Les mémoires plus ou moins vrai de Maitre Scarabée le plus grand des faussaires, ou le sucide par la justice. 4eme Partie.

Remi Campana

4. SCARABEE DECOUVRE SON MAITRE

 

Il faisait froid. Pour la première fois où je me trouvais dans la célèbre cité corsaire de Saint Malo, je m’amusais à méditer sur la tombe du grand Chateaubriand. Il me restait encore une braise d’amour pour le poète de mon enfance, car plus d’une fois il m’avait sauvé la vie, par sa lecture.

Aujourd’hui, j’avais fait de l’art ma raison de vivre mais, dégoûté de ce que j’avais pu voir, je regrettais même de m’être éduqué. M’enfermant dans une léthargie passive, j’étais mort avant même d’avoir vécu, et je compromettais mon avenir avec un certain masochisme. Assis à côté du faiseur de belles paroles, je pansais mes blessures. J’étais fatigué, si fatigué, je me serais bien lassé de la vie jusqu’au moment où je croisai le visage de la dame au linceul noir.

Elle semblait sortir d’outre-tombe, me souriant, à tout juste cinq cent mètres de moi; et m’invitant par son regard à m’approcher d’elle. Je ne sais pas pourquoi j’eus ce besoin de la rejoindre ; j’étais peut-être fasciné tout simplement par sa beauté. Quand je fus arrivé à ses pieds, elle me donna l’impression de me comprendre. Elle pointa du doigt l’épitaphe d’une pierre tombale, sans rien dire ; passivement, je compris que je devais le lire :

« Ci-gît Rémi Campana (1971-2009)

Partir de Zéro est chose facile, se réconcilier avec soi-même fut chose impossible.

Ces fantômes du passé restèrent sa catagenèse ; et le suivirent jusqu'à sa propre décadence.

Par le prix de sa création, il se forgea sa propre pavane en forme d’un requiem pour l’enfant

mort qui sommeillait en lui ; et terminera ainsi son éternelle errance par le coup de grâce »

 

Scarabée ne comprenait pas ce que cela pouvait dire, trop troublé par ce qu’il venait de lire. Pourquoi cette date ? Elle ne correspondait a rien, deux-mille-neuf était encore loin. Il se retourna vers cette laconique personne pour lui demander quelques explications, mais elle

avait disparu.

Comment cette forfaiture avait-elle pu se faire ? C’était tout bonnement impossible ! En quelques secondes, un être humain ne peut se volatiliser. Une panique intérieure le fit vaciller, et ce froid qui n’en finissait pas de le glacer…

- Dites, jeune homme, vous allez mal, avez-vous besoin d’aide ?

A ce moment, il le vit à coté de lui pour la première fois, ce petit homme, qui lui tendait la main.

- Allez, venez, je vous invite à boire un verre, vous allez geler si vous restez ici.

Le suivant docilement, il brûlait d’envie de lui raconter son histoire, mais quelque chose l’en empêchait. Sur le chemin, le vieux se présenta : il s’appelait Arman Romanos, et vivait dans une de ces rares maisons au toit de chaume restées debout après les outrages du débarquement. Elle semblait toute petite, sa mansarde ; il faut dire que les pièces étaient terriblement chargées en souvenirs de toute une vie. Dans ce labyrinthe miniature, le patriarche lui offrit un chocolat battu au beurre salé, spécialité de la ville. Ce n’était pas si mauvais et ça réchauffait.

Assis et apaisé, il regarda aux quatre coins de la pièce. Dans un pêle-mêle de bric-à-brac, des meubles rustiques de style Henry III étaient surchargés d’objets insolites de tout style qui eux mêmes contrastaient avec des peintures abstraites aux couleurs flamboyantes, jurant avec la tristesse des icônes byzantines accrochées sur les murs. Tout cela ne laissant pas la moindre place vide, et donnant une tonalité bien spécifique à cette pièce, lui conférant une certaine sécurité.

- Vous êtes peintre ? demanda Scarabée.

Le vieillard acquiesça de la tête.

- Eh oui, jeune homme, mais dites-moi, que faisiez-vous sur la tombe du fou ?

La gorge nouée, il ne sut que répondre ;

- Pourquoi un fou, et pourquoi cette date ?

- Oh mon ami, ne brûlez pas les étapes, il vous reste encore vingt-deux ans pour le

comprendre, et je peux vous donner ma parole qu’un jour vous aurez la réponse.

