LE DÔME (Parano story)

Pascal Coquet

 - Avant-propos -

          S’il est un thème, rémanent, qui ne s’arrête jamais de vagabonder dans mon esprit et qui, par là même m’interpelle fortement, c’est bien le déroulement incompressible du temps.

         Par cette fiction, je tente d’illustrer le caractère, répétitif, illusoire et vain d’une humanité telle que la nôtre, même projetée dans la société d’un futur incertain… L’Histoire, avec un H majuscule, n’est qu’un éternel recommencement. (Mais y a t il eu un commencement ?)

Quant à l’être humain, il ne fait que tourner en rond, il se mord la queue. La technologie n’est qu’un leurre, le miroir aux alouettes.

Les récents progrès de la génétique autorisent des débordements, d’où cette nouvelle hallucinée. Mais n’est-ce pas l’apanage de la science-fiction ?

Pascal Coquet

«  Mais alors, dit Alice, si le monde n’a absolument aucun sens, qui nous empêche d’en inventer un ? » Alice au pays des merveilles - Lewis Caroll

- Introduction -


Quelque part au sud-est de la Pologne, loin des zones industrialisées, un brave paysan s’adonne à son loisir favori dans les profondes forêts de la Haute Silésie : La chasse aux sangliers.

Un tantinet braconnier, par bravade mais aussi pour améliorer l’ordinaire de sa pitance, il s’apprête à poser des collets et autres chausse-trappes du même acabit accablant pour la capture du petit gibier.

Ecartant les branchages et les feuilles amassées, quelle ne fut pas sa surprise de découvrir : un sol de béton !

Que ce trame-t-il donc au dessous ? Il ne peut certes pas se douter qu’il y a là, enfouie sous ses pieds, une vaste construction souterraine et, à l’intérieur de celle-ci, un homme s’interroge sur sa curieuse destinée…

 

- La vie dans le dôme -

Voila, c’est fait. Je subodorais plus ou moins inconsciemment que ce jour devait arriver.

Où suis-je ? Je ne saurais le dire. Un hall immense, impersonnel et froid. Des pancartes où figurent des caractères cyrilliques, placardées sur le mur écru, donnent certainement des informations, des indications, mais je ne puis en déchiffrer le sens.

Je vis dans l'inconnu, l'étrange et le fantastique.

Du reste, je ne parviens pas à appréhender mon environnement.

Au fond de moi, je sens confusément un mal-être, je suis au bord de l’amer. J'ai obscurément l'impression d'avoir toujours vécu dans cet endroit qui, cependant, m'est totalement étranger.

Soudain des portes coulissent, pivotent, je bascule et me retrouve ipso-facto isolé, retranché, dans une pièce. Incarcéré si je puis dire.

Un univers très sobre s'offre à l'avidité de mon regard :

Quatre murs, un lit. Une petite bibliothèque avec quelques livres.

Je sens néanmoins une présence insistante, dérangeante. On m'épie, on m'observe. Un très léger bruit perturbe le silence ouaté de ma singulière prison : Dissimulée dans une cloison, une cellule électronique, un œil globuleux au regard glacial me scrute.

Des haut-parleurs retentissent : "Madame Rey est demandée à l'accueil... On attend monsieur Porticcio à la salle de désinfection...monsieur Bar à l'espace Séquoia..."

On se croirait dans un terminal d'aéroport, une plateforme d'embarquement !

Cela fait maintenant quinze jours que je suis en "observation" dans ma cellule, quoique je n’aie guère la notion du temps ou du moins elle est toute relative. Quelquefois une trappe s'ouvre et un petit plateau apparaît. Il est garni de diverses gélules et autres pastilles colorées, cela constitue mon seul repère temporel et m’indique également que je ne suis pas seul en ce lieu.

Le Celtax, en cannette, est une boisson visqueuse de couleur bleu métallisé. Tiraillé par la faim, la soif, je me mets à table.

Les capsules ne sont autres que des aliments réduits à leur plus simple expression, iophylisés et ainsi conditionnés, quant au Celtax, on peut dire qu'il me requinque et me revigore.

Je n'ai aucun souvenir d'un éventuel monde extérieur, cela ne me vient même pas à l'esprit, cependant je pense qu’il existe, ou alors ce qui est écrit dans les livres n’est que pure fiction ?

Une routine s'installe peu à peu, je suis toujours environné d'un silence pesant mais m'y suis habitué. De la même façon, les messages diffusés par haut-parleurs ne me dérangent pas d'avantage.

