L’ECOLE DE CAMPAGNE

Hervé Lénervé

Je me suis remis aux contes, car j’en ai à régler et j’aimerais finir mon recueil avant que la faucheuse ne me cueille.

Je suis petit pour mon âge, mais l'âge ne compte plus en rien, pour ma part du moins, car j'ai déjà quatre-vingt-dix ans dépassés, à présent et, excusez du fait, je ne m'en suis même pas aperçu, nonobstant, il parait improbable que je grandisse encore. Cela dit, quand j'étais jeune, j'étais aussi très petit et, vous savez, quand on est en dessous de la taille moyenne, on se fait charrier et chahuter, alors, rien d'étonnant à ce que je l'aie été, l'un et l'autre, plus souvent qu'à mon tour. On me traitait de nabot, de nain, de rejeton, de demi-portion, pour les insultes les moins grossières, on me tapait sur le crâne pour les brimades les moins agressives. L'imagination ne manque jamais aux enfants quand c'est pour blesser, humilier et faire souffrir leurs congénères, leurs coreligionnaires. Je pense que les enfants ont besoin d'un exutoire à leur propre frustration, celle de ne pas être autonome, d'être tributaire de… de devoir obéir à toutes les autorités de la famille, à la Société. Bref, j'étais leur tête de turc et à cette époque-là, je ne leurs cherchais aucune excuse, je n'analysais nullement ce qui aurait pu sous-tendre leurs comportements hostiles, je subissais seulement, au jour le jour, leurs sévices quotidiens.

Je nourrissais des plans de vengeance toujours plus cruels les uns que les autres. Ma vindicte devenait obsessionnelle.

Le pire de mes bourreaux était un grand garçon efflanqué qui m'impressionnait beaucoup. C'était sur lui principalement, que j'échafaudais mes châtiments.

Comme déjà dit, je n'étais pas grand, mais très intelligent pour mon âge, l'un n'empêche pas l'autre. J'avais une intelligence pratique et j'étais doué de mes mains, en fait, le parfait petit bricoleur.

Un été chaud, où la température frisait les quarante degrés Celsius, nous nous rendions à l'école en short, mais cela ne changeait pas de l'ordinaire, nous étions toujours en culottes courtes, quel que soit le temps, par contre nous avions troqué nos gros godillots montant à lacets, pour des sandalettes avec des semelles fines, faites de cordes. Je dois préciser également que mon bourreau préféré, tyrannisait aussi tous les autres écoliers. Il avait institué tout un rituel, pour asseoir son pouvoir, son autorité, que nous devions tous respecté. La première de ces règles de la journée d'école était de ne pas se soulager aux toilettes avant qu'il ne l'ait fait, lui-même. Monsieur n'aimait pas sentir l'odeur des autres dans cette cabane de bois accolé au mur du préau. Notre bourreau avait l'odorat délicat. L'isoloir rudimentaire possédait le luxe d'être éclairé à l'électricité par un bricolage maison.

Un matin, très tôt, avant que les autres garnements n'arrivent, je réalisais le plan que j'avais échafaudé la veille. Il était fort simple, il me suffisait de couper un des deux fils qui courait le long de la plinthe à dix centimètres au-dessus du sol. Le fils de phase était facile à reconnaître il était rouge, je le décollais sur vingt centimètres et le plaquait contre le vieux carrelage craquelé du sol, en l'ayant préalablement dénudé. Le courant électrique était coupé au niveau de l'interrupteur, je m'étais bien gardé d'allumer la lumière, je m'éclairais avec une lampe tempête.

Mon travail effectué, j'arrosais abondamment le plancher avec l'eau de la cuvette, puis pour faire bonne mesure, je vidais entièrement ma vessie pour marquer le territoire de ma vengeance. Il ne restait plus qu'à attendre, ce ne fut pas long, le tortionnaire à peine arrivé se rua vers les latrines en bousculant sauvagement ceux qui étaient sur son passage, une envie pressante sans doute. Le garçon, la porte à peine refermée actionna l'interrupteur mais l'ampoule ne s'alluma pas et pour cause… par contre des étincelles jaillir dans l'obscurité du petit jour avec un fumet de poulet grillé, le jeune coq était cuit.

Il n'y eut pas réellement d'enquête, les gendarmes mirent la mort du gamin sur le compte de la vétusté de l'installation et seul l'instituteur fut vilipendé.

Ce fut une journée merveilleuse pour moi, car non seulement j'avais débarrassé la terre d'un tyran, mais de plus, sa mort nous donna trois jours de repos mérités, du moins pour mon cas, car les autres n'avaient rien fait pour cela. Peu importe, j'étais lancé en tant que justicier, je n'allais pas m'arrêter en si bon chemin.

