Le Musée de l'Homme Debout

enzogrimaldi7

D'après un souvenir de mon vieil ami l'Ours du Jabron.

 Ce devant quoi une société se prosterne nous dit ce qu'elle est.                                                                                                                              Philippe Murray

 

Le technicien lumière, fiévreusement, peaufinait la mise au point. C'est que l'artiste pour lequel il travaillait ce soir là ne laissait rien au hasard. Il avait le goût de la mise en scène. Des entrées fracassantes. L'assistance, plongée dans le noir, attendait, religieusement, à quelle sauce elle allait se faire assaisonner.


Soudain, ce qui fut d'abord un petit point blanc lumineux se changea par la magie du zoom en un halo qui révéla l'artiste dans toute sa grandiose et mystérieuse splendeur: de dos et le poing levé. L'énorme vacarme du tamtam entama le morceau. On entendait craquer le cuivre des instruments. Les spectateurs s'accrochaient aux traîtres chaises en bois et métal ficelées entre elles et qui écorchaient les doigts.


Monsieur Cent Mille Volts, le virtuose aux gitanes sans filtre et à la voix travaillée au whisky entre chaque chanson, se jeta dans l'arène, et comme avec un couteau entre les dents en lieu et place du micro, délivra le  plus inattendu et le plus édifiant titre de sa carrière. L'Indien, implacable de vérité, mystifia la foule en lévitation.


L'ours du Jabron, alors jeune loup phocéen, n'oublia jamais ce concert de 1973. Intrigué par le message de sa cavatine préférée, il mit d'abord un point d'honneur à en capter la substantifique moelle. Il n'eut de cesse d'en faire le cheval de bataille de sa vie, plongeant ainsi à tout jamais dans un humanisme sans limites.


Le jeune loup se changea du coup en féroce grizzly. Et à force de méditer sur la morale de l'Indien, dans une époque où ses congénères rampaient de plus en plus, il découvrit que cette posture, bien que familière au tout début de l'histoire de l'humanité avant d'être abandonnée, était réapparue depuis plus longtemps qu'il ne le pensait.


En effet, bien que l'homme ne fût jamais parfait, il eut la bonne idée de se redresser, histoire de se distinguer de la plupart des autres animaux. Cette belle élévation sembla s'effondrer sans qu'il n'y parût. Le grizzly, fort de la révélation qui le frappa en 1973, partit en chasse contre cette capitulation.


Alors qu'il travaillait par inadvertance dans une administration, il eut une conversation avec une collègue qui partageait son point de vue mais qu'il fallait davantage convaincre. Lui vint l'idée d'utiliser une allégorie pour l'étayer, sachant que le grizzly, aussi fin d'esprit que brut de barrique, aimait bien mettre les points sur les i.


C'est l'histoire, dit-il, d'un père et de son enfant de 10 ans, lesquels, comme tous les humains désormais, se déplaçaient à quatre pattes. Un jour le père proposa à son fils:  " viens, nous allons au musée de l'Homme Debout''. L'enfant, incrédule, lui demanda '' qu'est ce que ça veut dire debout?'' et le père de répondre : '' en route''.


Arrivés au musée, il attendirent leur tour. Le parcours jusqu'à l'Homme Debout était balisé de loupiotes et d'alarmes à chaque carrefour de couloir pour éviter de se perdre. Curieusement, le lieu où se trouvaient le grizzly et sa collègue à qui il racontait l'anecdote, comportait le même type de signaux ce qui facilita donc le déroulement du récit.


Et lorsque la paire arriva devant l'habitacle somptueux de l'Homme Debout, le grizzly se mit à ramper sur le sol de l'esplanade aux 6 ascenseurs sous les yeux médusés de sa spectatrice et des autres employés, au milieu du va et vient vers les étages. Il fit cela pour singer le père qui hurla à son fils en regardant de bas en haut: ''regarde petit, sous sa cloche de verre, il est là l'Homme Debout! Il est immense!!''.