En cet instant, ou plutôt depuis quelque temps déjà, je me donne l’impression de n’être rien moins qu’un hamster tournant dans sa cage ... Mais qu'y faire ?

- L'exploration -

J'entends soudain un nouveau son : Une clef tourne dans une serrure, un loquet bascule. Qui va entrer ? Personne. Est-ce un piège ou une chance de sortir de mon isolement forcé ?

J'abaisse la clenche de ma porte qui est désormais déverrouillée et sors discrètement.  Rien aux alentours, je pars donc à la découverte de mon terra Incognita :

A perte de vue, des couloirs circulaires et vides entourent un patio tout autant désert. Je m'approche de la balustrade et mon regard scrutateur plonge littéralement dans une profondeur abyssale vers une cour intérieure. Le sol se situe probablement à une vingtaine d'étages plus bas, un bonzaï géant pousse dans un immense baquet empli de sable et d'écorces de pin.

Malgré un léger vertige qui m'assaille, mon œil perçant distingue un local vitré abondamment éclairé. C’est en fait une vitrine et est "peuplée" de mannequins. Fixant d'avantage mon attention, je constate avec un étonnement mêlé de stupeur qu'ils sont tous incomplets, difformes.

Ces tristes pantins désarticulés, inanimés, ne présentent pas grand chose d'humain. En fait ils me font penser à des androïdes, On dirait des créatures sorties de l'imagination d'un Stanley Kubrick, d'un Stephen Spielberg ou encore d'un Georges Lucas ... Toujours est-il qu'une lourde atmosphère pèse en ce lieu.

Détournant mon regard et redressant la tête, j'avise le toit du dôme :

Il est constitué d'une unique et gigantesque coupole de verre opaque soutenue par quatre pieds de béton d'une dimension colossale plongeants vers l'abîme des soubassements. La lumière du jour ne pénètre pas. De vingt-quatre gueules monstrueuses disposées à la circonférence de cette énorme vasque d'opaline jaillit un éclairage diffus. Les statues proviennent vraisemblablement d'anciens temples tibétains, j’en ai imaginé de telles en lisant un bouquin de Lopsang Rampa, le troisième œil.

Non loin de là, je vois une porte entrouverte où figure une pancarte : Myo-Elektronik. Un squelette d'homo sapiens, incomplet lui aussi, est suspendu par un crochet de boucher à un portant. Il trône en cette petite pièce auprès de divers graphiques, gravures d'écorchés tels qu'on peut en voir dans l'encyclopédie illustrée d'un temps jadis.

Sur une console, un téléphone vétuste de bakélite noire contraste avec une rangée d'appareils à cristaux liquides de dernière génération, émettant un "bip-bip" absorbé par le silence ambiant. Curieux bureau s'il en est.

Nul doute, voilà qui me conforte dans ma première impression : Je vis de l'étrange et du fantastique.                                                                                                                                  

- La salle de stockage -

Je continue mon exploration en longeant un couloir désespérément vide et circulaire, lorsque je découvre une pièce étrange : elle est meublée de machines étranges dont je ne saisis pas l’utilité, des chaines, élingues câbles, cordages, d’énormes caissons et autres objets divers jonchent le sol. Au plafond et sur les murs des crochets, treuils, vérins, palans…

Mais le plus étonnant est que cette salle est « peuplée » par les mannequins que j’avais aperçus tout en bas, dans la vitrine.

Ces androïdes mi-humains, mi-robots, mes compagnons de route en fait, sont dans un état de sommeil profond, inanimés par une profonde léthargie. Ils sont tous disposés n'importe comment, face contre mur, orientés de bric et de broc, dans tous les sens. Certains sont assis, affalés devrai-je dire, sur des caisses de docker en provenance de Vladivostok. D'autres sont debout, soutenus au plafond par des élingues.

Ils sont faits de plastique, de lambeaux de chair et de résine synthétique, le tout assemblé de guingois par des ressorts, des rivets, des boulons. De plus, un liquide phosphorescent coule dans des sortes de serpentins, semblables à des durites multicolores.

Il me vient à l’esprit des créatures comme… Frankenstein, les monstres de Murnau, le Golem de Prague…. Qui a conçus ces cyborgs, comment sont-ils venus ici, qui les a apporté et dans quel but ? Et qu’est-je à voir avec tout ceci, quel est le lien ?

