Les masques - 4. Adam (1)

octobell

Face contre terre, ses lèvres entrouvertes laissaient s’infiltrer un mince filet d’eau dans sa bouche. Encore aux portes de l’inconscience, Adam partit d’une légère quinte de toux, faisant éclabousser quelques gouttes qui perlaient sur ses lèvres. Il rêvait qu’il se noyait. Ses membres s’agitèrent dans d’imperceptibles mouvements de nervosité. Au loin, estompé par le masque nébuleux de son inconscient, lui parvenait un bruit étrange. Un bruit de plus en plus prononcé, au fur et à mesure qu’il se réveillait.

Brusquement, il se redressa, reprenant sa respiration comme s’il venait de sortir d’une longue séance d’apnée. Le liquide qu’il avait ingurgité se répandit dans ses poumons, et il toussa violemment en se pliant à quatre pattes, encore à moitié sonné. Ce fut la froideur de l’eau au contact de sa peau qui le réveilla définitivement. Retenant un hurlement, il se leva d’un bond, ses baskets glissant sur le sol inondé. Il évita la chute d’un moulinet des bras, et leva la tête pour regarder tout autour de lui. Le bruit étrange qui l’avait réveillé, c’était ces douches alignées sur les murs de sa cellule, qui déversaient leur jet puissant et glacial, remplissant à une vitesse ahurissante ce qui ressemblait à une piscine géante. Sans prendre la peine de réfléchir à sa situation, Adam, pataugeant dans l’eau qui atteignait déjà ses chevilles, se jeta sur la porte qu’il tenta d’ouvrir… en vain. Mais il ne se laissa pas démonter et retourna au centre de la pièce, avisant le coin gauche où était située la caméra, comme dans toutes les autres cellules.

« EEEEEEEH !! » Hurla-t-il alors de toute la force de ses poumons, sautillant sur place et agitant ses bras au-dessus de lui. « Putain, faites qu’ils soient pas encore en train de bouffer ! EEEH ! AIDEZ-MOIIII ! A L’AIIIDE !

- C’est bon Adam, on est là ! Répondit rapidement une voix qu’il ne reconnut absolument pas, entre les grésillements du micro et l’étrange résonance de sa cellule.

- Pouah sérieux, j’ai cru qu’vous m’abandonniez, là ! J’veux pas crever là-dedans !

- Tu vas pas crever ! » Répéta la voix féminine, et cette fois, il fut presque sûr qu’il s’agissait de Gemma. « Ce n’est que de l’eau, n’est-ce pas ?

- Ca pourrait être du sirop d’grenadine que ça changerait rien à ma vie ! J’sais pas nager ! Mais putain, les zigotos d’mes deux, je vais pas crever ! Et une fois que j’serai sorti, croyez moi que vous aurez préféré me voir crever, parce que j’vais tous vous poursuivre un par un et vous découper en p’tites rondelles, avant d’vous donner en pâture à mes poissons rouges !

- Bouclettes. » Appela alors Ira d’une voix où perçait furieusement la raillerie. Pas besoin de reconnaître son timbre, le surnom se suffisait à lui-même. « A qui est-ce que tu t’adresses ?

- A ces putain d’andouilles fumées d’la côte basque avec leurs stupides masques d’Halloween d’la fin des années soixante ! S’écria Adam en agitant les bras en l’air, clairement en train de péter un boulon.

- Ok. Tu peux pas la fermer deux secondes et écouter ce que Marpier a à te dire ?

Se résignant au silence, Adam tritura nerveusement ses bouclettes, dans un tic qu’il avait souvent pour réfléchir ou se calmer. Il devina sans peine l’agitation qui régnait de l’autre côté de la caméra, entendant ci et là quelques exclamations plus distinctes que les autres.

 - On a vu cette pièce tout à l’heure. » Intervint cette fois la voix de la jolie Marpier, avec un certain calme qui avait le mérite de le détendre. « C’était les douches. Et je sais où est-ce qu’elles sont ! »

Elle jeta un coup d’œil à l’inexpressif Endormi, qui n’avait pas l’air de se sentir concerné par toute cette histoire. Il était en train de réprimer un bâillement fatigué, louchant sur la montre de Kate, qui se tenait à côté de lui. Marpier leva les yeux au ciel et reprit la parole :

« Quand on est partis à la recherche de Nat, on avait trouvé une porte dans un renfoncement à gauche des grands escaliers, et qui menait directement à des sous-sols. C’était un enchevêtrement de couloirs, et les douches étaient dans le… Oh et puis zut ! Il faut qu’on y aille ! L’Endormi, tu viens avec moi ! » S’écria-t-elle sans lui laisser un quelconque choix, l’empoignant par le col pour l’entraîner en dehors du salon, laissant comme un vide à l’intérieur.

