La voie du Nord

Avant que ne se démocratisent les quotidiens, il existait les crieurs publics ou les placards. Rien à voir avec le cagibi où je passais des moments propices à m'évader par l'esprit. Quant au métier de crieur, même s'il a disparu, il a su garder de la voix par le biais des commères. C'est une vieille tradition, transmise de génération en génération, qui consiste à diffuser des informations, amplifiées, déformées et dramatisées à l'extrême. Facebook n'a donc rien inventé; il n'a fait qu'adapter à la sauce mondialisation une pratique ancestrale.

Selon les régions et les climats, les habitudes varient d'une région à une autre. Dans le Nord, tout commence par une observation scrupuleuse de son environnement, caché derrière les jalousies l'été et les brise-bises en dentelle l'hiver. Les plus rusées ou les plus avancées technologiquement n'hésiteront pas à placer un miroir de courtoisie articulé pour améliorer l'angle de vue sans être repérées. Pour ma maman, c'était donc faire d'une pierre deux coups. La glace servirait également à se percer ses points noirs. Ainsi, vous ne l'aviez sans doute jamais remarqué mais Big Brother est là, scrutant le moindre de vos gestes jusqu'au fin fond des corons.

Pour prendre de la hauteur, le journal est le medium qui permet de faire le lien inter quartiers, de vous relier à la cité et de développer un sentiment communautariste. De plus, il crée du lien social entre voisines. Une fois les marmots à l'école, le ménage expédié et la lessive en route, il reste alors le plaisir de se plonger dans les pages locales. Un long travail de mémoire se met en œuvre. Les pages nationales et sportives sont survolées; on les laisse au chef de famille.

La citation d'Andy Warhol qui consiste à dire que tout le monde connaîtra son quart d'heure de gloire est une réalité. Par une enquête minutieuse, des recoupements et en se référant à la mémoire des anciennes, chacun des acteurs présentés dans la rubrique nécrologique ou culture devient l'épicentre autour d'une tasse de café. Par culture, n'allez cependant pas imaginer que la cuisine se transforme en salon littéraire. Il faut s'adapter aux exigences indigènes qui se résument aux activités du foyer des anciens ou à une exposition de scrapbooking.

Les matrones sont donc tout autant sociologues, généalogistes qu'historiennes. C'est également l'occasion de se défouler et de cracher sa rancœur et sa frustration. Le bémol est, qu'une fois rentrées dans leur foyer, elles deviendront le bourreau et la victime de leurs acolytes. Un mot prononcé, sans avoir tourné sept fois sa langue au préalable, sera ruminé, disséqué et recyclé dans les pénates d'une riveraine absente ce jour-là.

Les études de ma maman se sont arrêtées au certificat d'étude. L'orthographe est pour elle une science. Si le champ lexical ne lui permettra jamais de se plonger dans la complexité d'un roman de Marc Levy ou de Guillaume Musso, il reste suffisant pour s'extraire de l'analphabétisme et pour entrer dans la catégorie des êtres pensants.

Quand elle me téléphone, je connais la chanson. Le fils Machin qui est le petit neveu par alliance de la fille Trucmuche (Mais si, celle qui fréquentait le garçon Untel) a été arrêté avec une barrette de drogue; la belle affaire.

Je pose le combiné et je fais sauter ma petite sur me genoux au rythme des nasillements lointains dont l'intérêt est proportionnel à l'attention que ma maman me portait quand je lui racontais mes exploits de la cour de récréation.