Le Chargeur

victoria28

   C’était vraiment une belle voiture. Noire, comme il aimait. Brillante avec des jantes en aluminium brossé. Sobre. Pas donnée.

   Il passa un dernier coup de peau de chamois sur le pare-brise, rectifia une coulure de lessive qui avait goutté sur la calandre. Maintenant il lui restait  l’intérieur à briquer. Il y en avait bien pour une heure. Ca ne le dérangeait pas. C’était une belle voiture. Si seulement tous les clients pouvaient être comme ça. Du cuir et du chrome. Du bois de ronce. Pas ce plastique miteux qu’on faisait dans les modèles bas de gamme avec leurs sièges en moquette grise.

   Il ouvrit la porte et s’installa côté conducteur, laissant son seau et sa raclette sur le gravier ratissé. Le cuir gémit sous son poids. Comme avant. Il ferma les yeux.

   Aspirateur, chiffon, spray nettoyant. Il connaissait la procédure, depuis trois ans qu’il traînait son aspirateur de villa friquée en garage prétentieux. Dimitri aurait bien rigolé s’il l’avait vu dans sa blouse de larbin.

   Ce connard de Dimitri. Il plissa le nez. La procédure pouvait attendre. Assis sur le siège avant, la tête renversée sur le dossier, il s’emplissait les narines de l’odeur de musc qui montait du volant. L’odeur du pouvoir. Comme avant.

   Un cri de femme le fit sursauter. Il ouvrit les yeux. Mais non, personne ne pouvait le voir depuis la villa cachée par les palmiers. Il y eut un rire aigu, des cris excités, puis le bruit d’un corps poussé dans une piscine sous les applaudissements. Quand elle sortit de l’eau la femme se mit à lancer des insultes en russe.

   Il retint une grimace. Il la voyait d’ici. Une blonde. Les seins refaits et le cul bombé. Cuite aux UV. Disponible. Il ferma les yeux à nouveau et l’imagina assise près de lui, sur le siège passager en cuir crème. Il tendit la main et crut presque la toucher.

   Disponible. C’est ça que Dimitri aimait. Ca, et les grosses voitures noires.

   Il ouvrit les yeux d’un coup. Qu’est-ce qu’il foutait là ? Dans les bruits de piscine la fille criait toujours en russe et d’autres voix lui répondaient. Des voix autoritaires qui n’aimaient pas qu’on leur résiste.

   Il saisit son chiffon et commença à frotter le levier de vitesse et le volant et les cadrans. Il savait que ça finirait comme ça. Il se pencha vers la boîte à gants, pulvérisa un peu de spray, en retardant le moment d’ouvrir l’abattant. Mais il savait que ça finirait comme ça. Il poussa le bouton.

   Les battements de son cœur accélérèrent.

   Quelque chose brillait doucement tout au fond. Noir, compact, velouté. La poignée un peu rugueuse et le canon court. Le sang lui battait aux oreilles quand il le prit en main.

   Un beau joujou. Au bout d’une hésitation aussi longue qu’une entrée en scène il déverrouilla le bouton du chargeur. Prêt à l’emploi. Il sourit alors.

   Il remit le chargeur en place, il passa le doigt sur le canon, sur la détente, il caressa la poignée du gras de la paume, il la soupesa de sa main amoureuse. Finalement il posa ses lèvres sur le viseur. Il l’embrassait avec ferveur. Disponible. Comme avant.

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