Le plus beau jour de ma vie

Généralement par convention, on répond à cette question par « le jour de notre mariage, ma chérie ! » ou « le jour de ta naissance, mon garçon ! » Bon, on voit que la réponse dépend, premièrement de celui qui pose la question et, secondement, du fait que l'on ne sait fichtrement pas quel peut bien être ce putain de jour d'allégresse qui remise les autres joies dans le cagibi des plus beaux jours oubliés ! Il y en a eu certainement plusieurs, pleins, oui pleins, maintenant la hiérarchisation est délicate.

Personnellement, enfant, je voulais un vélo de course rouge, celui avec le guidon travaillé par le grand Zampano (la Strada de Fellini, pour les plus jeunes.) Quand après avoir tant attendu, tant espéré, tant dessiné. (Oui, quand je désire quelque chose je le dessine, c'est comme ça et pas autrement… que je suis, chacun ses manies.) Bref, quand après avoir tant attendu dans cette obsession fiévreuse de la possession, je l'obtins, j'aurais pu sans hésiter, affirmer à quiconque, que c'était lui, « le plus beau jour de ma vie. » Mais la vie est longue et aujourd'hui, je serais bien incapable de me souvenir où et dans quelle décharge a fini ce vélo étiqueté « le plus beau jour de ma vie. » vous me direz que ma réflexion est puérile, certes et qu'il existe des désirs beaucoup plus valorisants que celui fait à une vulgaire bicyclette, que les rapports affectifs doivent concerner exclusivement les êtres humains. Je vous l'accorde, c'est ainsi, quand j'ai rencontré, celle qui deviendrait ma femme, que je me suis aperçu que j'étais meilleur dessinateur de vélocipèdes que de visages. J'aurais pu lui dessiner le cul, c'était plus facile, mais les filles callipyges ne manquent pas, comment être certain que ce fut la bonne, la mienne ? On m'en aurait peut-être attribué une autre, or, moi, je voulais celle-là et non une autre ! Bon je m'égare un peu et on n'est pas là pour parler peinture, quoique…

J'avais, toujours enfant, mais plus grand, cependant, quelques ambitions en peinture, mais mes barbouillis ne se concrétisaient jamais en une toile respectable, à mon sens, il s'entend. Quant aux autres, c'était pour les plus indulgents : « oui ! Il y a quelque chose… peut-être ? Je ne sais pas trop ? » Pour les plus sincères : « tu ne serais pas tenté par la musique ? » Quant aux connaisseurs, ils se contentaient juste de cracher sur la croute. Or un jour, je ne saurais dire comment ni pourquoi, ma production me plut et comme elle reçut moins de crachats, je fus emplit de la joie lumineuse de me considérer comme un peintre à part entière. Ce fut « le plus beau jour de ma vie ! » Bon cela ne dura pas ou si peu, je peins toujours, mais lucidement, je peins bien, admettons techniquement, mais sans aucun talent. Et un artiste peintre sans talant, c'est comme un vélo sans guidon de course.

Bref, comme je m'étais dit que je ferais bref aujourd'hui, je m'arrête en queue de poisson, je pense que tout un chacun, que toute une chacune, que toutou un chat noir, aura compris le principe. « Le plus beau jour de notre vie », ne dure qu'un jour,  un temps, une fois, au plus.