L'allumette et la pâquerette

J’affirme que les pâquerettes ne sont réellement belles que lorsque le soleil les inonde de lumière. Autrement, la noirceur les immole. J’envisage de rendre l’âme demain ou plus tard mais toujours à l’improviste. Une guitare n’est belle que lorsqu’elle joue, une femme n’est belle que lorsqu’elle lit. Tout est dans l’acte, même dans la philosophie. Je n’ai que faire de la noirceur aujourd’hui, les oiseaux piaillent et moi je lis. Je lis des livres inutiles et marginaux. Leur écriture me fait fondre et tue mes maux.

Je m’accouple avec des vers et des pensées futiles en riant des autres. Je ne peux m’empêcher de rire et de ne pas trouver de sens dans les mots qui volent de bouche en bouche. Le spleen n’est pas beau qu’à Paris, il n’est beau que par écrit. Le reste me dégoute et me tue par des sous-entendus. Je suis ravagé d’entendre des conneries voler à tire-larigot, la vacuité se promener sur le bout des langues. La vanité a pour nom Sanson et se moque à mesure que j’avance dans le temps. C’est une guillotine rigolarde qui me regarde vaciller entre un interdit et un autre. La musique est une balle de revolver m’arrachant à cet élégant et noir enfer.

Faire attention, faire bonne figure. Histoire d’être hypocrite et bienpensant, histoire de se dire que j’ai une place dans ce monde dément. Je n’en ai cure et m’assure souvent que les autres le sachent. Il n’y a rien de plus jouissif qu’une mine décomposée, outrée, choquée, en colère et pleine de fiel. Ma vie est un éternel conflit, je suis un silex  qui se frotte, je suis une allumette en colère qui fait du feu même dans une flaque. Je suis une pâquerette à la lumière qui vous emmerde et n’a pas besoin de dire du mal autrement qu’entre quatre yeux furieux.

La puissance brute des mots me sidère lorsque je vois un beau poème. J’ai un choc esthétique, ma mémoire atavique se met en branle et me rappelle qu’au fond j’aime les fruits et je ne suis qu’un singe idiot. Est-ce que… j’ai les paupières cousues, dis maman ? Comme les oiseaux ? Il faudrait me les déciller. Au propre comme au figuré. Il faudrait toutes les déciller non maman ?

Quel est cette putain qui m’a dit un jour qu’elle pouvait me faire un prix pour quelques minutes encore ? Histoire qu’au moins le travail soit accompli… ce devait être à nouveau cette absurdité interne aux choses. Elle disait : « t’en vas pas, je n’ai pas encore fini ». « Et t’auras fini quand ? ». « Jamais pourquoi ? ». « Ah… ».

Alors bon, j’ai fait avec. Quitte à vivre et crever dans un continuel échec, dans une continuelle réussite envisagée, mieux vaut se mettre à aimer, même ce qui est immonde. Et c’est pourquoi je trouve souvent certains cadavres plus beaux que certaines catins de la gare du Nord. Au moins eux sont francs. Et puis moi j’agis. Et les tirades ne m’intéressent que pour l’action, les mots ne m’intéressent que pour l’action, la vie ne m’intéresse que dans un feu noir et beau. « Certains hommes rêvent juste de voir le monde bruler ». Et après mon bon Alfred ? Du moment que c’est beau et en acte après tout… pourquoi ne pas le faire bruler ?