Le jour où la terre s'est écroulée

petisaintleu

Marcq-en-Barœul est un peu l'équivalent de Neuilly pour la métropole lilloise. Mon papa avait été muté à l'agence de Tourcoing et la banque lui avait octroyé une superbe maison de fonction, avenue de Verdun.

Dans le quartier, je dénotais un peu avec mes cheveux crêpés à la Cure. Les têtes blondes nordistes ont les cheveux trop souples pour se permettre cette fantaisie capillaire et leurs choix musicaux s'orientaient vers les Smiths ou vers la New Beat de Front 242. Le samedi soir, ils se rendaient tous dans les boîtes entre Tournai et Courtrai pour s'adonner à des transes, l'estomac rempli de bière et d'ecstasy. Pour moi, ce n'était même pas la peine de rêver. A dix-sept ans, il était hors de question de pouvoir sortir. Ca me frustrait mais j'étais pensionnaire au lycée agricole d'Arras. Autant dire que je me rattrapais en semaine et que plus d'un mercredi en fin d'après-midi, je me suis retrouvé à demi-inconscient dans les bas-côtés de la nationale qui m'y ramenait.

Les voisins d'en face étaient médecins. Je croisais rarement l'aîné qui faisait des études de commerce. Nous échangions de temps à autre sur Echo and the Bunnymen ou And Also the Trees mais le cœur n'y était pas ; nous n'étions pas du même monde. Quant à ses deux sœurs, elles étaient de pures beautés flamandes. Je retrouverai l'équivalence une douzaine d'années plus tard à la sortie de Virgin Suicides. Leur aura virginale m'interdisait même d'y toucher par le biais de mes pratiques onanistes.

Un jour, je ne sais par quel miracle, elles m'invitèrent à leur boum et j'eus même le droit d'y aller. Ma première préoccupation était de masquer au mieux mon acné galopante et de m'interroger sur la manière de m'intégrer dans la faune très select du lycée qu'elles fréquentaient. Au moins, je n'avais pas hérité de l'accent ch'ti de ma maman.

A mon grand étonnement, l'accueil fut des plus simples et des plus chaleureux. Toutes mes appréhensions s'avéraient fausses. Je fus reçu très simplement, sans apriori et l'après-midi fut un des plus beaux qui m'ait été donné de ma vie pubère.

Le week-end, mon papa revêtait un survêtement orange carotte Intermarché, survivance d'un client moulinois. Quand il tondait la pelouse, on ne peut pas dire qu'il faisait preuve de mimétisme. L'orange se mariait mal avec le vert des pelouses et avec les voisins qui s'adonnaient à leur activité en bottes et en Barbour. Heureusement, l'étendue herbeuse n'était que peu visible de la rue, en arrière de la maison et cachée par des haies.

Par un beau dimanche printanier, habillé de sa panoplie de jardinier, il me demanda de l'accompagner en voiture pour une de ses virées d'afficionados de la petite reine. Nous avions une Mercedes 230 E. Ce n'était pas le dernier modèle mais il faisait encore illusion dans notre environnement urbain.

Le monde s'écroula quand, énervé par deux cyclistes qui roulaient côte-à-côte le gênait dans son dépassement, il klaxonna et baissa la vitre pour beugler un « Vous vous poussez de là les pucelles ? ». Plus jamais du temps qu'il me resta à vivre dans cette cossue banlieue je n'oserai porter le regard vers mes très charmantes vis-à-vis.

  • Faut dire que t'étais un peu chochotte! ;-o

    · Il y a presque 11 ans ·
    P%c3%a9roquets %c3%a9quateur yasuni parc

    chrisalexandra

  • Jolie fable sociale, pas de cliché et des petites pointes très rigolotes, pas de cliché, J'aime tes textes et les sujets que tu abordes, pouf 5 et CDC

    · Il y a presque 11 ans ·
    P 20140419 154141 1 smalllll2

    Christophe Paris

  • C'est court, mais c'est bon.
    Pourquoi 5?
    Parce que ce texte est sympa et que pour une fois il n'y a pas de caricature du Nord à la Dany Boon qui ridiculise la région plutôt qu'autre chose.
    Et puis 5 parce que la rareté mérite l'attention.

    · Il y a presque 11 ans ·
    1393478935

    antoinerives

    • Merci beaucoup. Dans "le choc des cultures", je suis beaucoup moins tendre avec Fourmies mais j'assume !

      · Il y a presque 11 ans ·
      Cpetitphoto

      petisaintleu

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