Le silence de l'écriture

vaureal

 

 

 LE SILENCE DE L'ECRITURE

Il fait plus froid que d’habitude. Les mots sont gelés au bout d’une amorce. La main grelotte et ne traduit aucune sensation : le silence de l’écriture. La surface de la feuille blanche est un récif. L’émotion où couraient des chevaux sauvages a arrêté sa course sur la plaine gelée. Les mots sont en pâture, suspendus au bout d’un fil imaginaire. Ce vide donne le vertige. Les lettres sont en équilibre sur la corde de la voix. Ecoute la musique des phonèmes. La valse alphabétique qui rythme le balancement de la page. Le regard attrape les lettres qui bordent sur cette larme au coin de l’œil de l’écrivain. Il engendre les expressions sur ce livre ouvert comme cette femme qui vient d’enfanter. J’aperçois la valse phonique à l’horizon. Les voyelles chaloupent les consonnes. Les ponctuations cadencent le souffle de la phrase. Des hardes de messages glissent sur la page blanche et dégivrent la montagne verglacée. Le lac recueille l’eau salvatrice de toutes les pensées. L’inspiration s’éveille. Le vent se lève et chasse la neige. La verdure, les fleurs et l’oxygène gonflent l’air. La musique chante une mélodie et on se baigne dans l’excitation de l’histoire. La main s’agite et aiguise les silences. Elle stimule l’œil gourmand pour retenir le lecteur. Les mots éclaboussent les préjugés et les interdits. Ils prennent racine et s’installent dans notre crâne, décoiffent notre chevelure bien ordonnée. Les connexions intrépides de notre cerveau vagabondent.

Et j’entends dans le silence, … ,                         LA MUSIQUE DES MOTS         

 

         LE TEXTE de la PONCTUATION née de ce SILENCE

         C’est horrible, je crois bien que je l’ai tuée. Je ne sais pas ce qui m’a pris. J’ai commencé par arracher ses huit virgules inutiles. Ce n’est pas ma faute, elle ressemblait à une veuve noire. ! Une araignée dans sa toile. Dans sa douleur, elle m’a lancé des points d’interrogations sans discontinuer. Je lui ai répondu tout de suite par des points d’exclamation. La conversation devenait difficile. J’ai mis un point final à notre discussion. Elle ne bougeait plus. Ses yeux m’imploraient et sa bouche se tordait dans un rictus. Je n’en croyais pas mes yeux. Elle semblait encore vivante à l’intérieur de son corps. Des mots mille pattes sont sortis de sa bouche :

 « jesuisnéedudiableetceluicimatransforméeenaraignéepourécrireàlencrenoirecesquelquesmots »

         Je n’ai pas très bien compris ces lettres en serpentin et je suis parti en claquant la porte de l’appartement derrière moi. Je me suis assis sur un banc avec une expression de point-virgule. Et soudain, je la vois sortir de l’immeuble, habillée d’une robe blanche, tricotée au point mousse, enjamber une flaque d’eau sans voir la virgule. Entre parenthèses, c’est le diable qui ronronne dans son esprit. Elle porte autour de son cou, accrochée par deux petits points, une rivière de mots. C’est sûr, elle prépare quelque chose de malin, un petit tour de sorcellerie. Mais, … , c’est certainement une autre histoire qui pourrait me laisser en suspension.

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