La mort n'est pas si froide.

sisyphe

Dans l'encadrement de la porte, il attend. Lui, ce n'est pas rien. Il est là depuis longtemps, depuis toujours. Il y est habitué et pourtant, ce sont des scènes qui n'ont de cesse de le tourmenter. Même la Mort a ses fantômes...Les murs de la chambre sont blancs, un peu trop d'ailleurs. La petite fille à le teint blanc, beaucoup trop pour qu'elle en revienne. Ses draps bleus clairs peuvent rappeler le ciel par leur couleur mais tout ça est trompeur, l'azur, elle ne le goûtera plus. Elle ne goûtera plus à rien bientôt, peu importe pourquoi, c'est ainsi.

Dans l'encadrement de la porte, il attend. Non pas qu'il aime à voir ce spectacle se prolonger, non. Mais il pense. Ce qu'il ressent là, il l'a ressentit bien des fois. C'est injuste, oh, comme il les comprend. Il ne se sent pas incarnant la justice même lorsqu'il leur prend leurs enfants, amis, pères, mères, maris ou femmes...Il ne se sent pas non plus comme l'injustice même, c'est l'ordre des choses. Mais, comme on le lui a dit une fois, une petite fille toujours, avant qu'il ne la prenne par la main pour l’emmener, l'ordre des choses, ça craint.

Dans l'encadrement de la porte, il attend. Et ça n'en finit pas. Le père est assis à la droite du lit, une main blafarde et déjà squelettique repose dans la sienne. Lui n'a pas de perfusion, il n'est retenu à rien de visible. Mais ses larmes qui coulent dans le silence gelé de la chambre sont un lien plus fort que tout. Comme il se vide lui aussi, le père ressemble de plus en plus à sa fille. Leurs lèvres perdent leur sang. Le temps est figé, les personnages aussi. Ce n'est alors presque plus qu'un tableau pour des contemplations sordides. La douleur est muette aucun cri ne pourrait la résumer. Le père est au Golgotha, sa fille sur la croix.

Dans l'encadrement de la porte, il attend. Toujours les mêmes scènes décidément, son cœur ne bat plus et pourtant, même les machines respectent le moment. Dans le silence assourdissant de la douleur, on ne les entend même pas. Les infirmières peuvent bien se presser, s'affairer autours de la petite, c'est d'un autre cœur qu'il faudrait s'occuper. Celui du père, brisé. Il n'y a rien à ajouter à l'injustice du monde, c'est un parfait Enfer. Le Purgatoire lui même serait souhaitable, il y aurait au moins des péchés à purger, des raisons pour souffrir. Quelle sorte de destin peut se montrer si cruel ?

Dans l'encadrement de la porte, il n'attend plus. Il a prit la petite fille avec lui, laissé son père pleurer sur le corps délaissé, il n'y avait rien d'autre à faire. Bien sur, la cité idéale ne peut se réaliser, il se doit de faire son travail et ce, depuis le début de tout. Mais il se dit que tout ça ne peut durer. Il constitue à lui seul une injustice assez grande pour les Hommes. Il le sait. Quel besoin y a t'il de créer de l'injustice dans un univers où les enfants meurent dans un silencieux scandale ? Au fond, c'est ça qu'il s'est toujours demandé et qu'il se demandait encore en passant cette porte. Qu'attendent-il pour réduire la douleur du monde ? En marchant, la petite fille serre plus fort sa main. La mort n'est pas si froide.

  • Texte magnifique ! C'est impressionnant la force que tu donnes à tes mots. Oui, "même la mort à ses fantômes" : Nous, les vivants !

    · Il y a presque 13 ans ·
    51 orig

    retsig

  • Définitivement doué, Sisyphe. Je cours lire le reste de ta prose en applaudissant des deux mains ces lignes. Belle démonstration de maîtrise stylistique sur un sujet très difficile à traiter. Bravo !

    · Il y a environ 13 ans ·
    Dsc00245 orig

    jones

  • Une "fiction"... un peu ... "hasardeuse" ? mais la douleur de la situation le justifie ?

    · Il y a environ 13 ans ·
    Camelia top orig

    Edwige Devillebichot

  • Saisissant!Une narration comme une boucle jusqu'à ce que la forme révèle son vrai visage : une spirale aux allures d'infini.

    · Il y a environ 13 ans ·
    Default user

    manonlou

  • Mes prédescesseurs ont tout dit ! Second texte que je lis et encore une belle reussite !

    · Il y a environ 13 ans ·
     14i3722 orig

    leo

  • Bouleversant, étrange et fort énigmatique. Merci ! Mais... je suis un peu trop touchée pour le moment pour en dire plus.

    · Il y a environ 13 ans ·
    Img 0789 orig

    Gisèle Prevoteau

  • Merci pour le partage Abdelaziz, texte poignant d'une situation que des proches ont vécu et dont ils ne se sont jamais remis.

    · Il y a environ 13 ans ·
    30ansagathe orig

    yl5

Signaler ce texte