Les ficelles
Camille Agard
C'est par une ficelle que tout commence. Donnez une corde, un élastique, un rafia à n'importe qui, et avec, il construira sa vie. Ca donne du sens, la ficelle. Ca relie les choses entre elles pour les rendre plus fortes, assemblées. On en fait des bijoux, des paniers, instruments, maisons et bateaux. Je lève mes yeux et autour de moi, il y a du fil discret qui rend possible les technologies modernes, le cannage de cette chaise et mon T-shirt en coton. Il traverse anonyme, les paysages des hommes qui ont fait du fil un moyen de communication et de connexion matérielle.
Je n'irai pas dire que je suis amoureuse des cordes, mais parfois je pense à elles avec gratitude. J'admire les douces lignes serviles qui insistent, quand bien même on les oublie, on tire dessus, on les écrase.
Evidemment, il arrive qu'elles cèdent.
Burn out.
La pression les fait lâcher, c'est leur côté humain.
Songez aux élastiques. Que se produit-il quand leur caoutchouc usé s'abandonne dans vos doigts? Moi, j'ai chaque fois besoin de les pardonner à l'intérieur, de les remercier malgré tout d'avoir donné le meilleur. En plus, ça me rend triste les vieux élastiques. Ca me renvoie à la mort des choses attachantes. Les grand-pères qui n'y arrivent plus, les étoiles qui s'éteignent, les souvenirs qui se fracassent et les entorses.
Chaque fil est pour moi un possible cordon ombilical qui propose des solutions à une union perdue. La vie ne tient pas qu'à un fil, mais bien à des milliers de fils, devenus le réseau rassurant de nos existences frustrées. Les ficelles resserrent le vide et les incertitudes. On croit avoir besoin de libertés, mais je crois qu'avant tout, c'est la fidélité qui nous rend fort.
Il faut que ça lie.
Il faut que ça tienne.
Et soudain on accorde toute notre foi à un minuscule bout de cordelette statique, qui donne l'air très sûr de son rôle. Mais ce que l'on cherche derrière les discours religieux ou dans les Pensées des anciens, m'apparait très clair quand je contemple un fil : être capable de s'attacher aux autres et s'effacer. Être solidaire, pour éprouver le monde
Beau texte: Il me fait un penser au mythe des Parques, ces divinités en charge du destin, de la vie et de la mort....
· Il y a presque 10 ans ·lylia
pourquoi votre site ne marche plus?
· Il y a environ 10 ans ·litteraire85
Original ---
· Il y a environ 10 ans ·"ça me rend triste les vieux élastiques" ah oui, quand ils sont fatigués, quand ils ne jouent plus leur rôle, quand leur vie semble s'échapper, ---
alors que les ficelles cordes drisses et autres ont plus d'espoir de survie de durée, et de témoignages d'efforts...
notamment grâce à la solidarité des brins;;;; mais qui sont aussi prisonniers entre eux...
rechab
Moi aussi j'aime beaucoup, le fond et la forme. Bravo!
· Il y a environ 10 ans ·divina-bonitas
Merci beaucoup! J'ai l'impression qu'il n'y a pas que les grands sentiments capables de nous inspirer, et que l'on a trop dit ce qu'on avait à dire sur eux. Alors que des choses aussi insignifiantes, nous font la morale tous les jours, sans pourtant qu'on les écoute.
· Il y a environ 10 ans ·Camille Agard
Très beau et très philo
· Il y a environ 10 ans ·nyckie-alause
Il est top ce texte.. J'sais pas comment tu fais mais t'arrives à nous donner des claques en nous parlant d'ficelles...
· Il y a environ 10 ans ·dreamcatcher