Le Top Modèle

matheo

Calliope se regardait dans le miroir, front légèrement plissé, en se caressant les hanches. Elle se trouvait trop ronde, avec une poitrine trop petite. Elle se pencha en avant, dos cambré, les seins comprimés entre ses bras. Comme ça, elle avait l’air belle, comme ses poupées de magazine. Camus entra dans la chambre au moment où elle se convainquait de ses charmes en se jetant un regard langoureux, bouche en cœur pour un baiser imaginaire.

- Tu es superbe !

Elle se redressa, gênée d’avoir été surprise dans une position qu’elle trouvait soudain grotesque. Alors, il s’approcha pour la prendre dans ses bras et caresser son ventre blanc. Il trouvait son corps sculptural et ne comprenait pas pourquoi elle se laissait envahir par ses étranges complexes ? Elle sourit sous le compliment mais n’en démordait pas. Elle allait faire un régime ! Camus l’embrassa sur la joue avant de retourner dans le couloir pour enfiler sa veste. Et si elle ne voulait pas être en retard au jardin des Tuileries, elle devait aussi se préparer. Le jardin ouvrait à huit heure et les promeneurs matinaux risquaient d’être surpris si l’une des statues n’était pas là.

Camus gara la Dolores à côté du commissariat, à deux pas de l’entrée. En sortant de sa voiture, il prit une longue bouffée d’air frais. Le soleil le caressait par intermittence à travers les feuilles de platanes. Il n’avait pas envie d’aller bosser. Pas aujourd’hui. Il faisait trop beau… Il traversa la route pour aller s’appuyer au parapet et regarder la Seine. Le fleuve coulait des jours tranquilles, lui renvoyant une image de sa propre vie.

Depuis que sa femme dormait en prison, il vivait un bonheur parfait avec Calliope. Au bureau, les relations avec Charpaing s’étaient normalisées… En tous les cas, le divisionnaire n’avait pas tenté de l’assassiner depuis longtemps. Il le mettait toujours sur les pires enquêtes, mais après tout, ça pouvait aussi être une marque de confiance. Son téléphone transportable sonnait au fond de sa poche de veste.

- Allo ?

- Camus ! Arrêtez de rêver et venez dans mon bureau !

L’inspecteur se retourna vers le commissariat. Au dernier étage, la grille d’aération d’une fenêtre laissait échapper des fumerolles. Derrière les carreaux, une silhouette gigantesque et informe se dessinait dans les volutes grises. Camus essayait de deviner le visage du vieux, et comme pour exaucer son vœu, le nez immense perça la fumée. Juste derrière, l’œil droit le fixait, sévère comme une prof d’allemand, rond comme un monocle sous le sourcil froncé. L’œil de Caïn devait être plus avenant.

Camus lâcha le parapet en se demandant si la « normalité » de leur rapport allait souffrir de cette entrevue. Par précaution, il passa d’abord à l’armurerie pour se chercher un lance-flammes, le vieux étant doté d’une peau pare-balles. Après l’avoir sanglé, il monta jusqu’au dernier étage, frappa trois coups à la porte et entra.

Il fut accueilli par un mur de fumée qu’il dut escalader pour arriver jusqu’au vieux. Charpaing l’attendait, les deux coudes posés sur son bureau. Son air sévère s’envola lorsqu’il vit l’embout du lance-flammes dans les mains de l’inspecteur.

- Vous vous inquiétez ?

- Disons que deux précautions valent mieux qu’une.

- Je vois le lance-flammes, mais où est la deuxième précaution ?

- Ah ! Je me disais que j’avais oublié quelque chose…

- Peu importe. Je n’ai pas prévu de vous tuer aujourd’hui.

- Merci… Qu’est-ce que je peux faire pour vous ?

- Vous connaissez Hydi Clou, le top modèle ?

- J’en ai entendu parler.

- Elle est décédée. Ce matin, elle avait rendez-vous avec un ami photographe de mode à son appartement. Lorsqu’il est arrivé chez elle, il a trouvée son corps mutilé. Je voudrais que vous vous rendiez sur place avec Brignol pour enquêter.

