LES CONFLITS DURENT

Avant, tout est sombre et je suis trop jeune pour avoir des souvenirs nets, mais j'estime que depuis au moins 1720 j'étais bassine à confiture dans une ferme de Champagne, et n'avais connu que la tranquillité du cellier, sauf une fois en 1870 où j'avais dû passer un mois horrible dans la fosse à lisier.

Mais arriva ce jour d'aout 1914, et la déconfiture de l'armée locale, avec ces nouveaux occupants qui me déportèrent et me muèrent en douille, pour revenir en mes terres en mars 1915.

En 1918 un vigneron qui crut me reconnaître sauta avec son cheval n'ayant pas vu que par esprit de résistance, j'avais refusé d'exploser, mais hélas tout en étant restée amorcée.

Un gitan bossu me redressa, m'estampa et me vendit à une jeune veuve comme souvenir de tranchée. Je trônais sur la poutre de la cheminée du salon, à côté de la photo fraîche de son Jules, plombé dans l'Aisne par un ancien chêneau de Noyon retravaillé dans la Ruhr. Puis vint 1940, en pleine marmelade hexagonale,  me voila encore revenue à l'est, et toujours en douille, vite expédiée en Tunisie et lâchement  abandonnée dans le sable pour un bon moment.

Trente trois ans après, à la faveur d'une tempête mémorable,  un berger me retrouve toujours non explosée et pour payer sa jambe en bois me vend dans le souk à un artisan, qui  martelant durant des heures me fait plateau ciselé et ainsi quelques années plus tard, je retrouve le rémois dans les valises d'un beau vacancier pelé.  Mais une nuit, une main masquée me dérobe et me fourgue chez un ferrailleur qui m'expédie en Chine où l'on me refond et m'étire.         

Depuis je suis câble de PC dans la coopérative de confiture d'Epernay, et arrivée en fin de cycle, j'avais envie de vous communiquer cette histoire avant ma prochaine refonte.