L'Armoire
blonde-thinking-on-sundays
C'était le premier jour du printemps. Je m'en souviens encore. Comme chaque jour à 16h30, notre volée de pieds réveilla la maison engourdie dans un rayon de soleil. Puis les rires, les cartables délaissés, les "pousse-toi, c'est moi le premier" remplirent le vestibule comme autant de pleins et de déliés; de vie.
Puis tout se tut. Nous attendions le sourire, les bras tendus, les bises claquantes sur nos joues rondes. Rien n'arriva. Rien. Rien ne nous parvint. Pas même le murmure du lait frémissant dans la casserole, ni le chant du couteau qui écorche le pain grillé. Pas un seul bruit depuis la cuisine. Nos regards tombèrent l'un dans l'autre, puis je me mis à appeler. J'appelai à tout-va, à tue-tête, à tout bout de champ. Pas de réponse. Volée de pieds à travers pièces: le salon, la cuisine, le jardin. Rien. Alors l'étage certainement? Nos chambres, la salle de bain: toujours personne. Les larmes commençaient à gonfler les yeux de mon petit frère lorsque nous nous retrouvions alors devant la porte de sa chambre. Le battant grinça doucement sur ses gonds et s'ouvrit sur la grande pièce. Vide. Plus de lit, plus de commode, la bibliothèque disparue...Plus rien: une chambre vidée comme par magie, vidée de tout à l'exception de son énorme armoire normande, au bois de chêne ciselé.
Jojo hurla, s'écroula sur la moquette et se roula au sol, tapant des poings et des pieds, effondré. J'avançais vers l'armoire et tirais à moi ses deux lourdes portes, le coeur explosant dans mon petit corps. Vide aussi... Jojo s'arrêta de pleurer, rassemblant ses genoux contre sa poitrine. Il se mit à chantonner une comptine. Je l'abandonnais là, refaisant le tour de la maison, plus méticuleux. Des détails me sautèrent alors aux yeux. Sa boîte à couture, sa collection de vinyles, ses bibelots, ses livres de cuisine, ses chaussures, son manteau... Tout ce qui lui appartenait était emporté. Je restais là au milieu de chez nous, perdu, les bras balants, cherchant encore en vain un objet, une odeur qu'elle aurait daigné nous laisser. Elle était partie et nous devions maintenant vivre sans elle. Je restais prostré, choqué sans savoir si je devais hurler, pleurer, me lamenter ou exploser de rage, de colère ou de rancoeur. C'est alors qu'on sonna. Jojo dévala l'escalier avec l'espoir et l'énergie d'un prisonnier du mauvais rêve, souhaitant plus que tout au monde se réveiller. Il se jeta sur la porte d'entrée et un homme immense apparut. Il était rustre, vêtu d'une cote grise. Derrière lui, un camion stationné en double file. Ses yeux se posèrent sur moi puis sur mon frère. Il haussa ses larges épaules dans un long soupir et nous dit simplement : "Aux beaux jours, les femmes partent, c'est ainsi..."
Il me tendit une facture, m'intimant de la remettre à notre père puis tourna les talons. Desespéré, je me précipitais après lui, le questionnant : "Et...Et l'armoire?"
Ouvrant la porte de la cabine de son camion, puis posant le pied sur le marche-pied, il marmonna sans même me regarder: "Trop lourde... Trop encombrante...Impossible à démonter..."
vous êtes terriblement efficace, la chute est redoutable...
· Il y a presque 11 ans ·Christophe Paris
merci Christophe ! :)
· Il y a presque 11 ans ·blonde-thinking-on-sundays
Le philosophe : il fut un temps pas si lointain, où le trousseau de jeunes mariés avait était prévu dès la naissance d'un enfant, à mettre sous alliance plus tard. Un arbre, recueil de patience, livré sous forme d'armoire, harmonisait les racines de deux familles de souches très souvent différentes. Ce livre de carbone à deux portes , refermait l'adolescence, donnait des vertus à l'âge mûr, celui apparenté à une nouvelle union.
· Il y a presque 11 ans ·Le poète : l'armoire reste l'unique tombeau des êtres chers. La première défaillance des héritiers, est de croire qu'un être même mort, peut être encombrant. Les vers ne sont jamais solitaires, ils ont pour coutume de ne jamais faire référence aux notaires. " Cieux bleus ", l'éternité existe, " Bleu cieux" la nature n'a de cesse de nous le répéter. Tendresse à ton coeur en peine, Dimir-na.
dimir-na
Merci pour ce message qui reflète l'image que je me donne à l'armoire. Qui plus est je note que vous avez lu d'autres de mes textes ce qui me touche beaucoup. Mon coeur va bien ;-) l'écriture certainement... Merci encore pour ce mot unique
· Il y a presque 11 ans ·blonde-thinking-on-sundays
Je me l'étais mis de côté celui-là pour y accorder le temps nécessaire. C'est fait.
· Il y a environ 11 ans ·Pfffiouuu... Il y aurait tant à dire sur l'allégorie de l'armoire.
Tu nous laisses réfléchir exactement comme il faut.
Brillant !
wen
ooooohhhhh
· Il y a environ 11 ans ·blonde-thinking-on-sundays
Il reste un arrière-goût de révolte contre ce qui ressemble à un abandon sans pré-avis... Et la question posée par "cette" enfant dénote peut-être d'une acceptation non encore réfléchie, ou peut-être pressentait-elle ce départ ?
· Il y a environ 11 ans ·ahqepha
Dieu que j'aime les peut-être... Eveiller en vous ces suppositions est pour moi la preuve d'un partage réussi... Merci ahqepha... Mais qui sait...
· Il y a environ 11 ans ·blonde-thinking-on-sundays
Très touchant. Merci BTOS
· Il y a environ 11 ans ·lodicee
De rieng... BTOS ? Blonde...
· Il y a environ 11 ans ·blonde-thinking-on-sundays
Excellent, vraiment ... merci!
· Il y a environ 11 ans ·Véronique Pollet
Merci à vous !
· Il y a environ 11 ans ·blonde-thinking-on-sundays