Sur un écran plasma de grande taille sont vidéo-projetés de vieux films d'épouvante des années trente, certes muets, mais néanmoins numérisés en trois dimensions. Le public, quant à lui, est visiblement absent.

Tout ceci contribue à renforcer l'étrangeté, la singularité de ce qui me paraît être "le palais de l'horreur". L'angoisse m'étreint, je suis au bord de l'amer ... ll me faut un abri.

Et le haut-parleur rugit de nouveau : " Madame Jacquin à la salle Mimosa ...L'ensemble de l'équipe ASH est attendu au 3e Sud ..."

Enfin un message me concerne : " Les résidents du dôme sont aimablement conviés à une séance de synthèse au 12e Ouest".

  

- Le cyclotron cistercien -

Peut-être aurais-je les réponses à mes questions ? Vite, trouver un ascenseur. Je suis immédiatement rejoint par de rudes gaillards à l'allure patibulaire, ou presque, muets semble-t-il, chauves et tout de blanc vêtus.

Le regard froid d'un seul d'entre eux m'a fait comprendre qu'il me fallait les suivre. Cela ressemblait fort à une injonction et toute discussion eut été vaine. Devant une impressionnante double-porte, ils me stoppent d'un signe autoritaire. Je reste seul, interloqué, interdit.

Tendant l'oreille, j'entends des grincements, frottements de poulies, bruits de chaînes ... (Ou est-ce l'effet d'une imagination débridée par ce lieu machiavélique ?)

Soudain des gyrophares clignotent, une alarme vrombit et les quatre costauds réapparaissent. Ils m'expédient manu-militari à l'intérieur d'un local grandiose et composite.

En effet cette salle tient lieu d'une part d'un accélérateur de particules dernier cri, le cyclotron rêvé du professeur Charpak, et d'autre part on eut dit le réfectoire voûté d'un monastère cistercien faisant office de salle de tortures, entièrement équipée, tel qu'il devait en exister au moyen âge dans les profondes geôles de l'inquisition. Curieux binôme, n'est-il pas ?

- Les cyborgs -

Me voici donc dans cette agora. C'est alors que j'eus une vision d'épouvante : Une bonne vingtaine de "quidams", les mêmes androïdes qu'à l'accueil mais animés ceux-ci, étaient rivés, sanglés, harnachés sur des panneaux métalliques. Ils exécutaient laborieusement des mouvements répétitifs à la manière d'automates de l'ancien temps. Comment décrire l'état de ces pauvres erres ? Difficile.

Ce qui m'a frappé le plus, c'est le grand silence, la résignation, l'abnégation : Ils semblaient accepter l'étrange fatalité d'un destin qu'ils ne pouvaient contrôler. Toute conscience semblait avoir déserté ces ersatz d'humains.

L’œil vitreux, la mâchoire flasque et molle, le teint blême, le regard désespérément vide, les épaules basses et leur étrange tubulure fluorescente enroulée autour de pistons et vérins hydrauliques les faisaient ressembler à des cyber-zombies, un mélange hasardeux du Frankenstein de Marie Shelley, des monstres de Murnau, du Golem de Prague.

Je me trouve dans le cabinet des fantastiques créatures, allié à la technologie du futur.

Un détail pittoresque ajoute à l'atmosphère singulière qui régne en ce lieu : Tout ce petit monde est vêtu de la même tenue. Un simple juste au corps blanc, d'allure rétro, des guêtres bicolores, des hauts de chausse et un grand chapeau-claque sur leurs cheveux synthétiques.

Cette scène, ridicule autant qu’apocalyptique me remplit d'effroi ; caché derrière un pilier je tremble de la tête aux pieds.

Je suis le spectateur impuissant d'une cour des miracles du XXVe siècle.

Les quatre gaillards, on croirait voir les clones de monsieur Propre, s'affairent activement autour d'eux. Ils équipent les zombies-androïdes de poids, de poulies, tout en les reliant par électrodes à un appareillage bio-chimico-informatique, dont le câblage était assurément d’une rare et impressionnante complexité.

Sur leurs présentoirs, des éprouvettes emplies d'un liquide fumant et coloré réagissent aux nombreux stimuli engendrés par une forêt de microprocesseurs.

Il y a là également des femmes en tenue de plongée verte, avec de grosses Pataugasses blanches très esthétiques, coiffées d'un ridicule bonnet de plastique transparent. Ces aquanautes, à l'aide de scanner à main, vérifient, par projection de rayons Roentgen, l'étanchéité des parois sur toute la longueur du tunnel cyclotronique.