Ira se tourna lentement vers le quatrième écran, où il voyait Adam debout en plein milieu, les bras légèrement écartés, semblant attendre une quelconque sentence. L’eau lui arrivait déjà aux genoux.

« T’as entendu, Bouclettes ?

- Oh putain ouais ! Le voilà ce foutu coup d’avance ! » S’écria Adam en levant un poing en l’air. Ira s’octroya un faible éclat de rire. Ils l’avaient eu depuis le départ, ce coup d’avance. « J’espère qu’ils courent vite hein ! J’ai oublié mon calbute imperméable à la maison, et c’t’eau, elle est gelée !

- Ils seront arrivés avant, ne t’inquiète pas ! Assura Kate dans un éclat de rire qui marquait son soulagement.

- T’inquiète pas ma p’tite ! J’suis un warrior ! »

Un warrior qui n’en menait pas large pour l’heure. S’il savait parfaitement donner le change auprès des autres, en réalité, il était littéralement mortifié. Mourir noyé était la pire de ses hantises, et il lui arrivait régulièrement de se réveiller la nuit en ayant l’impression d’étouffer. Il n’osait pas bouger, se sentant foutrement impuissant. Il n’était déjà pas doté d’un esprit de réflexion surdéveloppé à la base, mais dans cette situation, il n’aurait même pas eu l’idée de chercher un robinet.

« Pitié, pitié… Murmura-t-il pour lui-même. Faites vite… »

***

Le couloir résonnait encore du claquement de leurs pas, alors qu’ils s’arrêtaient brusquement, tournant sur eux-mêmes pour tenter de se souvenir à quel endroit de ce croisement de couloirs ils avaient tourné avant de trouver ces fameuses douches. L’Endormi, glissant mécaniquement les mains dans ses poches, sentit sous ses doigts la surface plastifiée de son petit paquet de poudre. Il eut brusquement l’envie d’abandonner cette course et tous les autres, se laisser glisser contre un mur et se laisser envahir par les vapeurs narcotiques de son univers onirique. Son regard se fit rêveur, mais Marpier ne lui laissa pas le temps de s’enfoncer dans son carcan imaginaire, le secouant sèchement.

« C’était où, déjà ? Demanda-t-elle nerveusement en passant une main dans ses longs cheveux mordorés. L’Endormi haussa les épaules avec indifférence. Il s’en fichait ! Il s’en fichait royalement. Il sortit la petite boule d’héroïne de sa poche, l’admirant avec intérêt. Sauf qu’un imperceptible éclat brillant en arrière-plan intercepta son regard.

- Il y a de l’eau ici… » Annonça-t-il de son ton vaporeux en tendant mollement le bras vers le couloir de droite. Marpier ne prit même pas la peine de le remercier, se jetant les yeux fermés dans la gueule du loup, alors que le couloir s’obstruait brusquement d’une sombre silhouette. Elle était parée d’un masque blanc en demi-loup à bec d’oiseau, et noyée sous un long manteau dont le col remontait jusqu’au milieu du visage. Ses mains gantées, le manteau et le chapeau à larges bords profondément enfoncé sur sa tête empêchaient de distinguer d’une quelconque manière la personne qui se trouvait sous ce costume. A part ces yeux noirs qui la dévisageaient sombrement.

 « Attention ! » S’écria l’Endormi pour avertir la jeune femme.

Marpier dérapa devant le Masque, manquant de trébucher alors qu’elle faisait vivement volte-face pour repartir en sens inverse, entraînant une nouvelle fois l’Endormi avec elle. Mais l’homme ne leur laissa le temps de rien et s’élança à leur poursuite. Malgré le lourd costume qui ralentissait ses mouvements, son endurance et sa force physique n’étaient en rien comparable à celle des deux jeunes gens. Il leur mit rapidement la main dessus, envoyant sèchement valdinguer l’Endormi, et s’emparant avec force de Marpier qui, dans un hurlement strident, tenta de se défaire de son étreinte. Elle enfonça sans vergogne ses doigts dans les trous pour les yeux du masque, arrachant de l’autre côté un cri rauque. Le Masque, dans un mouvement de recul, la lâcha brusquement, mais se remit bien assez vite pour reprendre sa course. l’Endormi se jeta soudainement sur lui, malgré son dos qui protestait de douleur, et ils furent tous deux propulsés contre le mur d’en face.

