La télévision, mon Amérique

david-b

Le début de l'Amérique, c'est la télévision.

Je suis là, sur le divan, à contempler les mouvements de la télévision, les grésillements et les différents flashs, les images qui se succèdent sans que je puisse encore les comprendre. Je suis un bébé, et c'est la télévision qui m'éduque, la télévision qui me montre le monde tel qu'il est. Mes parents sont absents, ils travaillent ou mènent je ne sais quelle double vie, je suis un bébé et mon monde se réduit à mes jouets, et cet écran, ce fascinant écran lumineux.

Et longtemps, la télévision attrape mon esprit, longtemps je la fixe, dans l'obscurité propice aux films de cinéma. Parfois seul, parfois avec mes parents. Mais surtout seul.

L'interdit, c'est la télévision qui me l'apprend. L'interdit, c'est lorsque l'on m'empêche de regarder certaines choses à la télévision, des films jugés trop violents. D'Indiana Jones, je ne peux voir que la balade à dos d'éléphant. De Star Wars, je ne peux voir que le séjour aux pays des ours en peluche. Il y a aussi ces petits logos dans le coin de la télévision, m'avertissant de ce que je peux voir, ou pas. Ma vie, soudain, commence à être filtrée.

Puis je grandis, je m'éloigne de la télévision pour connaître le monde, la vraie vie, et le soir, lorsque je rentre déçu, frustré de mes journées, je retourne devant la télévision, et je regarde les comédies américaines, si ouvertes, si amusantes, si simples...

Une opposition se crée, entre cette vie là-bas, et ma vie ici. Là-bas, les gens sont sans retenue, ils sont peut-être superficiels mais ils sont là les uns pour les autres, ils partagent leurs sentiments et accordent de l'importance à leurs amis, leurs familles. Ici, les gens sont renfermés, ils se prennent au sérieux et s'éloignent de tout, les gens se craignent les uns les autres et se cachent tout, se cachent tout même à eux-mêmes.

Puis je grandis, il y a les études, le travail fastidieux chaque soir. Les devoirs à rendre, les examens. Ma seule consolation, c'est la télévision. Je regarde les séries américaines, et plus âgé, je peux désormais voir les séries dramatiques, les séries violentes. Les trahisons, le sang à l'écran. Le sexe, la drogue, le sang. J'ai toujours eu cette fascination pour le petit écran. Ma fascination n'en devient que plus grande face à ces objets longtemps interdits, désormais offerts par ma majorité. L'écran me montre ces choses. Elles sont juste de l'autre côté. Je n'ai qu'à traverser cet écran.

Et cet écran, c'est la fin de mes études. Et ainsi, je poursuis mon travail, poursuis mon labeur de tous les jours, dans l'espoir de pouvoir partir un jour pour l'Amérique.

Une fois mon diplôme en poche, je quitte la France, à jamais.

Je trouve un boulot dans une grande firme américaine, je gagne bien ma vie, le soir je traîne avec quelques collègues dans les bars de New York, le week-end dans les restaurants huppés, je trouve des filles par-ci par-là, et bientôt, bientôt, tout cela ne me suffit plus, tout cela ne suffit pas à la romance que j'ai toujours rencontrée à la télévision. Je veux plus. Je veux des gens plus vrais. Des relations plus vraies. Des émotions plus vraies.

Je quitte tout, quitte le New York de Manhattan pour rejoindre le Queens. Je loue un appartement plus austère, et accepte un travail de serveur dans un petit restaurant du coin. Je rencontre d'autres gens, différents de ceux que j'ai pu voir jusque là, mais encore, il leur manque quelque chose, il leur manque ce petit plus, cette étincelle qui fait que la vie en vaut la peine.

Alors je rentre, et me pose devant la télévision. Je ne reçois plus les chaînes, le passage au tout numérique a tranformé ma télévision en un écran gris, gris noir, gris blanc, gris, gris, gris, quand soudain, une image, brève, un jeune garçon, encore innocent, qui n'a pas connu la télévision, et qui est resté vivre chez lui, qui n'est pas parti loin de tout pour chercher quelque illusion désespérée. Je pleure, je pleure, pourquoi suis-je parti, que suis-je donc bien venu chercher là ? La télévision m'a trompé, la télévision m'a toujours trompé, elle m'a fait croire qu'il y avait des choses à vivre, alors qu'il n'y a que la vie, il n'y a que la vie sans histoires, la vie sans rêves, la vie sans émotions. Alors je prends ce flingue, et je me tire une déflagration dans la tête. Mon cerveau blanc glisse sur la surface courbée de l'écran de télévision. Au sol, mon sang rouge, et mon cadavre, noir.

La fin de l'Amérique, c'est la télévision. Entre-temps, c'est un rêve, profond, et déchirant.

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