait expliquer ça à ses supérieurs en philosophant sur la formule de Freville : « Il leur a bien rendu la monnaie de leur pièce ».

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