LES CITRONS DE OUARZAZATE

Isabelle Revenu

Il était une fois des cages aux oiseaux si dorées qu'il arrive parfois aux fées se laisser prendre au piège.

Au beau milieu d'un capharnaüm digne des plus belles heures d'un cosmos en furie, dans un harem, entre figue et loup, chaloupait une sorte de pax romana sur le fil du rasoir. Une mésentente cordiale. Une guerre en sursis.

Trop de filles semblaient lassées de tant de trésors pour elles commandés.

Ciselés par d'étranges joailliers d'une Asie lointaine, de lourds bracelets de laiton cuivré encerclaient leurs poignets graciles. Une fois sertis aux bras de leur destinataire, ils tintaient pareils aux cloches des vaches à l'alpage. Dénonçant aux janissaires celle qui cherchait à se soustraire aux rituels de la chair et du sang. 

Les scarifications en répression sur son visage de madonne la désignaient pour le restant de ses jours. Ame errante et désolée, elle vivait alors recluse parmi les recluses.

Pas question pour ces Vénus blafardes de pointer le nez dehors. Le sultan avait décrété depuis la naissance de son empire que les moucharabiehs étaient amplement suffisants pour respirer un peu l'air de la rue bruyante et garder leur teint de lait aux favorites choisies entre mille pour l'éclat de leur beauté obsédante.

Des captives d'Occident. Tombées entre les filets des pourvoyeurs de chair à embrasser, à pétrir, à soumettre aux caprices de cet homme riche d'entre les riches. 

Des oasis, elles n'en ouiraient que les délices inouis par la bouche des éphèbes bellâtres. Et songeraient aux régalades de dattes fraiches et d'eau transparente au goût de citron de Ouarzazate. Ou de menus gâteaux à l'eau de rose. A la liberté d'humer un air nouveau, de se balader aux rayons d'un soleil bienfaisant.

Elles imagineraient leurs suaves caresses épisodiques sur leur corps abandonné au vent de la liberté perdue.

Ces grivèleries libertines passagères aidaient à supporter l'enfermement tant bien que mal. Plus mal que bien. Nombre d'elles étaient sujettes aux courbatures dans cet endroit clos sur le monde des vivants. L'échine sans cesse pliée devant le maître des lieux. Faisant courbette sur courbette pour éviter les remontrances.

L'une ou l'autre cochant jour après jour les heures longues passées à regarder les mouches au plafond, à écouter pour la centième fois une de leurs soeurs de misère psalmodier un chant douloureux à la gloire du sultan-bourreau.

Les uniques instants de douceur partagée résidaient dans une portée de zorros du désert. De petits fennecs minuscules couleur crème aux oreilles ouvertes sur leur détresse palpable. Quelque chose pour déverser leur trop-plein de tendresse inhibée.

Chaque nuit naissante apportait ainsi son cortège de sanglots.

Une d'entre elles était désignée par un ruban doré rehaussé de jaspe à satisfaire des assauts toujours plus virils, toujours plus contraignants.

Enkystées dans des soieries lourdes et inconfortables. Pimpantes au-dehors et si ternes en-dedans.

Le sultan ne faisait pas dans la nuance. Exigeait, menaçait, tempêtait...

Et punissait les rebellions larmoyantes.

La baraka n'était pas de mise non plus. Aucune porte de sortie sur un futur possiblement radieux.

Elles mouraient au coeur de leur prison. Comme certaines y étaient nées. 

Fruits d'un viol minable, enfants d'enfants dépossédées de toute compassion.

Et voici qu'une nouvelle lune se lève sur d'autres douleurs. Un autre sacrifice. Des puits de larmes amères pour ces trésors de chair rosée qui n'ont eu que le tort d'écouter les promesses d'un avenir aveuglé.

Il y a des phares qui ne mènent nulle part, sauf à se fracasser sur des écueils affleurants.

Des aubes où la mort saisit les corps endoloris. Livides. Avides. Vides. 

Lorsque les envies s'en vont, c'est la vie qui agonise.

L'amour radieux, le vrai,  se suffit à lui-même.

Il n'a nul besoin d'artifice, nulle nécessité de richesses éphémères. Ne souffre aucune contrainte.

Il accroche tout seul des petits flambeaux multicolores sur ses branches basses, des étoiles endiamantées à ses ramures célestes. Et une flammèche étincelante tout en haut de sa branche maitresse.

Toi pour qui je me consume, s'il te plait, ne laisse jamais mes lumières s'éteindre en toi.

Signaler ce texte