La Rage des Damnés

Cette époque ne vaut pas que l'on essaie de la frotter aux mystères d'une aventure intérieure, folie individuelle. Ma fournaise continuera de brûler dans la solitude de ma nuit. Ainsi va la vie, ainsi va mon écriture.

                                                                      Marcel Moreau, Cahiers Caniculaires

Kitty ne s'appellera jamais Collins. On a tué Michaël dans un guet-apens. La jolie coiffe à fleurs restera dans le tiroir. Ainsi va la vie de ceux qui osent. De ceux qui s'exposent. Un jour Kitty désarma un tueur pour sauver Michaël. Elle n'eut pas la chance d'être deux fois l'ange gardien. Comme Edith Piaf, Jacqueline Bouvier, Youki Desnos et tant d'autres, célèbres ou anonymes qui ont perdu la prunelle de leurs yeux, Kitty fut condamnée à aimer la mort dans l'âme.

Le destin semble peu clément pour ceux qui s'aiment haut et fort, envers et contre tout. Peu importe le prix ou le flacon. Quand Robert Capa survit au massacre de sa garnison et prend des photos uniques du Débarquement il n'a en tête que ce dîner avec Ingrid Bergman. Fauché comme les blés, elle lui offrira le vin. Mais il n'échappera pas à son destin, fauché à son tour, tel un martyr.

Quelqu'un pourrait il expliquer pourquoi certains hommes sont prêts à se faire tuer pour la gloire de l'humanité tandis que d'autres promeuvent la couardise de masse, impunément? Tout gouvernement qui cautionne les larves cathodiques sur canapé devrait être sanctionné d'ingérence. Ils insultent nos morts.

Et puis il y a les grands guerriers. De type anti héro. Ceux qui révolutionnent, pas ceux qui dictent. La technologie a réduit leur espérance de vie. Le non sens en a tué plus d'un dans l'œuf. Ceux qui militent contre l'avortement devraient aussi se liguer contre les assassinats d'avant conception: combien de grands esprits, de défenseurs de la liberté, d'artistes, d'âmes pures, extermine t on chaque jour, chaque instant, chaque seconde où nous nous plions au totalitarisme aveulissant ou au libéralisme névrogène? (Moreau, Monstre).

Le décompte existe depuis que l'homme a basculé dans le délire politique, soit depuis la nuit des temps. En nombre, cette liste obscure de l'armée des ombres décimée dépasse largement tous les génocides de l'Histoire.

Les grands guerriers anti héros, assoiffés de liberté, sont des exceptions. Si l'on a toujours cherché à les tuer c'est juste parce qu'ils portent sur eux, en eux et dans leur discours une vérité qui exaspèrent, faute d'annihiler, les manipulateurs, empoisonneurs, traîtres, assassins, lâches, obtus, calculateurs, matérialistes, conformistes, pollueurs, extrémistes, terroristes. Judas n'est qu'un enfant de chœur à côté de ces immondices.

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Je suis un obsédé des parfums de ton corps où tout a sauvage haleine puisque rien d'autre que lui je ne mange. Je suis un obsédé des jouirs de ton corps où tout va plus loin que tout puisque rien ne s'y archive de rien.

                                                                  Marcel Moreau, Insensément ton corps

Dans ce capharnaüm de miroirs aux alouettes l'homme a tendance à oublier que l'essentiel est de faire le bon choix. Au cours d'une vie, vient le moment de choisir d'être seigneur ou moins que rien. Au diable la diplomatie. Les concessions font perdre le latin au plus appliqué des moines. L'intégrité a un prix.

Ce n'est pas Camus, Malraux ou Sartre que les media relayent le plus mais bel et bien une bande de malins crétins qui ont réussi à s'adjuger le pouvoir. Difficile de prêcher pour le beau et le vrai quand le philosophe est relégué au second plan. A force d'ériger en modèle des fantoches, la société a réduit le penseur au rôle d'épouvantail. Au royaume des lubies, les imposteurs sont rois.

Si chaque seconde de l'existence est précieuse, il est temps d'enseigner l'enrichissement des sensations. Aucun pouvoir n'oserait cela. Mieux vaut conduire le peuple aux égouts plutôt que lui indiquer le sentier fleuri. Pourquoi l'enivrer d'émotions alors que le gaver de pourritures emplie les caisses? Celui ou celle qui a respiré le parfum de liberté ne peut plus se soumettre à la carcérale puanteur cartésienne.

Il nous faut donc traverser de longs couloirs où rien ne semble montrer la voie. Faire preuve de courage pour que ne s'efface soudain l'empreinte originelle, carte intime de cette route vers l'ivresse des sens, et d'imagination pour contrecarrer les coups bas des couards. Seul le feu de la rage des damnés est assez lumineux pour éclaircir les ténèbres où ils veulent nous ensevelir.

Si notre destin est de disparaître tel Néandertal, il nous appartient à nous, artistes du chaos et défenseurs de la liberté, de laisser un héritage, un trésor, une direction, dans l'hypothèse où tout recommencerait un jour.

Entre chaque combat, même si la partie semble compromise contre les obsédés de l'ordre, de l'illusion clinquante et des idéologies malfaisantes, il nous reste quelques manifestes à déclamer avec au ventre le fol espoir des gueux qui chantaient dans les églises quand la peste ou le choléra anéantissait tout.

Nous, chevaliers de l'impossible, relevons le défit de nous battre contre le sort, les inconscients et les obtus, nous, soldats sacrifiés à une cause perdue, avons la rage de renverser le cours de l'Histoire et de révéler le royaume des âmes pures, terre promise des écorchés vifs, ultime retraite des damnés.

                                                                                 2007

https://youtu.be/bPJqp3W8F7k