- Katchenka Morloff et la Genetek -

Tout ce personnel obéit aux ordres fermes et énergiques de Katchenka Morloff. Son nom figure sur un énorme badge à l'effigie du docteur Ivan Petrovitch Pavlov, fiché sur son uniforme vert pomme à liserés jaunes. Curieux personnage que cette Katchenka : Il faut dire qu'elle avait fière allure avec ses épaulettes dorées et son béret de chasseur alpin.

Ses longs cheveux blonds descendent docilement en cascade jusqu'à ses courbes graciles et que l'on devine pourtant généreuses, ce qui du reste ne l'empêchait nullement de se faire respecter. Elle mène son équipe d'une main de fer, parcourant d'un œil sûr ses nombreux ordinateurs, écrans de contrôle et autres multiples voyants.

Sur son bureau, près des computeurs, s'entassait moult paperasse : Il y a là, au sortir d'un ingénieux conduit de vapeur pressurisée, divers courrier ainsi que du papier à en-tête au nom de l'organisme "Genetek".

Dès lors, mon impression est faite : Je suis prisonnier d'un centre de recherche où la manipulation génétique alliée à la bio-mécanique est en cours d'expérimentation, et cela bien-sûr, dans le plus grand secret. Me voici donc radié de la surface du globe : Je n'existe plus.

Du reste ai-je déjà vécu ? Je n'en ai aucun souvenir. Me voici dans le dénuement le plus total, oublié, perdu. Ce qui se trame à la Genetek ne saurait en aucun cas filtrer à l'extérieur, c'est certain.

Les quatre messieurs Muscle détachent les androïdes de leurs tables de travail et les disposent un à un dans le tunnel du cyclotron. Caché derrière mon pilier, je vois une vingtaine de cyborgs, sagement alignés, immobiles, sans aucune expression.

Vraisemblablement il va se passer quelque chose, sinon comment expliquer toutes ces installations ? Et en effet  bientôt les événements vont me donner raison : Katchenka introduit une carte électronique dans un lecteur, elle appuie sur un gros bouton rouge ...

  

- L'ultime expérience -

Tout s'enchaîne alors très vite.

Une sirène assourdissante mugit. Une lumière blanche, écrasante, brûle les yeux :Les androïdes sont irradiés, tandis qu'une forte pluie, diluvienne et acide probablement, se déverse sur ces automates.

Immédiatement, des voyants s'allument, des courbes sinusoïdales apparaissent sur les écrans. Les computeurs contrôlés par Katchenka crachent des tonnes de chiffres, des courbes de réponse désordonnées sur les oscillateurs à double bande, les imprimantes s'affolent, les données s'amoncellent ...

Dans le cyclotron, des manomètres de cuivre rouge laissent échapper une épaisse vapeur brunâtre. Un puissant flash illumine de nouveau les androïdes qui sont derechef exposés à l'irradiation. Un énorme ventilateur, au fond du tunnel, entre alors en action, dispersant un mélange gazeux. (Azote et hydrogène peut-être ?)

Enfin le calme revient : Les brumes s'estompent et de fines gouttelettes, semblables à la rosée, tapissent le sol et les parois du cyclotron.

C'est alors que dans le boyau de l'accélérateur, complètement éclairci, un spectacle pour le moins étonnant se manifeste devant mes yeux ébahis, incrédules. L'impossible, l'incroyable, devient réalité :

Les cyborgs commencent à s'animer, d'abord lentement, d'une démarche gauche et maladroite puis progressivement au bout de quelques mètres, ils se meuvent de façon plus fluide, plus naturelle.

Il semble qu'ils aient pris vie ; une étincelle narquoise brille à présent dans leurs yeux. Sont-ils dotés d'une intelligence artificielle ? Du moins l'artifice est réussi, digne de Ruggieri ...

Les voilà qui avancent maintenant d'un pas assuré, on leur devine même un léger sourire aux lèvres, ils ont désormais le teint rose et le maintien altier.

Les voici au bout du tunnel, ils se regroupent dans un hall immense, impersonnel et froid. Où sont-ils ? Ils ne sauraient le dire.

Des pancartes où figurent des caractères cyrilliques, placardées sur le mur écru, donnent certainement des informations, des indications, mais ils ne peuvent en déchiffrer le sens.

Ils vivent dans l'inconnu, l'étrange et le fantastique...

Pascal Coquet  

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