Le samedi au supermarché...comment c'est la guerre!

divina-bonitas

Sketch

Avez-vous déjà été le samedi au supermarché?

Avez-vous vu les autochtones se battre tels des chevaliers, armés de pare-chocs au lieu de lances pour entrer dans une place délimitée, s'insulter à travers les vitres baissées, brandir des doigts vengeurs dans les rétroviseurs, certains faisant garder leur stalle par une donzelle nerveuse serrant fébrilement des sacs plastiques consignés sur sa poitrine?

Vient ensuite la querelle du caddie. Oui parce que ce jour là, les premiers arrivés se garent au plus près de la porte d'entrée, fut-ce en plein cagnard les jours d'été, avant de glisser avec un geste preste la pièce ad hoc dans une fente grippée. La première queue se forme ainsi au pied des abris à chariots, beaucoup attendant l'opportunité d'un sortant rangeant la bête de métal d'un air docte, avant de s'y ruer comme si leur vie en dépendait.

Ouf, les pochons accrochés au contenant sur roulettes, il est l'heure d'entrer dans le hall, souvent commercial, antichambre de cette caverne d'Ali Baba de la consommation. Chacun reste accroché à son chariot - il ne faudrait pas qu'on le vole!- on dirait qu'il leur appartient...chacun donc se démonte la tête pour voir les bonnes affaires à l'intérieur des boutiques; si l'un veut entrer pour essayer ou acheter, il demande l'aide d'une tierce personne, faisant le guet. Pas question de se faire tirer le chariot, le jeton plastique magique servant de sésame au caddie et les magnifiques sacs vendus par le distributeur. 


Ceci fait, il est temps d'entrer dans ce palais des mille et une convoitises. Vite! Y a une promo sur le PQ en tête de gondole. 24 rouleaux roses pour 9.95 euros, c'est une affaire! Viennent ensuite les promos sur les croquettes pour chats, la lessive concentrée bleue, les pâtes par paquet de 4, des nouvelles couches hyper-super absorbantes. C'est la ruée vers l'or. Je me demande toujours si les gens ont à la fois des matous, des bébés, des gros besoins en papier toilette, aiment les pâtes à ce point là, pensent que la lessive bleue lave mieux que la blanche...il est vrai que le bleu va bien aux blondes, dixit le monsieur qui fait des teintures pour dames.


Arrive le rayon des alcools. Un peu de pinard ça fait pas de mal pour les cellules, enfin surtout le rouge, le bon, chargé en tanin plus qu'en sulfites. Passons. Là, une cohorte de messieurs chaussés de bésicles examine les indices imprimés sur les étiquettes avec une attention et une concentration remarquables. Un silence quasi religieux règne. L'affaire est sérieuse! Seul problème. Leurs caddies entassés au milieu de l'allée bloquent le passage à la ménagère pressée. C'est un détail. Le prochain rayon est celui des fromages à la coupe. Le cauchemar commence vraiment. Des dames fébriles ont arraché un ticket au distributeur flanqué au-dessus du roquefort et s'interrogent. "Ah là là, qu'est-ce que je vais bien pouvoir prendre? Il y a tant de choix de raclette...au vin blanc, au poivre...et si on mettait un peu de morbier dans les coupelles en plus? Je ne sais pas si les enfants vont aimer le bleu au milieu..." La vendeuse, patiente, poings sur les hanches, en profite pour regarder le plafond ou se mettre à couper du vacherin en petites parts, bien coulantes, qu'il faut d'urgence emballer dans du papier film avant que le truc ne se répande sur le comptoir. La queue arrive jusqu'au rayon des slips pour hommes. Manière sans doute d'améliorer la vente des caleçons moulants, plus ou moins respirant, plus ou moins en coton, imprimés léopard ou panthère...le choix devient cornélien. Faut-il attendre au fromage ou fantasmer sur des photos de bassins d'éphèbes modernes qui n'existent essentiellement que sur les pochettes plastiques après moult retouches sur Photoshop?


