L'association de trop

L’association de trop

La salle avait des dimensions gigantesques et le petit cercle qu’ils formaient, renforçait le sentiment d’inconfort dans lequel chacun semblait plongé. L’animateur, un jeune type à lunettes rectangulaires, monture noire très tendance, promena un regard qui se voulait bienveillant sur ceux, venus de gré ou de force, développer leur créativité.

- Bon, les présentations étant faites, nous allons maintenant attaquer le vif du sujet. Le principe de cette première session du séminaire est archi-simple : vous allez à partir d’un mot proposé par l’un d’entre vous, associer, en tournant dans le sens des aiguilles d’une montre, sans réfléchir, c’est très important… le premier mot qui vous vient à l’esprit. Chacun associe sur le mot précédent et non pas sur le mot de départ. Vous voyez… rien de plus facile.

Il guetta un signe d’approbation parmi les participants. Quelques « oui » étouffés s’échappèrent du cercle, minces promesses d’une entière et brillante collaboration. Seul, le plus vieux de l’assemblée, un chef de produits quadragénaire, leva la tête et, après s’être raclé la gorge, prit la parole.

- C’est parfaitement clair. Je pense que nous avons tous joué à cela lorsque nous étions enfants.

Il se tourna vers sa voisine dont le visage s’empourpra immédiatement.

- Oui, oui… bien sûr, balbutia-t-elle en rougissant de plus belle.

- Tenez Edith, ajouta-t-il, avec une assurance que sa toute nouvelle position de leader du groupe, venait de faire éclore. Si je vous dis « chien », vous répondez ?...

- Chat ? déglutit-elle, les yeux implorant toute la mansuétude du ciel.

- C’est exactement cela Edith ! intervint l’animateur qui n’avait pas l’intention de laisser au quadra le rôle pour lequel il était grassement payé. C’est ce que l’on peut appeler une association sémantique inverse. Vous auriez répondu par exemple « fidèle », nous aurions eu à faire à une association sémantique simple… Inverse, simple… vous comprenez la différence ?

Il savoura l’effet produit par l’étendue de ses connaissances et rencontra les regards qu’il attendait : admiration et respect. Satisfait du résultat, il pivota légèrement sur sa gauche.

- Et vous Thierry qui êtes le suivant, vous enchaineriez sur… ?

- Os ! éructa le jeune homme au crâne rasé.

- Ah non Thierry!… La consigne consiste à enchainer sur le dernier mot associé, en l’occurrence ici, le mot « chat », et le mot « os », tout le monde va spontanément l’associer à « chien »… Os, chien… pas os, chat… donc, si je reprends… Chat ?

- Châtiment ? murmura le jeune, dont le teint était devenu aussi chatoyant que la lumière des néons qui irradiaient la salle.

Un murmure de désapprobation bruissa dans les gorges nouées des autres participants.

L’animateur se fendit d’un sourire que chacun crut complice.

- Mais c’est parfait Thierry… Chat, châtiment… grâce à vous, nous venons de découvrir une nouvelle catégorie d’association que l’on dit phonétique… Vos petits camarades n’en reviennent pas… hé bien, ils ont tort !

Douze têtes se baissèrent en une union collective de cancres pris en flagrant délit d'ignorance. Seul Thierry gardait la sienne dressée comme un général romain prêt à recevoir la couronne de laurier, symbole de sa gloire.

- Oui, reprit l’animateur, vous avez également des associations phonétiques, comme mer et méridien… ver et vermine… Bon, cela étant dit, nous partirons du principe que les associations phonétiques seront interdites pendant toute la durée de l’exercice. Trop facile Thierry et peu créatif... Concentrons-nous sur les deux premières catégories et bien entendu tout ce qui pourrait être interprété comme une association subjective et/ou inconsciente, est exclu de notre champ de travail…

La couronne de laurier tomba en silence.

- Vous pourriez nous donner un exemple ? questionna Brigitte, une assistante de direction qui, assise à la droite de Thierry, prenait fébrilement des notes sur un calepin depuis le début de l’exercice.

- Bien sûr… je suis là pour cela… voyons… je ne sais pas moi… Vous me dites le mot « craquement» et j’enchaîne sur « peur »… ou sur « punition»…

Brigitte griffonna sur son calepin quelques signes qui ressemblaient à de la sténo.

- Vous avez eu une enfance malheureuse ? demanda-t-elle d’une voix noyée de compassion.

- Mais non se récria l’animateur dont le visage s’était assombri… Qu’allez-vous imaginer… je cherchais un exemple, juste pour répondre à votre question. Bon, je crois que tout le monde a parfaitement compris maintenant les règles de l’exercice. Il est temps de commencer… Allez… Qui veut s’y coller en premier ?

- Moi ! s’écria Brigitte, en levant le doigt…

- D’accord Brigitte et on continue dans le sens inverse des aiguilles, cela laissera à ceux qui n’ont pas encore parlé, le temps de s’habituer aux règles… Attention… ça va aller très vite… Go Brigitte !

- Maltraitance…

- Animateur, enchaina Thierry qui tenait sa revanche.