Le petit lait, pasteurisé

luz-and-melancholy

J'écris pour vous dire mon chat qui s'étire,

Et pour vous raconter la saveur des baisers

De jeunesse ;

J'écris pour vous l'indicible, 

L'inexprimable si vous voulez,

Et même l'élégance furtive, 

De quelques mots tachetés sur ma toile ;

La toile que je tisse de nuages cotonneux,

D'où se déprennent de l'enfance mes ineptes vanités ;


Voguent les bateaux en bois au Luxembourg,

Tandis que je vous conte le désespoir des dupes,

La jouvence envolée dont la sève adipeuse,

Cherche sans cesse le philtre de légendes acides ;

Tiens, tiens,

Voilà que sonne le tocsin,

Au rythme bien ennuyant, 

Le son de mort que tu connais si bien,

Vient noyer dans le phénol tes pénibles espoirs ;


Ici sur terre, les apparences du Ciel, 

Miroitent sur la mer leurs masques monstrueux,

J'écris pour te dire que ta rose m'a blessé

Le coeur ;

Et qu'ici,

Comme ailleurs, 

Partout d'où tu es absent,

Des cendres où je me consume il ne renaîtra rien ;


Je regarde au milieu du grand appartement,

Le vide stérile,

Et l'odeur, vaporeuse, d'un amour endormi ;

Je regarde mon chat, tapis dans la quiétude,

Qui lape et lape encore,

Le lait chaud qui tarit sa faim,

Et je me dis en souriant,

Que ce spectacle est bien dommage,

Bien dommage et ironique que le chat ne puisse boire

Mes larmes intérieures, et bien d'ailleurs insoupçonnables

Déjà gavées de glycérine

Pour ne pas justifier mon mal ;


Mais me voilà bien éprouvée, ou éreintée,

Je ne sais pas,

De cette comédie affligeante, qui sans cesse commence,

Je ne préfère pas te dire,

Que me voilà comme Sisyphe, portant mon rocher

Et ma peine, amène, sereine,

Sempiternelle et habituelle, 

Dont j'ai du mal à me défaire :

C'est cette pièce symboliste

En trois actes bien menés,

Dans un théâtre où je suis seule héroïne.


Tu sens que je suis essoufflée maintenant,

Mais je sais que sur tes paupières volages,

D'autres rêves et d'autres femmes posent leur baisers à présent,

Perfides elles disent et te répètent combien ta vie est belle

Sans moi ;


Voilà qu'à la fin, je ne sais plus pour qui j'écris,

Qui de toi ou de ton fantôme peuple mes fantasmes

Et mes nuits,

Alors, peut-être qu'en essayant d'attraper mon chat, 

Qui s'échappe vivement en laissant son lait renversé,

En m'étirant rattraperais-je un peu de ton amour parti,

Échappé, éventé, éventré, épuisé,

Mais non, voilà ;


Voilà encore une nuit qui tombe,

Et m'éloigne un peu plus de toi,

Une de plus sur l'écho résonnant,

Du bruit sourd et feutré de tes pas ;

C'est pourquoi je t'écris,

Pour les cailloux que tu as oublié de semer,

Pour vivre doucement,

En mots, 

La chimère que je ne sais atteindre,

Et le lait maternel, renversé sur le parquet,

Qui à défaut d'être consommable,

Suivant le destin de nos amours cruelles,

Devra être épongé,

Et puis jeté à la poubelle,

Après s'être enfui, 

Comme mon chat.




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