Le mariage

J'étais l'une de ces jeunes femmes partie à la recherche de l'âme sœur très jeune, à 13 ans en classe de 4°. Il faut préciser que déjà à 7 ans, j'anticipais avec ma meilleure copine le nombre d'enfants que j'aurais, mes accouchements, la layette...

Heureusement, je n'avais pas fait part de ce projet fou à ma mère, laquelle ne pensait qu'à divorcer, se plaignait sans cesse de la prison qu'était son union, de ce que le mélange bague au doigt + maternité gâchait les plus belles années de sa vie.

Je fis rapidement part à quelques garçons du collège de mon ambition, lesquels majoritairement me regardèrent hallucinés, sauf un, qui partageait mes aspirations et resta pendant plus de 30 ans un de mes amis.

En grandissant, je gardais mon objectif en tête et l'affinais, ne le cachant pas, bien au contraire: je voulais me marier, avoir quatre enfants, une maison à la campagne avec une cheminée, des teckels et plein d'animaux, des instruments de musique, partir passer quelques modestes vacances à la montagne une fois par an. Rien de plus, rien de moins. Je prévenais qu'à ce projet s'ajoutait une condition non négociable: zéro tolérance sur l'infidélité. Ma Vénus en Capricorne souffre de valeurs morales rigoureuses, considère le moindre batifolage extra-conjugal comme de la haute trahison.

Inutile de cacher que la plupart des hommes que je rencontrai furent surpris, désarçonnés, apeurés, terrifiés, horrifiés, pétrifiés voire statufiés...beaucoup s'enfuirent à toutes jambes, espérant trouver une femme moins exigeante, dotée d'une Vénus plus souple et nettement plus accommodante. Un quand même après moult réflexion et multiples tromperies me demanda en mariage. Il repartit dépité avec son bouquet de roses. Les règles étaient claires et il ne les avait pas respectées. D'autres firent des tentatives vaines pour me convaincre de réviser mon projet, me disant qu'on avait le temps, qu'on verrait bien après...une poignée de soupirants fort soupirant me dit vouloir prendre le temps de la réflexion.

Chaque fois je partais et concluais que ce n'était pas la bonne personne pour moi. Jusqu'au jour où je rencontrai celui qui devint mon mari, lequel  sourit à ma proposition avant de dire : "Ah bon? C'est un projet qui me convient. D'accord". Je lui fit répéter les termes du contrat pour être certaine de son consentement éclairé. Il faut dire qu'on a une bonne différence d'âge. Cela lui a sans doute permis de considérer mon offre avec le recul donné par la maturité.

28 ans que ça dure. Nous avons quatre enfants merveilleux, une maison à la campagne avec plusieurs cheminées, trois teckels, deux ânes, trois chats et la musique y résonne. Est-ce que pour autant ça a été tous les jours faciles? Non. Mais on a réussi à traverser les moments difficiles ensemble, sans aller voir ailleurs, sans renoncer à notre engagement, se battant pour le pérenniser, discutant parfois ardument jusqu'à trouver un terrain d'entente. Et on continue à le faire chaque fois que c'est nécessaire.

J'ai toujours considéré avant tout le mariage comme un contrat engageant les parties sur le long terme, avec tout ce que cela représente de bonheurs quotidiens mais aussi de droits, devoirs et responsabilités, en particulier vis à vis des enfants.

Ça n'a pour autant jamais été un mariage d'argent puisque nous sommes séparés de biens depuis le début, mais bien d'amour sincère, de valeurs partagées et d'intérêts communs. On a effectivement tout intérêt à ce que ça roule pour le projet commun que nous avions défini, à savoir construire une famille heureuse dans laquelle chacun se sent libre d'être lui-même et développe ses propres qualités et talents, est aimé et respecté pour qui il est.

Je constate que beaucoup de couples se séparent, souvent parce que les envies et besoins de chacun au départ n'étaient pas bien claires, pas dites concernant tout ce qui me semble fondamental: le nombre d'enfants, l'intimité, les conditions de vie, les croyances, l'éducation, les centres d'intérêt, les destinations de vacances et les loisirs, la nature même du lien.

C'est ainsi que je n'aurais jamais fait ma vie avec un amateur de foot adepte de fast-food et de shorts nylon non plus qu'avec un aventurier rêvant de trek au Népal, encore moins avec un pilote ou un militaire, certainement pas un homme se tenant mal à table, balourd ou à l'esprit salace, pas non plus avec quelqu'un d'étanche à la spiritualité ni avec un coureur de jupons. J'ai horreur du danger,  des déménagements, déteste la mal bouffe, sais que mon sens esthétique est incompatible avec la majorité des tenues de sport, que le Prince Charmant est un être courtois et raffiné, poli et bien élevé, délicat avec les princesses, donc pas un macho butor aux manières frustres riant grassement. Je sais aussi vouloir discuter de domaines philosophiques, de courants de pensée, de religions...avoir besoin de cani-thérapie, ronron-thérapie, bref, de câlins avec les animaux et de me sentir sereine quand mon mari est à l'extérieur de la maison sans me turlupiner le cerveau.

Savoir qui l'on est et ce que l'on attend du mariage au préalable, accepter l'autre avec ses qualités et ses défauts en s'assurant qu'il connaisse les nôtres, me parait donc assez indispensable afin d'éviter les déconvenues par la suite. Et est-ce que tout ceci nuit à la passion? Et bien non.