Le peintre

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Il était si triste parfois. Il essuyait ses larmes et les avalait une à une. Son corps se cintrait. Et de ses yeux fermés, l’eau salée s’en allait s’égarer sur le sol.

Il ne savait pas si ce trouble lent était nécessaire ou si cette part de morsure n’avait de sens qu’à l’ instant. Parfois, il lui était arrivé de se dire que sans cela, il n’était pas.

Le pinceau accrochait ses filaments de bleu sur les bords de la toile. Peindre la mer, peindre la vague qui s’échappe, c’est ce qu’il devait faire, mais de l’océan qui file, il ne savait pas faire le creux.

Ce n’est pas pour cela qu’il pleurait. Il saurait redonner à ses mouvements l’ampleur suffisante.

Derrière la fenêtre, juste au seuil de la vitre, des branches affolées cognaient au rythme de l’orage. Il allait perdre son regard humide sur l’élan du vent qui se risque en mélodie. Les assauts des feuilles absurdes laissaient des traces mornes, des gouttes de larmes claires.

Il sécha ses joues mouillées de pluie et reprit son outil de couleur. Du bleu, il fit du vert et poursuivit le combat contre la forme blanche.

C’est lorsque les éléments s'effrayent, lorsque nous sommes seuls et incurablement oubliés, lorsque les absences autour caressent, que ce qui ne s’annonce pas, arrive.

La porte de l’atelier vibra bien avant que le coup ne fut frappé.

Il ne savait pas ce qu’il devait faire. Depuis bien longtemps personne n’était venu ici. Personne n’osait. Il avait su pousser dehors les plus loyaux de tous.
Mais il fallait ouvrir.

Il ne se déplacerait pas. Déjà, sur son front une fissure s'édifiait, une trace longiligne où viendrait se poser les reproches.

Il ne bougerait pas, il tournerait la tête pour constater et ce serait tout.
Il prononça le mot qu’il fallait, mais celui-là semblait signifier le contraire de ce qu’il était sensé dire :

« Entrez »

Il remarquait la progression lente de l'embrasure. Le timbre du vent pénétra l’atelier avant même qu’elle ne vienne s’immiscer dans l’intervalle entre la porte et  le dehors.

Elle glissa à l’intérieur, paisible, la chevelure défaite. Un corps qui frôle.

Il ne refusait pas ce visage, ce regard qui flambe sur chaque mouvement. Il attendait. Elle parlerait, lui ne dirait rien, il avait fait le plus qu’il pouvait en acceptant qu’elle entre. C’est la surprise et des reflex ridicules qui avaient autorisé l’intrusion. Il les assumait mais n’irai pas au-delà, il n’irait pas plus loin.

« Bonjour Maître. Je ne suis pas désolée de vous déranger, sinon, je ne serai pas là. Je sais que je ne suis pas la bienvenue. Je sais aussi que vous ne m’aiderez pas à vous dire pourquoi je suis là.

Voilà bien des jours que je tourne et retourne. Je suis dans l’impossibilité de me taire. Je ne vous laisserai pas m’interrompre, j’irai jusqu’au bout sans fléchir. C’est que je connais la signification véritable de ce pourquoi je suis là.

Il est possible que parfois je cesse de parler, pour souffler, pour prendre l’élan, il faut du courage pour faire ce que je fais. J’ai besoin d'interstice de silence, enfin, je crois, je ne suis certaine de rien. Aussi, ne m’interrompez pas, même si rien ne se passe. Si vous le faites, je serai venu pour rien. Vous introduirez dans mes paroles des parasites qui enfleront le sens pour le rendre non-sens. 

Peut-être faudrait-il vous asseoir ? mais les mouvements du pinceau ne me gène pas, c’est le contraire probablement. Vous pouvez faire comme si je n’étais pas là, (si cela se peut).  Il n’est pas si important que vous écoutiez, je préférerais que vous le fassiez, pourtant je ne crois pas que ce soit l’essentiel.

Avant que je ne commence,( j’ai déjà commencé), je respire et regarde encore. Je vous parais irréelle et presque inadmissible, je vous apprendrai tout à l’heure à admettre ce qui ne peut l’être.

Vous ne bougez pas, vous me laisserez faire, je le vois.

Je vous remercie mais je savais que ce serait ainsi, puisqu’au fond, il est possible que vous m’ayez reconnu. »

 

 

« Je suis née d’un indicible sentiment de solitude, je suis née de l’ennui, de la peur, de ce qui ne peut pas se dire. »

 

Il ne s’est pas assis, il peint. Il largue la couleur en filigrane. Le creux de l’océan se sertit sur la toile, si simplement, qu’il suspend son geste, pour vérifier.

Il l’entend, écoute aussi.

« Je te dirai mon nom tout à l’heure puisqu’il m’en faut bien un. Je m’approche de toi et murmure sur ta peau. Regarde, ta main danse. Tu as fait de moi l’unique, je suis la seule. »

Le pinceau est posé. Sur la toile, des traits épais sortent doucement des limites, c’est là qu’il regarde, plus loin que la surface granuleuse.

Il reprend l’outil, donne au dessin des mouvements aléatoires.

« Tu ne dis rien encore. Si je suis près de toi, contre toi, bien trop près, c’est que je n’ai pas strictement soufflé à tes oreilles. J’ai entendu, écouté moi aussi. Ce n’est pas par ton pinceau que ma chair est née, c’est par ta volonté. »

 

Si l’océan s’entend sur la sable broyé, vert est le tableau qui vient. Il sourit, enlace chaque parcelle devant lui. Il a fini, la regarde :

« Oui, je te reconnais. Mais je n’ai jamais su ton nom. »

 

« J’ai choisi Aoedé, je viens du coup de Sabot d’un Pégase léger, des sources Hippocrène. Ma voix se distend de légende et parcours, jet de plume.

 

Je viens de la mémoire et du souvenir, j’ai franchi les phalanges inertes et cherche la fêlure à rompre les barrages. Ma main repose, éphémère sur le lit dépeuplé des appétits. Elle assèche les rives des silences forcés et cogne ses désirs aux yeux de cœur fermé.

 

Je viens des dieux, ceux des encens dorés, emporte leur parole sur les joues délaissées des poètes perdus. Je suis messagère des layons étouffés, des cris inachevés et des douceurs lissées, éloignées pour un temps.

Sur les ailes des sorciers, Aoedé chante pour effrayer le noir qui s’engouffre. En partance, sur les nocturnes surdités des ventres, je souffle les segments qui bâtiront les houles des ouvrages à tisser, à jamais, à toujours, en amour caressé.

 

Ta muse à toi, la tienne en goutte fine, éclaboussée d’azur.

 

Je chante, à tes tympans ouverts, les retrouvailles des sentes des moissons. »

Il savait maintenant pourquoi il n’a jamais été seul.

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