La Princesse

Pauline Perrier

On pensait la Royauté sur le déclin depuis la Révolution mais il semble se propager aujourd'hui une nouvelle vague de sang bleu au sein de la population, donnant naissance à une prolifération de princesses. On en trouve partout : dans les cours de lycée, derrière les blogs de mode, au sein des secteurs marketing des plus grandes entreprises et même, parfois, de l'autre côté de votre lit.

La princesse est un spécimen de femme particulier dont le corps a pris l'apparat de l'âge adulte tandis que l'esprit n'a pas évacué son âme d'enfant. Elle n'est pas immature mais entretient une vision du monde peu terre-à-terre, flirtant avec celui des Bisounours. La réalité crue, très peu pour elle ! Elle est pleine d'une énergie joviale, dopée aux Disney. Petite fille choyée elle est devenue une adulte ratée; passé la vingtaine, elle s'extasie toujours avec la même absence de complexes devant les peluches en forme de licorne, les pandas et les barbes-à-papa.

On la reconnaît à son sourire candide, ses yeux pétillant d'innocence et sa chevelure soyeuse. Toujours parfaitement maquillée, sans jamais un résidu de mascara imprimé sur les paupières, elle arbore forcément quelque chose de « mignon » dans ses accessoires et possède au moins un objet rose, même si c'est sa culotte ou l'emballage de sa serviette hygiénique. Elle parle d'une voix cristalline, entortille régulièrement une mèche de cheveux autour d'un doigt et éternue comme un chaton. Elle boit du rosé-pamplemousse, parce que c'est à la mode et que ça la rend juste assez joyeuse pour que son ivresse soit adorable et jamais dégradante. Ses habits sont plutôt sages mais féminins au possible, jonglant entre jupes patineuses, bottines à talons et décolletés hésitants, ce qui tend à la rendre involontairement sexy. Aux yeux des hommes, en tout cas, car la princesse agace systématiquement toutes ses collègues de la gent féminine qui en font la vedette de leurs commérages.

Capricieuse, têtue et boudeuse, la princesse attire les hommes qui développent à son égard le besoin de la protéger, de préserver cette fragilité naïve qui contraste avec la volupté de ses formes. La princesse est donc une rivale redoutable qui joue de son statut pour se faire passer la bague au doigt avant toutes ses amies. Un peu fille à papa, elle n'aime pas prendre « non » pour réponse et mène les négociations les plus ardues en inclinant la tête à 30c° sur le côté comme un jeune chiot, écarquillant les yeux jusqu'à ce qu'ils se remplissent de larmes et faisant la moue avec ses lèvres. Le taux de réussite de cette méthode déloyale avoisine les 99% (il existera toujours des sans-cœur pour y résister). La princesse est maladroite, gaffeuse et attendrit par ses bévues. Elle parvient généralement à se faire tout excuser, même ses plus grandes extravagances, en offrant un sourire enfantin, large à s'en craquer les lèvres.

Dans ses relations, la princesse a besoin de tendresse et d'affection. Elle possède obligatoirement un animal de compagnie, le plus généralement un chat portant le nom d'un personnage de dessin animé ou d'un philosophe, et prend régulièrement des selfies en sa compagnie. En amour, elle séduit par son sens aigu de l'instinct maternel et sa douceur. «Mignonne» et «adorable», elle l'emporte sur ses congénères qui semblent sorties des couvertures de Vogue car elle est plus accessible et rassurante. Une fois son prince entre ses mains parfaitement manucurées, la princesse en fait son sujet de conversation favori et, s'il lui passe la bague au doigt, détrône même son chat dans ses sujets de prédilection. Romantique au possible, ayant fomenté son éducation sentimentale non sous l'égide de Flaubert mais celle de Cendrillon et de Love Actually, elle entretient la magie dans le couple et veille à se montrer sous son meilleur jour en toutes circonstances. Quand elle vit sous le même toit que son «chéri-d'amour», la princesse entretient l'illusion de la perfection et nie tous les défauts du corps qui pourraient porter atteinte à son image. Elle préférerait souffrir d'une occlusion intestinale que prendre le risque d'admettre son humanité.

Enfin la princesse dispose d'un langage qui lui est propre. Elle affectionne tout particulièrement les adjectifs composés qu'elle fabrique elle-même et dont elle affuble tout ce qu'elle aime (inutile de préciser que «chéri-d'amour» n'est qu'un exemple parmi tant d'autres). Le fiancé, le chat, les enfants, les amis, et plus particulièrement les amis gays, ont chacun droit à un surnom niaisouillard personnalisé qui, s'il n'est pas composé, tire son origine des noms d'animaux. Ainsi, parmi les «mon trésor», «mon cœur-d'amour», «chouchou», on observe la prolifération de petits noms tels que «mon lapin», «chaton», et «mon bébé-marmotte-au-miel-rien-qu'à-moi» (car oui, les noms d'animaux peuvent aussi devenir des adjectifs composés, même s'ils n'ont aucun sens.) La princesse est également à moitié bilingue, mais comme elle ne l'est pas totalement, elle pratique avec brio le franglish à coup de «regarde comme c'est cute» ou de «what ? Mais c'est trop chou !», car dans le monde de la princesse, il n'y a pas de place pour le «laid» entre les licornes et les paillettes, et, faute de missions ordonnées par Elizabeth en personne, elle dédie toute sa créativité à établir des nuances d'esthétisme.

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