Le bourreau du poète

Frédéric Cogno

L'été lourdement s'est couché

Sur les débris de mon âme,

Je pleure, lui saigne en secret

Sa blessure sous un arbre.

 

Il oscille se ramifiant

De parfums grincheux et fantômes,

L'ombre gémit, le rêve embaume

La chanson triste du plaignant.

 

L'été, serait-il du tombeau?

Non, il songe le nez en l'air,

Il fixe un point précis, un mot,

Le coeur du grand astre solaire.

 

Puis soudain il ferme les yeux

Libérant un sonnet de pluie,

Annonciateur silencieux

Du désespoir dans la prairie.

 

Paresse et servitude noire,

j'admets le bourreau sous mon toit,

Il sent le brouillard et la poire,

Au loin, l'été souffre à mi-voix...

 

_"Ah! Mon hôte!... Je vous salue!

Prendra-t-il un peu de Porto?

_ Pourquoi pas?...Du plus noir, qui tue...

Tiens,...dehors, il fait encore beau!?...

 

_ Ah, non!...Ne me chagrinez pas!

Car je suis mal en point virgule...

Posez ici votre frimas,

Votre ironie est ridicule...

 

Installez-vous ,on va parler

Nos deux culs sur mon écritoire;

Vous ne vous lasserez jamais

De lacérer mon nonchaloir?...

 

Oui, dîtes-moi, l'été, ma joie,

Mon amour, mon berceau, ma fleur,

Qu'advient-il de lui, vous chez moi,

Pendant que vous sirotez l'heure?

 

_Je me détends sur vos écrits...

De bon goût..., quoiqu'un peu bavard...

Sachez qu'il dort, sujet souscrit,

C'est fait...,l'automne prend du lard...

 

Et sa tête pleine d'artistes

Posée sur le verbe accoudoir,

Reprendra lentement la piste

Des sombres jours dans la pluie noire...

_ Je cours vite le réveiller!

_Surtout pas! Croyez-en le diable!

Restez donc ici forcené!

Dieu vous lirait l'irrémédiable!

 

_Je ne crois pas qu'il soit trop tard!

_ Trop tôt! De vous seul il dépend...

Ecoutez-moi...,suivez votre art...

_Ma poésie??!!... Comme c'est charmant...

 

En somme, vous aimez mes textes?

_Vos rimes nues dans les rocailles.

_Ma muse, enfin ce qu'il en reste...

_Celle de l'esprit sans cobaye...

 

_Et mon chant? L'aimez-vous vraiment?

_Oui, je vous l'avoue et confesse

Un goût funeste cependant...

Que de mots pour si peu de fesses!

_Oui, c'est vrai... fausse salaison!

Un jour à trop user d'alliages,

A trop parler d'une saison,

Je serai las de ce verbiage.

 

Je m'en veux d'être si touffu...

Belle ombre qui s'accoutre

Ne nids éteints, bien entendu

A s'y méprendre sur le foutre..

 

Oh, et puis l'amour s'est pendu...

Avec l'été qui va mourir...

L'instigation..., peine perdue...

Sans ce fou, à quoi bon écrire?

 

_Taisez-vous mon enfant! Silence!

Pourquoi répudier vos poèmes?

Vous avez tort, frêle patience,

Cherchez, insistez, osez même...

 

Pressez le vers, rendez-le sourd...

Noyez les cris d'un peu de Lui...,

L'été de lumière et d'amour,

En un seul mot, il aura lui!...

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