Caddie façon F1, certains décident de contourner les obstacles afin d'en finir au plus vite. Mais il y a des bouchons aussi au supermarché! Deux mamies, l'une se servant de son caddie comme d'un déambulateur et l'autre faisant 120 cm de tour de poitrine, racontent leur vie entre l'arabica et les compotes. Les chariots s'entrechoquent au gré de la conversation. "Si vous saviez ma pauvre...il faut que je vous raconte....et je ne savais pas quoi faire à manger au repas de Noël...savez-vous que ma belle-mère a été hospitalisée...si si...juste le lendemain de Noël...quelle affaire!" Là il faut ruser et feinter car le terrain est sérieusement occupé, criez un "pardon!" décidé avant de saisir deux paquets de café en tendant le bras entre les dames, avant de repartir en tentant de ne pas s'agacer, de ne pas crier que le supermarché ne fait pas salon de thé. Reste encore le jambon à la coupe et le poisson frais, deux épreuves majeures réservées aux initiés. Certains pitonnent devant les saucisses, des fois sans doute qu'on les leur pique à travers la paroi vitrée, d'autres se grattent la tête avec fébrilité: jambon cuit à l'os, à l'os sans os, label Rouge avec couenne, italien aux herbes, aux noix sans noix et sans couenne, premier prix soldé...Le pire est la dame qui veut acheter les talons et examine chacun avec un air suspect, avant de faire de même avec les restes de charcuterie, pêle-mêle peu ragoutant de pâté grand-mère, terrine de saumon, rondelles de saucisson, aspic espouti...le tout en voie de compactage dans un sinistre récipient en plastique. Les plus organisés viennent en famille. Un fait la queue au poisson, l'autre au fromage, le troisième à la boucherie, un autre aux plats à emporter, le dernier à la charcuterie. Le tout est d'être par conséquent au moins 5. D'autres viennent comme on va au zoo ou au parc d'attraction, passer la demi-journée. C'est quand même bandant faut croire de faire les courses avec une armée de moutards hurlant, tentant vainement de s'extraire du caddie où ils sont assis depuis deux heures, de hurler à intervalle régulier "Kévin, reviens ici! Tu vas t'en prendre une! Théo, lâche ça! Maman a dit que c'est interdit". Le pire reste l'étal de poissonnerie. La queue s'est allongée jusqu'au milieu des primeurs, certains sont presque assis sur les ananas, bananes et autres fruits exotiques, pendant que les caddies s'emmêlent au milieu de l'allée pourtant large. Une voix venue de nulle part annonce "il y a eu un échange de caddies au rayon conserves; veuillez le ramener à l'accueil". Le temps se suspend un instant, chacun vérifiant contenant et contenu, s'assurant que personne n'est parti avec ses chips, ses boîtes de cassoulet et ses promos. Ouf! la vendeuse annonce "le 158!" L'acheteuse brandit son ticket en criant "c'est moi! Ici!" avant d'ajouter sans attendre "je veux un filet de Tilapia".  Les amateurs éclairés froncent les sourcils pendant que la vendeuse se bat pour insérer le paquet dans la machine es-spéciale et faire coller les bords du papier argenté. La dame reprend: "mettez moi aussi un morceau de saumon en promo et une poignée de bigorneaux...mais pas trop petits" Les soupirs s'intensifient dans la file. "Vous n'avez pas de lotte? Vous pouvez me vider les sardines?" Certains en viennent à grincer des dents. Une demi heure d'attente pour acheter 1 kg de cabillaud, c'est long. La queue des gens et des caddies a rejoint celle du jambon, permettant aux experts de concourir aux deux à la fois, l'oreille aux aguets, le regard lorgnant alternativement les écrans des deux rayons où les numéros s'affichent.


Enfin! Plus que le rayon libre service des volailles. A première vue, c'est simple. Des poulets et des pintades en haut, en dessous les cuisses et les filets, en bas les bestioles premier prix élevées en batterie, gavées d'hormones et d'antibiotiques. Mais ce n'est qu'une apparence de facilité. Trois marques et plusieurs façons d'ingurgiter les volailles, en entier ou en morceaux, Label Rouge ou Bio ou d'élevage français certifié, roulé dans les herbes ou l'huile, le choix est complexe. En plus chaque paquet est à un prix différent, ce qui permet à certains de démonter des piles entières de filets bien rangés pour se décider, avant de jeter finalement dans le chariot la première barquette verte.


Enfin, les caisses sont en vues, ou presque. On entend les drings des tiroirs et on perçoit le brouhaha avant de s'apercevoir que les queues se sont enfilées mine de rien dans les rayons, rendant l'accès impossible à la moitié d'entre eux. Certains guetteurs chevronnés sont accrochés à leur chariot, analysent le ballet des caissières afin de voir si l'une va ouvrir, la 9 ou la 13. Peut-être la 17? Un peu plus on entendrait ronfler le bruit des cylindres. Si l'une des hôtesses s'assied ou même s'approche d'une chaîne fermant l'accès, les Fangio du caddie se précipitent, mâchoires en avant, poussant sur leurs talons pour avancer plus vite et bloquer le passage aux moins sportifs.  Le vainqueur aura alors à cœur de ranger ses courses sur le tapis d'un air satisfait , en prenant son temps, lentement, alignant chaque produit avec une précision maniaque, tout en lançant des œillades de vainqueur de tournoi aux perdants.


Je m'interroge. Pourquoi y a t-il une telle proportion de personnes âgées le samedi au supermarché? Pourquoi y aller en couple avec de pauvres gosses en bas âge? Pourquoi est-ce que ça semble être une partie de plaisir pour certains?



  • Oh que oui c'est la guerre au supermarché.
    Je confirme ce que dit Sylvie, je connais des familles pour qui la sortie au supermarché est une sortie familiale ritualisé, avec généralement repas au fast food ou au restaurant asiatique en prime. Les gamins adorent ça car pour eux, c'est la fête et le royaume de l'opulence. Ils sont dans un environnement où ils consomment, ce sont eux qui décident. Tout est à leur portée, au sens propre comme au figuré (cf. les stratégies de positionnement physique des produits dans les rayons).

    Sacré chronique en tout cas.

