Les masques - 1. Nathaniel (3)

Kate se planta au centre de la pièce et tourna lentement sur elle-même. Elle analysa les autres prisonniers qui, éparpillés dans la pièce, formaient déjà des petits groupes de recherche ou de discussion. Seul Patibulaire, toujours attaché, et l’Endormi, qui s’était rendormi, n’avaient pas bougé.

« Y a-t-il ici quelqu’un capable de crocheter une serrure ? Demanda-t-elle soudain d’une voix forte, attirant quelques regards dubitatifs. Nat eut un léger sourire.

- Oh ! Moi ! » S’exclama presque fièrement Gemma en levant la main, avant de se ratatiner sur elle-même lorsque les regards convergèrent sur elle. « Enfin… euh, je veux dire… Vous imaginez pas que je suis une cambrioleuse ou quelque chose dans ce goût-là hein ! »

Elle eut un bref éclat de rire, comme si l’idée particulièrement incongrue. Ca aussi c’était louche.

« C’est juste que j’ai une poisse légendaire, alors il vaut mieux que je sois parée à toutes les situations. Quand on se retrouve enfermée 24h dans un placard, on se pare ! J’ai… La poisse… Et c’est peut-être à cause de moi si on est enfermés là, même si je ne vous connais absolument pas ! J’ai…

- Oh, laisse-nous deviner ! Répondit joyeusement Bouclettes. La poisse ?

Mike, à côté de Gemma, lui tapota amicalement l’épaule

- Ca n’a probablement rien à voir…

- Très bien ! » Coupa vivement Kate, qui, si elle avait eu la politesse d’écouter la confession de Gemma, ne se sentait pas prête à tergiverser plus longtemps. « Je ne sais pas s’il y a bel et bien une clé cachée dans cette pièce, mais je n’ai pas envie d’attendre encore trois heures avant de sortir d’ici. Tu penses que tu peux nous aider ? »

Gemma fouilla dans sa poche, en proie à une intense concentration. Puis son regard s’éclaira et elle leva fièrement une épingle à cheveux, bien haut, que tout le monde puisse la voir. Yeux-Bleus, dans son coin, s’amusa de l’absurdité de la situation. Si Kate n’était pas plus encouragée, elle adressa néanmoins un sourire poli à Gemma et lui libéra le chemin jusqu’à la porte. Gemma s’agenouilla devant la serrure, et pas le moins du monde angoissée par la tâche qu’elle devait accomplir, entreprit de farfouiller dedans avec ses épingles.

Bouclettes s’approcha d’elle et se pencha, les mains posées sur les genoux, pour observer son travail avec attention.

« T’es vraiment sûre que ça va marcher ton truc ? Parce qu’elles ont pas l’air bien solide, tes deux épingles à côté de ce vieux truc rouillé. Et j’crois que les autres sont pas trop confiants !

Gemma, sans s’interrompre dans son activité, tourna la tête, avisant du regard tous ceux qui se trouvaient dans son champ de vision. Perplexes, elle devait bien l’admettre.

- Ne vous inquiétez pas ! J’ai déjà vu pire, je vous jure ! Une fois, à l’école, un garçon m’a forcé à ouvrir touuuutes les serrures de la réserve du prof de chimie ! Et comme le prof de chimie était super parano, bah il avait mis toutes sortes de sécurités, et crois-moi, c’était pas de la tarte ! En tout cas, j’en suis venue à bout ! 

Bouclette se pencha vers la Magnifique, pour murmurer :

- Et après elle veut nous faire croire qu’elle est pas cambrioleuse.

La Magnifique partit d’un léger rire, et Nat, vaguement jaloux – il n’avait que ça à faire pour oublier l’atmosphère pesante de la pièce – se demanda pourquoi ça n’était pas lui qui la faisait rire. Bougon, il enfonça les mains dans les poches de son bermuda.

- Du coup, le garçon avait fini par m’enfermer dans la réserve du prof de chimie. » Continuait Gemma sans réaliser qu’elle n’était plus écoutée. « Heureusement qu’en dehors d’être parano, il était plutôt compréhensif, sinon je me serais f… Oh ! Ca y est ! »

Personne, cependant, n’eut le temps de s’extasier sur l’exploit de la jeune femme. Une autre exclamation parvint de l’autre côté de la pièce.

