Le raidillon

petisaintleu

Suite de "La mare aux hérons", d'après une libre interprétation de Saint-André-en-Morvan de Jean-Baptiste Camille Corot.

Il lui restait à braver le calvaire de l'ascension. Certes, il aimait la marche, mais ses godillots ne le lâchaient pas d'une semelle et gravir le raidillon, chaussé de cilices pédestres, eut calmé le plus ampoulé des poètes, célébrant dans une ballade les plaisirs des vagabondages campagnards.

Il entama la montée, concentré sur le chemin, évitant que la déclivité ne le démotive. Il se focalisa sur les cailloux qui le jonchaient, comme des indicateurs pour chaperonner son inclinaison à se hisser bientôt au comble de sa convoitise. À une vingtaine de mètres, il aperçut des paysans qui barraient le passage. Une jouvencelle, un airmi-suspicieux, mi-intimidé, l'observait, l'avant-bras gauche relevé et le poing agrippant un corsage rehaussé d'une coquette guipure. Jean sourit. La mode n'était pas que l'apanage des Parisiennes. Au plus profond des provinces, les marchands ambulants baratinaient pour écouler les collections des précédentes saisons. Parfois, une cousine qui s'en retournait de la capitale se faisait prodigue en refourguant ses frusques déformées par son métier de nourrice. Que pensait-elle de cet étranger, elle dont l'horizon se limitait aux quelques lieues carrées qu'elle pouvait sonder du haut du promontoire sur lequel s'appuyait son village ?

Le bonhomme se présentait plus traditionnel par la rusticité de sa biaude, la blouse dont la coupe n'avait pas varié depuis les Éduens du mont Beuvray, et par son chapeau en feutre noir aux bords démesurés qui, pour le spectateur l'observant depuis le sommet de la colline, lui donnait une allure de champignon. Lui, il était tout à son occupation. Il surveillait un cochon fouillant de son groin une feigne qui viendrait alimenter son gras et parfumer ses salaisons, sacrifié sur l'autel de la goinfrerie.

Notre héros se posta à leur hauteur. L'homme l'apostropha d'un prosaïque : « Te vl'a de r'tour au pays mon brave ! ». Jean se sentit rougir jusqu'aux oreilles, peine inutile pour exprimer son embarras. Les dermatoses qui affectaient son visage, vésicules, kystes ou papules, étaient autant d'écrans pour camoufler ses émotions. Il s'agissait de Philibert Bodaut, le fils du maire qui s'était uni à sa nièce Louise-Marie. Il bisa la demoiselle en qui il devina leur fille Suzette. On le convia séance tenante à déguster des crapiaux arrosés d'un cidre.

Jean soupira d'aise. Son absence hors de ce terroir  ne l'avait pas fait oublier. Ses habitants étaient à l'avenant du ciel bas chargé de nuages, déversant ses tombereaux de pluie. De l'austérité et de l'âpreté du climat naissaient les bois et les rivières, symbiose qui unissaient les torrents aux bûches qui les chevauchaient, flottant jusque Paris pour fournir aux citadins la source de leur chauffage. Les indigènes étaient du même acabit, le caractère trempé et généreux, de ceux qui grandirent avec ce que leur proposait leur environnement.

Ils grimpèrent le sentier au rythme du pourceau, Jean recouvrant les mots de patois au fur et à mesure de son élévation. Plus il l'escaladait, moins il ressentait le poids de ses douleurs. L'altitude et la vision de l'église saint André l'entraînaient vers une montagne de sérénité à laquelle il aspirait. En accédant au plateau venteux qui affichait un panorama à redonner le souffle à un phtisique, il s'affala sur ses genoux chancelant dans un élan de fatigue et d'émotion.

Les accolades attendraient. On le transporta au plus vite dans la maisonnée de sa nièce et on se pressa de quérir l'abbé, l'autorité supposée qui saurait déchiffrer les barbarismes qui s'échappaient de la bouche de Jean, accompagnés d'un cortège de glaires filant comme un blanc d'œuf d'entre ses lèvres.

Signaler ce texte