    · Il y a presque 11 ans ·
    Francois merlin   bob sinclar

    wen

    • Merci Wen et contente d'avoir de tes nouvelles. Certains enfants adorent peut-être ça, mais j'en vois souvent qui hurlent, se roulent par terre et le moins qu'on puisse dire, est qu'ils n'ont pas l'air d'être à la fête. Mais l'horreur comme tu dis me semble être le repas à la cafèt. ou au fast-food.

      · Il y a presque 11 ans ·
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      divina-bonitas

  • Tes interrogations sont les miennes ! Tu as parfaitement retranscrit cette course à la consommation souvent absurde. Mais pour certains, les courses sont une VRAIE sortie familiale, si si ! Vive les ballades dans la nature quand même ! Merci pour ce texte !

    · Il y a presque 11 ans ·
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    Sylvie Loy

    • Merci Sylvie. Manifestement, nous avons beaucoup de points communs!

      · Il y a presque 11 ans ·
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      divina-bonitas

  • Le mieux c'est d'aller nuitamment au supermarché, avec une pince-monseigneur, c'est tranquille, y a personne!

    · Il y a presque 11 ans ·
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    arthur-roubignolle

  • comment c'est trop vrai et trop abusé ;)
    les tits vieux qui te bousculent le samedi alors qu'ils on t tout le reste de la semaine pour les faire!!!!
    j'ai abandonné l'idée des courses le samedi
    on y va dimanche matin, c'est calme, y a personne!!!!

    · Il y a presque 11 ans ·
    Suicideblonde dita von teese l 1 195

    Sweety

    • Chez nous c'est fermé le dimanche, sniff!

      · Il y a presque 11 ans ·
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      divina-bonitas

  • Et quand ça sera ouvert le dimanche, les retraités iront au supermarché le dimanche aussi...

    · Il y a presque 11 ans ·
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    arthur-roubignolle

    • Peut-être mais pas sûr. Dimanche y a la messe!

      · Il y a presque 11 ans ·
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      divina-bonitas

  • Je vais à Bercy , au Zénith ou le Cube, la Gaieté à lyrique...je vois pas ce que tu dis?

    · Il y a presque 11 ans ·
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    Philippe Larue

  • Bonjour,
    Pourquoi des personnes âgées, toujours les mêmes, arrivent à 20h40, tournent dans les mêmes rayons et de la même façon et repartent "sans rien", pourquoi la même dame à la même heure ou presque vient manger son steak haché cru dans les rayons ? D’autres volent du foie-gras avec une arme sous le manteau, une autre quelques articles de maquillage, alors qu’elle est aisée, d’autres viennent parler, racontent des épisodes de leur(s) vie(s), certains « calcinent » la politesse pour un ou deux litrons en justifiant d’une urgence et pendant ce temps-là, le patron dit avec son élégance habituelle ; aujourd’hui tout va se vendre même le P derche !
    J’aime beaucoup votre texte et me suis remémoré dix années d’un travail exténuant et quelques rencontres humaines attachantes, belle journée, Alain.

    · Il y a presque 11 ans ·
    Dscf5083 92

    Alain Lehéricy

    • Merci de votre commentaire, d'apporter un témoignage illustré de faits bien réels, hautement réaliste et particulièrement croustillant.
      Oui, j'ai remarqué que les mamies qui causent dans les rayons les plus étroits aux heures de pointe ont la plupart du temps des caddies vides ou presque. La solitude sans doute. Le steak haché cru, c'est créatif. Une instincto? Ah, la grande distrib; toute une aventure!

      · Il y a presque 11 ans ·
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      divina-bonitas

    • Une instincto, non, une affamée, oui !

      · Il y a presque 11 ans ·
      Dscf5083 92

      Alain Lehéricy

    • C'est dingue cette histoire...quand même pas facile de manger un steak haché cru sans assiette?! C'était Vampirella ou bien?

      · Il y a presque 11 ans ·
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      divina-bonitas

    • Je peux vous dire que pour elle, il n’y avait rien de plus facile ; ouverture de l’emballage, mis en poche et bouchées crues après bouchées crues de sa main… j’ai vu pire, alors on tourne la tête non pas par lâcheté, mais pour ne pas avoir à le raconter. Aujourd’hui ils posent des antivols sur des steaks de « luxe », ils fliquent autant qu’ils trichent ; là aussi, j’ai à raconter…

      · Il y a presque 11 ans ·
      Dscf5083 92

      Alain Lehéricy

    • Vos commentaires sont passionnants et j'ai l'impression que, soit nous ne vivons pas du tout au même endroit, soit je suis aveugle! Des steaks avec des antivols? Mais c'est quoi comme viande? Si vous écrivez sur ce sujet, je serais super intéressée par vous lire.

      · Il y a presque 11 ans ·
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      divina-bonitas

    • vous tapez "des antivols sur des steaks Charal " sur google ou autres. Le Match de Lille, le Auchan de Sarcelles pratiquent déjà. Le magasin dont je parle était à Caen, c'est un Carrefour aujourd'hui et un Continent à l'époque, année 87 à 96...je gérais une partie du magasin...les pratiques ont empiré!

      · Il y a presque 11 ans ·
      Dscf5083 92

      Alain Lehéricy

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