- Je suis obligé de prendre Brignol avec moi ?

La noirceur du regard laissait peu de doute sur la réponse. Charpaing lui donna l’adresse de la victime où une équipe de bleus l’attendait. L'inspecteur salua son supérieur avant d’escalader le mur de fumée dans l’autre sens. Avant de partir, il récupéra Brignol à la machine à café et ils allèrent ensemble au 72 avenue des Champs d’Ialou.

La porte défoncée donnait sur un vaste espace qu’avait dû meubler un designer viré de chez Ikea. Tout était blanc, propre et bien rangé. Le photographe qui avait trouvé le corps était dans la cuisine avec un policier. La victime se trouvait sur le lit dans une position étrange, le bras droit tiré derrière le dos. Les poignets et divers endroits des bras avaient été lacérés. La jambe droite avait été sectionnée au niveau du genou et la partie inférieure était manquante. Après que Brignol ait pris quelques photos, Camus s’approcha pour retourner le corps. Un rapide examen lui permit de comprendre qu’elle n’avait pas été abusée sexuellement. Le légiste confirmerait ses constations, mais il avait peu de doute.

- On ne l’a pas violé ? demandait Brignol.

- Non.

- Bizarre…

- Pourquoi ?

- Parce que moi, si je tuais une si jolie femme, je crois que je la violerais avant.

- Tu es décidément quelqu’un de très… particulier.

- Peut-être qu’elle s’est suicidée ?

- Pardon ?

- Ben oui, on voit qu’elle s’est ouvert les veines.

- Et elle se serait arraché la jambe avant ou après ?

- Ça, c’est une bonne question…

Pourquoi le vieux l’avait-il forcé à prendre Brignol avec lui ? Ce con était simplement insupportable. Le poing de l’inspecteur s’écrasa dans la truffe humide du stagiaire avec une violence inouïe, que personne n’avait ouï venir. Après un court vol plané, Brignol s'affalait en couinant sur le dallage.

A l’instant où ses larmes touchaient le sol, un petit chien jaillissait de sous le lit pour venir lui lécher le visage. C’était un chien moche à poils longs, du genre qu’on trouve chez les vieilles gâteuses. Brignol vautré dans sa douleur, avec sa mine d’épagneul triste, venait de se faire un ami… Camus regardait la merde sur pattes en se demandant bien à quoi ça pouvait servir. Hydi Clou s’était fait massacrer dans son plumard et son chien n’avait rien trouvé de mieux que d’aller se planquer sous le lit. Avouez qu’on fait mieux comme chien de garde !

Ces considérations mises à part, il se demandait qui avait pu tuer le top modèle, et pourquoi ? Le corps ne portait aucune trace de violence sexuelle. Si on était venu pour voler quelque chose, l’appartement n'aurait pas été si bien rangé. Et pourquoi garder un morceau de jambe ? Il faudrait qu’il épluche les contrats d’assurance de la victime. Mais avant, il allait s’entretenir avec le photographe.

John Yanivan semblait être en état de choc, les yeux perdus dans le vide, ce qui est emmerdant pour un photographe. Camus voulait savoir comment il avait découvert le corps. L’homme raconta d’abord qu’il connaissait bien Hydi. C’était une amie. Quand il était arrivé ce matin, il avait frappé et sonné mais personne n’avait répondu. Ce n’était pas le genre de Hydi de poser des lapins et d’ailleurs il n’y avait aucun lapin posé devant la porte. Il l’avait donc appelé sur son portable et avait entendu la sonnerie de Hydi à l'intérieur de l'appartement. Il avait sonné, encore et encore, appelé, mais sans succès. Alors, pris d’inquiétude, il avait enfoncé la porte et c’est ainsi qu’il l’avait trouvée.

