La robinetterie de l'âme

bleuterre

Je m'appelle Jean-Louis Lafont, j'ai cinquante ans. Depuis plusieurs année, ma vie de couple est devenu ennuyeuse à mourir. Pauline, mon épouse, a investi l'appartement. Elle ne travaille plus depuis l'arrivée de nos enfants. Nous avons eu Christian, puis Sophie. Maintenant, ils sont tous à l'université. De mon côté, je travaille encore, je suis plombier et passe mes journées à m'occuper de chaudières, de tuyaux et de robinetterie. J'ai souvent les mains dans la merde, c'est comme ça. Je ne manque jamais de travail et j'aime mon métier. J'apprécie particulièrement aller chez les gens, dans leur quotidien, leur intérieur, leur univers. J'aime les gens en général. Je vois de tout. Ça va de la robinetterie en or, aux sordides tuyaux de plomb.... Mais un point commun à tous : ils font leurs besoins dans la même faïence, au final. Le reste n'est que de l'enrobage.

Il ne faut pas croire, il y a des cons partout, dans toutes les échelles sociales. Et ce n'est pas parce que je suis plombier que je suis un imbécile.

Enfin bref, tous ces univers découverts, ça suffit à me faire aimer mon métier. Parce qu'à part ça, quand je rentre chez moi, il y a souvent Pauline. Elle grogne, ou elle ne dit rien. Et l'appartement est devenu un vrai musée, où rien ne dépasse. Elle a investi les lieux, comme une araignée aurait fait sa toile.

Je crois qu'elle déprime, Pauline. En vérité, ça me fend le cœur. Elle ne fait plus aucun effort pour être belle, et à la longue, je n'ai plus envie d'elle. Ça n'a pas l'air de la déranger plus que ça. La dernière fois que j'ai tenté ma chance, elle m'a traité de vieux cochon au regard lubrique. Alors que faire ?

Sortie des tâches ménagères et de la télévision, elle passe des heures à regarder à la fenêtre, la vie du quartier... ou plutôt, la non vie du quartier. Je lui dis qu'elle pourrait aller se promener. Je lui propose même de l'emmener en week-end, à la campagne, ou au soleil, à Ibiza ou à Venise. Mais non, il n'y a plus rien pour l'intéresser... Elle ne fait que tourner en rond, comme un hamster dans sa roue. J'en ai parlé au toubib, il lui a prescrit des antidépresseurs, mais elle ne veut rien entendre et dit que tout va bien.

Il m'arrive de lui raconter mes journées, mais je vois bien que je la dérange...

Je me sens tellement étranger chez moi.... tellement que parfois, j'ai envie de faire mes valises. Et puis pour aller où ?

Pauline, je la revois encore quand je l'ai connue, en quatre vingt. Je commençais à travailler, elle était ma voisine de pallier et faisait des ménages. Elle était belle, la petite. Je m'amusais à la surprendre dans la cage d'escalier. Quand j'entendais le cliquetis de ses clés, je sortais sans bruit et criais « OUH ». Elle se mettait à hurler, les premières fois, et puis partait dans un grand fou rire. La stratégie a été payante. Nous avons commencé à aller au cinéma, ensemble., et de fil en aiguille, nous avons noué une vraie relation.

Et maintenant, comme dans la chanson, que reste-t-il de nos amours ? Une femme à la fenêtre, qui vit comme un fantôme. Comment en est-elle arrivée là ? Il me semble que tout a basculé il y a cinq ans. Elle allait à ses réunions, régulièrement, le vendredi soir. Une chorale, en centre-ville. Elle s'était découvert une passion pour le chant. C'est vrai qu'elle a une belle voix, la Pauline. Elle partait parfois en week-end avec eux, ils allaient en tournée. Mais elle n'a jamais souhaité que j'aille a voir en spectacle. J'aurais bien aimé, moi. En tous cas, sa libido n'a jamais été autant au beau fixe qu'à cette époque. Cela a duré un an. Et puis ensuite, tout s'est arrêté. Elle ne me regardait plus comme avant, il y eût comme un ressort cassé. Je me demande si elle n'a pas connu quelqu'un d'autre, là bas. Quelqu'un qui l'aurait plaqué ensuite, comme une vieille chaussette usée. Je me demande si elle n'est pas tombée amoureuse.

Vous savez, les gens, je les connais, même si je suis plombier, je ne suis pas idiot. Je comprends parfois ce qui n'est pas dit. Et là, pour Pauline, quand j'y repense, c'est presque une certitude. Je pourrais lui en vouloir, être jaloux... Mais non, ça me déchire le cœur de la voir comme ça. Mais il faut me rendre à l'évidence, je crois que je l'ai définitivement perdue, maintenant. Elle est ailleurs.

Je crois qu'un jour, je ferai le pas. J'irai sur un de ces sites de rencontre. Je n'ai pas le courage de la quitter, mais j'aime trop la vie pour ne pas aimer de femme.

Signaler ce texte