« Wow ! » S’était écrié Yeux-Bleus, en face de l’un des pans de la bibliothèque. Il avait toujours la main posée sur la tranche d’un livre, et au vu de l’espace qui venait d’apparaître, révélant une pièce cachée, il ne fallait pas avoir eu un prix Nobel pour comprendre que c’était lui qui avait enclenché le mécanisme.

Gemma elle-même oublia la porte pour se diriger en même temps que les autres vers la nouvelle salle qui leur était apparue. Légèrement plus petite que la première, elle semblait tout droit sortie d’une autre catégorie de films. Les murs étaient d’un blanc immaculé, et la seule chose qui la meublait était cet énorme moniteur placé au centre de la pièce, surmonté d’une douzaine d’écrans qui formaient un énorme carré.

« Eh ! » S’écria Patibulaire depuis l’autre pièce, ne voyant que l’un des murs blancs de là où il était. « Eh ! Qu’est-ce qui se passe ? C’est quoi là-bas ? »

Là-bas, ils étaient tous bouche bée, abasourdis, incapable de trouver une explication à tout ça. Si c’était une télé-réalité pour laquelle ils avaient signé sous GHB, il était temps que la voix-off se manifeste, parce tout ceci était de plus en plus obscur.

« Qu’est-ce que c’est que tout ça ? Souffla Briana, incrédule.

- Vous croyez qu’on est dans… Un truc façon base militaire ou quelque chose dans ce goût-là ? Suggéra le grand Mike.

- Une base serait-elle vraiment établie dans un manoir ? Interrogea une voix vaporeuse derrière eux. Le groupe se retourna dans un bond, surpris de voir l’Endormi arrêté sur le pas de la séparation entre les deux pièces. Yeux-Bleus, le plus proche de lui, se pencha vers l’ouverture pour adresser un regard perplexe à Patibulaire, qui n’eut qu’un haussement d’épaules indifférent.

- Un manoir ? Répéta la Magnifique.

- C’est la déco qui te fait dire ça ? Demanda la fille aux tatouages, clairement suspicieuse. L’Endormi haussa mécaniquement les épaules.

- Possible oui. Je ne sais pas, je ne me suis pas posé la question. Je pensais juste qu’on était dans un manoir. »

Yeux-Bleus fronça les sourcils. Il tourna la tête en direction des écrans, puis balaya chacune des personnes coincées dans la pièce.

« Onze avec Pyscho… baragouina-t-il. Briana coula vers lui un regard intrigué.

- Qu’est-ce que tu racontes ? 

- Il y a douze écrans. On est onze dans cette pièce.

Là, tout le monde s’observa, comme pour vérifier les dires de Yeux-Bleus.

- Attendez ! S’exclama Gemma, qui pour la première fois, semblait réellement en proie à la panique. Il est où Nat ?

- Qui ça ? Demanda Yeux-Bleus.

- Vous savez ! L’australien qui fait du surf ! Il était avec nous, il…

- Oui, je vois. » Coupa Yeux-Bleus avec impatience, se souvenant bien de ce garçon aux mèches dorées qui pouvait bien avoir une tête de surfeur australien. Celui qui avait pratiquement supposé que l’Endormi était mort, avant de constater qu’il n’était qu’endormi.

Ils s’avancèrent tous en direction du salon, s’arrêtant face à Patibulaire, qui leva sur eux un regard suspicieux.

« Quoi ?

- T’as vu quelqu’un sortir ? Entrer ? » Interrogea le garçon aux yeux bleus.

Patibulaire ne réagit pas immédiatement. Il tourna la tête en direction de la porte, mais comme elle était pour ainsi dire dos à lui, il ne pouvait pas voir si elle était toujours fermée. Il se contenta de le supposer. Probablement aurait-il senti un courant d’air, sinon. Prompt à provoquer ses tortionnaires, il reprit lentement sa position normale, et leur adressa son sourire le plus énigmatique.

« Peut-être bien que oui, peut-être bien que non…

- Attendez ! S’écria la fille aux tatouages, coupant toute éventuelle explication. Regardez ! »

Elle leva l’index en direction des écrans, qui s’étaient tous allumés, affichant ce qui semblait être la même image pour chacun d’entre eux : une cellule aux allures de cachot, au sol irrégulier et aux murs de pierres nues, intégralement vide. Tous, hormis un : sur le premier écran, en haut, à gauche, la cellule était habitée. Allongé sur un lit d’hôpital, inconscient, reposait Nathaniel.