Les dires de Yanivan correspondaient à l’état de la porte. Le verrou était encore tiré. Les gonds avaient été explosés sous les coups du photographe. Camus allait aussi vérifier le téléphone de la victime pour corroborer cette version. S’il disait la vérité, cela signifiait que la porte de l’appartement était fermée. Donc le tueur avait refermé en sortant. Il devait manquer un jeu de clefs. Toujours selon le photographe, Hydi n’avait que deux trousseaux, et le second était chez sa sœur en Ardèche, en cas de perte du premier.

Le problème était que le jeu de clefs de la victime était toujours dans la serrure de la porte défoncée … Camus dût appeler la sœur pour l’informer du décès de Hydi et savoir si elle était toujours en possession du second trousseau. Elle confirma. Cela signifiait que le tueur était toujours dans l’appartement quand John était arrivé. Mais pourquoi avoir attendu qu’on défonce la porte alors que les clefs étaient bien en évidence ?

Quelque chose clochait dans cette histoire et après tout, la théorie du « suicide » de Brignol n’était peut-être pas plus bancale qu’une autre. On avait ni violé ni volé la victime. Donc pourquoi ? Le tueur, si tueur il y avait, avait attendu qu’on défonce la porte pour fuir… pourquoi ? Il avait volé un morceau de jambe… pourquoi ? Ou alors elle s’était suicidé après s’être mutilé… pourquoi ? Ou alors elle avait été tuée par « choupette » ?! Camus avait formulé cette hypothèse histoire de rigoler, mais après tout, pourquoi pas ?

Dans la chambre, Brignol tenait toujours le clébard dans ses bras. L’inspecteur Camus se mit à quatre pattes pour regarder sous le lit et découvrit le morceau de jambe manquant. Il était très abîmé et le chien l’avait visiblement rongé. En se redressant, il croisa les regards tristes du chien et de Brignol.

- C’est le clebs? demandait Camus.

- Non…

- Brignol, je sais que c’est le chien qui a fait le coup.

- Qu’est-ce qui va lui arriver ?

- Ça, c’est le juge pour chiens qui va en décider.

- Mais il savait pas ce qu’il faisait. suppliait Brignol.

- Explique-toi…

- Hier soir, sa maîtresse et lui ont pris des rails de coke. Pendant la nuit, il a eu des hallucinations et il a cru qu’il était à côté d’un tas d’os. Alors il a essayé de la manger. Et ce matin, il s’est réveillé à côté de la jambe et il a compris. Il regrette ce qu’il a fait… mais en même temps, c’est vrai qu’elle était toute maigre. C’est normal qu’il l’ait confondu avec des os…

- Comment tu sais tout ça Brignol ? Toi avec ta truffe humide et tes oreilles pendantes, tu vas me dire que… mais tu parles le chien ?!

- Inspecteur, on pourrait peut-être rien dire ?

- Non Brignol. Je suis désolé mais on doit arrêter ce chien. C’est la loi.

L'inspecteur stagiaire avait les yeux brillants et le chien lui lécha une nouvelle fois le visage en signe d'amitié. Il comprenait qu'on l'arrête et il ne leur en voulait pas.

Brignol convoya le chien lui-même au commissariat. Lorsque le légiste enleva le corps, Camus la regarda une dernière fois. C’est vrai qu’elle était maigre... Il comprenait que le clebs, la truffe bourrée de coke, ait pu la confondre avec un sac d’os. C’était la norme actuelle. Pour être belle, il fallait ressembler à un vieux cadavre sec. Il repensa à Calliope qui se trouvait trop ronde alors qu’elle était superbe. Ce soir, en rentrant, il lui raconterait cette histoire et peut-être qu’elle arrêterait de le faire chier avec ses complexes. Les chiens continueraient à pisser sur son piédestal, mais au moins, il ne la mangerait pas.

  • Salut Wen, je te remercie ici pour tous tes commentaires bien sympas (hier soir, je suis parti du bureau en urgence pour boire et j'ai pas pu te répondre directement...)! Je suis très content de te compter parmi mes fans ;)

    · Il y a environ 12 ans ·
    Matheo 500

    matheo

  • Grand fan, y compris de celui-ci !
    J'aime ton personnage et le bazar dans ses poches. C'est excellent.

