Le rire est-il le propre de l'homme ?
veroniquethery
En 1651, dans le Léviathan, le philosophe Thomas Hobbes évoquait des grimaces, qui touchaient « surtout ceux qui sont conscients qu'ils possèdent le moins de capacités, et qui sont obligés, pour se conserver leur propre estime, de remarquer les imperfections des autres hommes. » Pour lui, rire beaucoup des défauts des autres était un signe de petitesse d'esprit. L'eau a depuis coulé sous les ponts et l'on considère plus souvent avec Rabelais, reprenant une pensée d'Aristote, que le rire est le propre de l'homme.
Mais, va-t-il falloir désormais comprendre le mot homme au sens wikipédien Ier : « désigne plus particulièrement un individu mâle et adulte de cette espèce, appelé garçon avant la puberté, par opposition à la femme et à la fille » ?
En effet, récemment le vice-Premier ministre turc, Bulent Arinç a déclaré qu' "une femme doit conserver une droiture morale, elle ne doit pas rire fort en public". L'homme fort du gouvernement, qui se présente aux prochaines élections présidentielles a ajouté : "L'homme doit être moral, la femme aussi, elle doit savoir ce qui est décent et ce qui ne l'est pas." Et d'ajouter : « Qu'est-il advenu de ces femmes qui rougissent légèrement, baissent la tête et détournent le regard quand on observe leur visage, représentant ainsi un symbole de chasteté ? »
En réponse, des femmes turques, rejointes par d'autres du monde entier, ont posté sur twitter des photos d'elles riant aux éclats. D'autres du monde entier -comme l'actrice américaine Emma Watson - ; mais combien de femmes « politiques » ? De journalistes ? Et en France ?
Rire, une façon de se révolter, comme depuis longtemps, l'artiste chinois Yue Minjun, qui représente des rictus. L'un de ses premiers tableaux "Sur la tribune de Tiananmen" (1991) représente un jeune homme, qui rit à gorge déployée en montrant du doigt les spectateurs. Façon de dénoncer cette répression et toutes ces générations sacrifiées. De rappeler avec Victor Hugo que « le rire est souvent un refus ».
L'historienne française Amandine Regamey a traité ce sujet en publiant un livre sur la dérision sous la dictature soviétique, dont la couverture représente Karl Marx affublé d'un nez rouge. Dans une interview, elle déclare que « Dans un contexte d'embrigadement, de conformisme triomphant et de négation des libertés, cette culture comique populaire contestataire est la manifestation d'une grande distance critique - à l'opposé de la vision d'une société soumise, écrasée, aveuglée par l'idéologie. »
Même prisonnière politique au camp de Ravensbrück, Germaine Tillion veut rire : « J'ai écrit une opérette, une chose comique, parce que je pense que le rire, même dans les situations les plus tragiques, est un élément revivifiant. On peut rire jusqu'à la dernière minute. ». Elle a écrit en dix jours une opérette « Verfügbar aux Enfers » ( les Verfügbare au sein des camps étaient les prisonnières non embauchées à un travail particulier et qui étaient, de ce fait, «disponibles» (verfügbare) discrétionnairement par les nazis) dont le titre est inspiré ironiquement d' Orphée aux Enfers ». Longtemps, elle a refusé sa publication, craignant qu'on ne comprenne pas que des déportées aient pu rire de l'horreur. Mais, il s'agissait bien d'une façon de résister à l'inhumanité, de vaincre le pire par le rire. De résister ensemble, car, il s'agit bien d'un travail en commun : ses camarades lui fournissaient papier, crayon et leurs propres souvenirs pour les airs des chansons. Déjà, dans un tract écrit avant d'être arrêtée, celle, dont les cendres entreront au Panthéon en mai 2015, écrivait : « Nous pensons que la gaieté et l'humour constituent un climat intellectuel plus tonique que l'emphase larmoyante. Nous avons l'intention de rire et de plaisanter et nous estimons que nous en avons le droit. »
Alors, interdire aux femmes de rire, c'est aussi leur interdire de refuser. Refuser l'obscurantisme. Refuser la bêtise. Refuser l'oppression.
Rions donc avec elles. Encore et toujours ! Histoire de ne pas perdre la face. Et de ne pas les laisser mourir de rire...
Pas marrant ce turc! c'est un trou du c--! kiss
· Il y a plus de 10 ans ·vividecateri
Moi j'ai un rire affreux, et pourtant je ris souvent - on me dit tout le temps que la discrétion et moi ça fait deux - c'est bien une des seules choses qui me ferait mourir si on me l'enlevait. Très bel article (:
· Il y a plus de 10 ans ·dreamcatcher
Mon rire n'est pas non plus discret ! Et, très communicatif !
· Il y a plus de 10 ans ·veroniquethery
Merci d'avoir parlé de "Kouri", une de mes idoles. Et puis, il y a les rires, non ? J'aime être le sale con en soirée qui fait glisser le rire pincé, convenu, vers le rire bon enfant puis le malsain, c'est toujours très révélateur des masques en présence... "heaume sweep heaume". Bon texte, gros sujet, gros con de Turc qui se ferait botter le cul par Mustapha Kemal s'il pouvait revenir. (autre idole de bibi)
· Il y a plus de 10 ans ·koss-ultane
J'ai toujours pensé que le rire est un signe d'intelligence. Merci de me l'avoir confirmé.
· Il y a plus de 10 ans ·petisaintleu