Papy Daniel

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Quand je serai vieux, par pitié, euthanasiez-moi. Ce n'est pas que je n'aurai pas les couilles de me suicider. Bien que flétries, croyez bien que j'aurai encore assez de jus pour vous envoyer en pleine poire mon amertume.

Le problème, c'est ma catholicité. Je ne peux pas mettre un terme à mes jours par moi-même. Là-dessus, je vous confesse que je joue au cul serré. Il serait quand même idiot d'avoir, cahin-caha, pendant une bonne partie de ma vie, fait tant d'efforts et me retrouver refoulé, gueule cassée d'un coup de revolver, au pied de l'éternité. Pour être plus terre-à-terre, je plains déjà les torche-culs chargés de m'encadrer. Comment supporter que l'on me traite comme une merde molle, après avoir pendant des lustres tout fait pour vous faire chier ?

Rien qu'à y penser, j'en ai déjà la chiasse, de haine. Me demander si j'ai bien pris mes gélules, que je vous inviterai fort poliment à vous les carrer dans votre boîte à pilules. Me proposer une partie de Scrabble, si Alzheimer ne m'a pas encore légumisé ? Là, à la limite, je veux bien me dévouer. Je me ferai un plaisir de vous sortir des mots qui comptent pour tripette mais qui, vociférés jusqu'au bout du foyer, seront les meilleurs alliés pour que je finisse la soirée bien accompagné, seul à ressasser mon amertume de ne pas avoir crevé d'une overdose à vingt-cinq ans. Au moins, ça m'évitera le martyre de la tisane dansante et d'avoir à me taper l'accordéoniste obséquieux, publicité vivante pour une marque de dentifrice blanchissant.

Mais bon, on aime bien aussi garder ses petites habitudes. Pour moi, ce sera le matin. Je n'ai jamais été un couche-tard. Je me ferai donc un plaisir d'appuyer hystériquement sur la sonnette, dès six heures, pour que l'on vienne en quatrième vitesse changer mon alèse. Que voulez-vous, à quatre-vingt-douze ans, on ne maîtrise plus sa vessie. Et, oh oui, croiser le regard outragé de la stagiaire quand elle soulèvera mes draps. Ce n'est pas au vieux singe en hiver que l'on apprend à faire des grimaces. Avoue, ma petite, que tu te troubles à la vue de cet organe turgescent. Non pas que cela t'excite. Je suis réaliste. Non, c'est la mémoire de ton grand-père idéalisé, ramenée à la dure réalité qui te fera pleurer une fois que tu m'auras quitté.

Je suis encore sympa. Je vous mets en garde. N'essayez pas de jouer avec moi, vous n'auriez pas le dernier maux. S'il vous venait l'idée de chercher à vous venger, j'aurais dans mon carnet d'adresses quelques journalistes qui débouleraient dare-dare. Vous pourriez alors vous enorgueillir de faire pleurer dans les chaumières. Des millions de foyers, découvrant à l'heure du journal télévisé, ce pauvre petit pépé sans défense, que l'on aurait laissé sans soins. Je sortirais de derrière les fagots quelques ecchymoses, preuves irréfutables de vos maltraitances.

Mon apothéose, je la réserverai aux trop rares visites de ma famille. À tout seigneur, tout honneur. Elle se mordra les doigts de m'avoir déposé dans ce crevoir. Quand on m'y enferma, j'étais juste un peu fatigué. J'étais sur le chemin de la rédemption, faisant enfin la paix avec mon for intérieur depuis que mon père était décédé dans une maison médicalisée. Le quartier me respectait. Toujours un sourire à la boulangère, un mot gentil pour la caissière du supermarché, une pièce pour le clochard qui levait sa Villageoise à ma santé. Vous avez cassé le processus.

Il faudra faire preuve d'inventivité pour leur pourrir la gueule. Par précaution, ce sont les enfants de leur père et ils ont oublié d'être cons, ils m'auront mis sous tutelle pour éviter que je dilapide l'héritage. Il me suffirait, par exemple, de m'arranger avec le directeur de l'établissement. Lui donner ma bénédiction pour qu'il surfacture. Il n'y a guère que mon petit-fils de seize ans qui bénéficiera de ma compassion. Avec son visage constellé d'acné, il me rappellera l'époque où j'aurais pu encore changer de cap. Je me ferai philosophe, espérant qu'il m'écoute religieusement. Je l'encouragerai à suivre le chemin de la sagesse, de la gentillesse et du partage.

Sur internet, j'ai pu me procurer du T-61, un cocktail d'embutramide, d'iodure de mebenzonium et de tétracaïne. Si d'aventure, je perdais mon autonomie, je l'ai planqué dans ma table de chevet, derrière une biographie de Sim et ma Bible de Jérusalem.

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