Bien d'autres écoliers suivirent l'exemple du grand dégingandé, à croire que cette école de campagne était maudite, il n'y avait qu'un pas, que les villageois franchirent allègrement. Puis avec l'âge passant, je continuais ma besogne sur le reste de la population, tout âge, tout sexe confondu, pas de ségrégation dans ma justice expéditive. J'apportais ma pierre à l'édifice de la désertification des campagnes. Pour être honnête, maintenant que je commence à être vieux et que ma mémoire se délite, je ne me rappelle plus exactement le nombre de mes victimes, j'aurai dû être plus vigilant et les noter dans un cahier d'écolier, avec pleins et déliés.

De toute façon peu importe, car j'ai pris, aujourd'hui ma retraite, je ne tue plus, à d'autres de reprendre le flambeau.

Le plus étonnant, le plus étrange, c'est peut-être la raison pour laquelle mon histoire figure dans ce registre de contes, c'est que je ne fus jamais inquiété par la marée-chaussé, ni même seulement suspecté.

 

Moralité : la vraie vie n'a que faire de la moralité.

  • Rien de tel que les méthodes radicales :) non mais !!

    · Il y a plus de 5 ans ·
    W

    marielesmots

  • Si tous les cons pouvaient se donner la main, ça serait plus facile de les électrocuter :o)

    · Il y a plus de 5 ans ·
    Gaston

    daniel-m

  • Mon grand-père, moqué et conspué depuis sa prime enfance a trouvé dans la guerre 39/45 de quoi venger les langues rurales de vipère qui le lui avait interdit...en 80/90 à mon époque, un humoriste, un seul, lui rendit toute sa gloire, enfin! Coluche: la bonne longueur pour les jambes c'est quant elles touchent le sol….. peut importe qu'il ait la croix de guerre...Enfin! ;0)

    · Il y a plus de 5 ans ·
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    flodeau

    • Je comprends, enfin, je crois ! :o))

      · Il y a plus de 5 ans ·
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      Hervé Lénervé

    • Pour faire court, en 45 ses bras courts encourraient à genou un e vision courte de la vie..il en a eut rien à foutre l'aieul, même pas un doute, tu te as; je me me bas00et c'est pas Beyrout….

      · Il y a plus de 5 ans ·
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      flodeau

    • Toutes les guerres sont horribles, même si certaines le paraissent plus encore, 39/45 en fait partie. Maintenant, même si je suis vieux, je fais quand même partie de la jeunesse dorée, la première qui n’est jamais connue de conflits armées. :o))

      · Il y a plus de 5 ans ·
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      Hervé Lénervé

    • La guerre qui nous décime, nous ronge au premier degré, nous sommes cernés, enfants et parents, nous donnent grise mine….entre Alzeimer de nos ainés et Glad l'aieul bien dégrisé, où se rixe la frise? Même pas en retard, en avance...voire on avance! ;0(

      · Il y a plus de 5 ans ·
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      flodeau

    • La guerre qui nous décime, nous ronge au premier degré, nous sommes cernés, enfants et parents, nous donnent grise mine….entre Alzeimer de nos ainés et Glad l'aieul bien dégrisé, où se rixe la frise? Même pas en retard, en avance...voire on avance! ;0(

      · Il y a plus de 5 ans ·
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      flodeau

    • : o))

      · Il y a plus de 5 ans ·
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      Hervé Lénervé

  • Bravo et félicitations pour cette oeuvre de salubrité publique! Nous agirions ainsi dès l'école on aurait pas les gouvernements qu'on a!

    · Il y a plus de 5 ans ·
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    arthur-roubignolle

    • Eh oui ! On a les dirigeants que l’on mérite ! :o))

      · Il y a plus de 5 ans ·
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      Hervé Lénervé

  • Tres marrant... Une super guerre des boutons, plus triste !

    · Il y a plus de 5 ans ·
    Autoportrait(small carr%c3%a9)

    Gabriel Meunier

    • Si j’aurais, j’aurais pas venu ! ;o))

      · Il y a plus de 5 ans ·
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      Hervé Lénervé

  • Merci !... et oui dans la vraie vie la morale n est jamais ou on l attend :))

    · Il y a plus de 5 ans ·
    Img 20200507 141256 386

    dentelles-rebelles

    • Ce serait trop facile ! et cela manquerait de piquant. :o))

      · Il y a plus de 5 ans ·
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      Hervé Lénervé

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