« Va-t-en… » Souffla l’Endormi à Marpier, comprenant que c’était à elle que le Masque en voulait. Marpier ne se fit pas prier, et le Masque poussa un grognement rageur. Il envoya violemment un coup de genou dans les côtes de l'Endormi qui, la respiration coupée, s’effondra lourdement. De l’une des poches de son lourd manteau, le Masque sortit un mince morceau de corde se terminant par un nœud à chaque extrémité, qu’il envoya d’un geste maîtrisé en direction des chevilles de Marpier, la faisant tomber à quelques mètres de lui. Il la rejoignit dans une enjambée rapide, reprit la corde et l’empoigna par les jambes, la faisant traîner le long du couloir, malgré ses hurlements et ses ongles qui crissaient sur le sol pour tenter vainement de l’arrêter. Il ralentit juste assez en arrivant en face de l’Endormi pour lui envoyer un violent coup de pied à la tête, et le jeune homme se renversa en arrière, le visage en sang. A travers le voile de l’inconscience, il vit Marpier qui tentait encore vainement de se débattre, tandis que son agresseur la prenait entre ses bras et l’emmenait dans le couloir, vacillant dangereusement, se retenant de justesse contre le mur.

« Non… » Marmonna-t-il, tendant inutilement le bras pour tenter de la retenir. Alors qu’elle disparaissait de sa vue, il ramassa toutes ses forces pour s’appuyer contre le mur, et sa tête roula sur son épaule, laissant l’évanouissement remporter la victoire, sa main s’ouvrant sur la boulette d’héroïne qui s'en échappa.

  • Ahah j'aime beaucoup l'idée :D. Merci à toi Mélanie ;) Je sais pas si t'as lu le début, mais si ça t'intéresse, ça commence ici :

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Logo bord liques petit 195

    octobell

  • Ton style ici me fait penser à ces romanciers qui écrivaient des nouvelles d'horreur à l'époque d'Hitchcock! J'aime beaucoup.

    · Il y a plus de 11 ans ·
    1505012013 p1050104 500

    maddie-perkins

  • Alors comme d'habitude, je suis en stress comme les personnages, pire peut-être ^^ Et je pressentais qu'Adam n'allait pas être sauvé aussi facilement, en même temps faut pas être une lumière pour penser ça ^^
    Sinon je trouve que la scène du combat est particulièrement bien décrite !

    Sinon je crois que je vais essayer de réfléchir à la prochaine peur qui va être au programme :D

    Merciii pour cet épisode !! :)

    · Il y a plus de 11 ans ·
    20130820 153607 20130820153847362 (2)

    rafistoleuse

  • Merci à tous les trois :D

    Vengeance ? Hummm peut-être est-ce bien plus tordu que ça ^^

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Logo bord liques petit 195

    octobell

  • Ai-je encore besoin de dire que tu sais mieux que personne nous torturer avec tes dons de romancière sadique ? Encore une fois, top top top ! CDC
    Je vais essayer de me retenir... non peux pas, la suiiiite !

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Avatar loup 54

    matt-anasazi

  • OUbli!!!

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Yoda 24 04 09 002 92

    yoda

  • Chaque personnage est bien décrit, les gestes aussi, on visualise bien, mais quelle angoisse! Serait-ce l'un d'entre eux qui amanigancé toute cette mise en scène? Celui qui s'en prend à tous un par un, connait bien les lieux, et doit être riche! On en saura un peu plu la prochaine fois, il me tarde d'en connaître la raison, parce que la vengeance est terrible, mais s'agit-il bien de vengeance??? A suivre.
    PS : j'ai répondu à ton commentaire de la suite 2 d'un froid si blanc sur le site, et je te joins la suite 3 avec le lien ci-après ; j'attends la fin du mois pour mettre la 4, beaucoup de vacanciers et moins de lecteurs.
    CDC pour être dans le trio favori des lecteurs et que d'autres, autres que tes amis puissent te lire!

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Yoda 24 04 09 002 92

    yoda

  • ah lala cet episode fait son effet. La tension monte, et ils sont elimines un par un. Ca donne a reflechir c'est vrai quelle peur me ferait perdre la raison... tu es cruelle en fait, hein dis le.. tu aimes ca torturer en tout cas nous torturer car il faut que l'on attende.... encore...pour la suite...mechante va

    · Il y a plus de 11 ans ·
    521754 611151695579056 1514444333 n

    christinej

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