    · Il y a environ 12 ans ·
    Francois merlin   bob sinclar

    wen

  • Suspense loufoque... un divertissement très sympathique.

    · Il y a environ 12 ans ·
    Locq2

    Elsa Saint Hilaire

  • sympa et puis il y a une justice !

    · Il y a environ 12 ans ·
    Img 5684

    woody

  • ah, les gouts et les couleurs ;) La prochaine fois, j'essaie de mettre un peu de vieux rock russe (attention, surprise:))

    · Il y a environ 12 ans ·
    Matheo 500

    matheo

  • toujours aussi décalé
    je me suis régalée, la seule critique... la musique
    ce n'est pas ma tasse de thé pour le reste j'adhère :))

    · Il y a environ 12 ans ·
    Img 0285 300

    thalia

  • En effet c'est moi, mais je suis content, Marie a corrigé sa faute.

    · Il y a environ 12 ans ·
    Sdc12751

    Mathieu Jaegert

  • non, c'est n'est pas moi qui l'avais dit. Vous devriez réfléchir avant de parler. En attendant esclaffez vous bien.

    · Il y a environ 12 ans ·
    Matheo 500

    matheo

  • Je n'ai pas donné de conseils en grammaire ou en orthographe, monsieur Jean :)

    Mais en savoir vivre, je peux vous en donner sans soucis. Et pourquoi tout ce battage alors que vous êtes démasqué? Ne devriez vous pas vous cacher? Voici ce qui me dérange dans tout ça :
    Je met des CDC à des textes qui en valent vraiment la peine. Ca signifie que je veux les partager avec les autres utilisateurs du site. Et vous, en trichant de la sorte, vous me privez d'offrir aux autres les lectures qui m'ont plu. C'est dommage.

    Allez, je vous répondrai plus. Vous n'en valez pas la peine.

    · Il y a environ 12 ans ·
    Matheo 500

    matheo

  • avec plaisir :) C'est corrigé!
    Sinon, ne vous sentez pas obligé de mettre des CDC qui ne sont pas sincères, chère Marie :)

    · Il y a environ 12 ans ·
    Matheo 500

    matheo

  • Héhé, je sais qu'on partage une certaine culture musicale! C'est pour ça que je me dois d'offrir autre chose! Pour la découverte :)

    · Il y a environ 12 ans ·
    Matheo 500

    matheo

  • Mais moi, je sis fan!aussi bien de ton style que de ton gout prononce pour Rammstein!!
    ca m'a fait sourire cette petite histoire!

    · Il y a environ 12 ans ·
    Suicideblonde dita von teese l 1 195

    Sweety

  • Merci msieur! Pour ton ordi, ne t'inquiète pas. C'est parce qu'il déprime à cause de la conjoncture. Dès que les joueurs de scrabble auront posé la "solution", il sera de nouveau "Super heureux" ;)

    Je rajoute le lien pour les curieux : http://www.welovewords.com/documents/dans-les-chaussettes

    · Il y a environ 12 ans ·
    Matheo 500

    matheo

  • Je le place en Coup de Coeur parce que j'aime la plume, le personnage, l'ambiance...mais je le relirai plus attentivement plus tard ! Et avec la musique car là mon ordi déconne !

    · Il y a environ 12 ans ·
    Sdc12751

    Mathieu Jaegert

  • (éviter le mode plein écran pour une lecture optimale)

    Ce 6ème épisode repose en partie sur les antécédents criminels de l'auteur, et je ne peux que vous conseiller d'aller vous plonger dans ses dossiers avant de rendre votre verdict.

    Ah et puis j'y pense, merci de laisser un petit mot quand vous notez le texte (surtout si vous n'avez pas aimé, ça fait toujours plaisir ;))

    Pour la musique, je suis désolé de remettre du Rammstein car il faut varier les plaisirs, mais cette reprise de Kraftwerk accompagne ce texte trop parfaitement pour en choisir une autre

    · Il y a environ 12 ans ·
    Matheo 500

    matheo

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