Alors le grizzly, toujours accroupi, mima l'enfant qui s'enquit: ''pourquoi celui là?''. Et le père, via le grizzly, de répondre: ''c'est le dernier Homme Debout mon fils, après lui, il n'y en eut plus jamais''. Sa progéniture s'approcha et lut son nom: ''Aigle Noir''. À peine l'eut il dit que la chanson de Bécaud se fit entendre dans le musée en guise de récompense pour qui aurait le courage de le prononcer.


Le grizzly se releva enfin et regarda le visage de sa collègue: il était passé de la gène à la détresse. En pleurs, elle lui dit: ''À travers ta fable, j'ai découvert que la nature humaine ne tenait plus debout depuis belle lurette''. Alors le grizzly, droit comme un I et le point dressé, rétorqua: ''je suis Aigle Noir, et mon fils s'appellera Aigle noir". Et dans l'ascenseur qui les amena à leur bureau, au milieu de leur lévitation, L'Indien se fit entendre.


                                                                         2017

https://www.youtube.com/watch?v=dXVS8pDV8vM

  • S'élever, oui...
    Mais pas en grimpant sur le dos des autres, ou pour décrocher tous les pots de Nutella des rayons, au "cas où"...

    · Il y a environ 3 ans ·
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    Gabriel Meunier

    • Bravo et merci (aussi...)

      · Il y a environ 3 ans ·
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      Gabriel Meunier

    • Merci.
      Quant aux pots de Nutella c'est bien depuis cette invention là, entre autres, que l'homme ne tient plus debout.
      Salutations Gaby!!!

      · Il y a environ 3 ans ·
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      enzogrimaldi7

  • J ai vu renaître l'aigle noir dans ce bout de mots, il est passionnant de voir à quel point l'allégorie a plus de sens que l'analyse...
    Merci, de faire partie de ceux qui se redressent pour toucher le ciel, et de le faire avec tant de coeur
    Bien à vous

    · Il y a environ 7 ans ·
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    koya-al-gaad

    • Voilà qui me va me porter au moins jusqu'à la fin de la semaine prochaine. Et peut être même au delà. Merci à vous.

      · Il y a environ 7 ans ·
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      enzogrimaldi7

  • J'ai écouté alternativement Bécaud et lu votre texte car les deux combinés limitaient mon plaisir à re-découvrir cette chanson et me régaler de votre texte. J'aime beaucoup toute cette symbolique, ce passage de témoin intergénérationnel qui soulèvent l'un et l'autre des questions profondes, et nous font embrasser d'un seul coup d'oeil notre cobdition d'être humain. Bravo pour cette écriture... envolée et palpitante comme le coeur d'Aigle noir.

    · Il y a environ 7 ans ·
    Coquelicots

    Sy Lou

    • Écrit avec le coeur, c'est bien cela. Merci pour votre belle intervention!

      · Il y a environ 7 ans ·
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      enzogrimaldi7

  • ... et homo sapiens sapiens continue son "évolution".

    · Il y a environ 7 ans ·
    Gaston

    daniel-m

  • Plier tel un atlas de cristal sous le poids d'un monde en décomposition ou alors, de toutes ses forces, puiser au cœur de soi pour se redresser, s'élever vers le ciel, se grandir et se faire grandir... Merci pour vos mots

    · Il y a plus de 7 ans ·
    Journalintimebon

    damephoenix

    • Merci pour votre vision mythologique. Précieuse, vous êtes...

      · Il y a environ 7 ans ·
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      enzogrimaldi7

    • Et pusiqu'on parle d'Atlas: https://youtu.be/HMlBt2GYS04

      · Il y a environ 7 ans ·
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      enzogrimaldi7

  • Quelle envergure ! Il faut dire que ça a quand même de la gueule que de s'appeler Aigle Noir. Merci pour ce récit initiatique qui convoque à merveille toutes les forces de la nature. Votre plume est acérée à l'image des serres de cet aigle noir.

    · Il y a plus de 7 ans ·
    Profil

    Julien Darowski

    • Très heureux que vous ayez saisi l'envergure du message. Il me tient à coeur. Bien à vous.

      · Il y a plus de 7 ans ·
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      enzogrimaldi7

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