Scarabée restait méfiant, et hésitait à polémiquer ; cette répartie de son hôte l’inquiétait, et il en résultait un mauvais présage. Il se contenta de lui répondre par cette question qui était hors contexte:

- C’est quoi pour vous un artiste ? Hier on copiait les beautés terrestres, maintenant on se contente de mystifier les esprits.

- Vaste problème que vous me posez-là, répondit le barbon malicieux, y a-t-il une réponse ?

Un vrai artiste est pour moi la verrue incarnée et absurde de la raison sur le renoncement de soi. Un acte de foi, qui ne peut pas mourir, mais qui reste volatile comme l’esprit, et changeant comme les saisons.

Scarabée, surpris par sa philosophie, savait qu’il avait raison, et se hasarda à lui demander de raconter son histoire.

Le vieux fut un temps un peintre renommé, et puis l’accident. Lui qui était encensé hier fut très vite oublié le lendemain. Retombant dans l’anonymat, il décida d’emmener son corps malade en pèlerinage sur la terre bénie de ses aïeux. Le miracle arriva dans un port du mont Athos, quand sa barque s’échoua par le son des sirènes. Réveillé par le choc, il n’arriva pas à la remettre à flot. Alors son oreille entendit une mélodie, un hymne à la gloire de la plus célèbre des femmes de petite vie, la vierge Marie.

Deux moines aveugles chantaient « Salut, épouse inépousée », accompagnés à la lyre par leurs doux novices, tout fraîchement pêchés dans leurs filets. Tout en s’approchant de lui, ces Charon lui demandèrent sa main. La simplicité de ces gens le gêna, mais il accepta de les suivre dans le désaveu de leurs petits péchés. Sur cette île mythique d'Ogygie, dans les entrailles de la forteresse de la grande « Lavra », il apprit à transcrire les paroles divines en images. Lui qui était parti pour quelques mois, son périple dura sept longues années.

Quand, enfin libéré, il retrouva sa chère Ithaque, en son beau pays de Bretagne, tout avait changé : du mécréant d’hier, il ne restait plus qu’un homme de foi et de devoir. Scarabée fut ensorcelé par son histoire, terminant sa tartine au doux miel de Guérande. Il se hasarda sur la pente sinueuse de l’opportunisme, et demanda s’il accepterait de lui enseigner son savoir.

Ainsi débuta son odyssée, qui n’en fut pas moins glorieuse que celle du grand-père.

Travaillant vingt-deux heures sur vingt-quatre, il eut très vite fait de tout apprendre. Je ne sais même pas combien de temps il y restât, car la fin de mon histoire est des plus déroutantes.

Un soir, pris de fatigue, il décida de se coucher beaucoup plus tôt qu’à son habitude. Très vite, ses paupières se fermèrent, pour ne s’entrouvrir que le lendemain matin. Un peu brutalement, je vous le concède, secoué comme un prunier, il était de retour au cimetière.

-Et dites-moi, espèce d’imbécile, ça ne va pas de dormir sur une tombe qui ne vous appartient pas ? Vous allez me foutre le camp, ou je vous fous un coup de pelle sur la tronche.

Scarabée se leva tout tremblant, pris de frayeur à cette mauvaise blague…

Le ronchonneur se trouvait être le cantonnier du coin, et sans savoir pourquoi il lui demanda :

- Excusez moi, monsieur, je ne comprends pas ce que je fais là, vous connaissez le bien nommé, Arman Romanos ?

- C’est un mort ou un vivant ? demanda l’interlocuteur.

- Un vivant, pourquoi cette question ?

- Alors, elle est bien bête votre devinette, je ne le connais pas, votre rigolo. Vous savez, ça fait des années que je n’ai pour voisinage que les Macchabées, et quand ils viennent me rendre

visite, c’est jamais pour me taper un brin la discute. Mais je connais une tombe abandonnée, là-bas, qui porte ce nom. Depuis le temps que personne ne va le voir, ça lui fera certainement plaisir d’avoir un peu de compagnie.

La pierre qu’il montra à Scarabée n’était-elle rien de plus que la tombe mystérieuse du fou ? Accélérant son pas, il n’avait qu’une idée, élucider ce mystère ; sur place, ses yeux s’écarquillèrent, c’était impossible.

Arman Romanos (23 avril 1892 - 12 aout 1944)

Mort en héros pour la libération de sa ville.

 

Il tomba à terre, dans l’impossibilité de penser, ne sachant même plus combien de temps il resta-là, prostré dans cette misère… Ce nom, cette photo, c’était bien lui. Au cantonnier qui l’avait rattrapé, il demanda la date du jour.

- Ah, vous êtes marrant, vous, les étrangers ! Même ça, vous n’êtes pas foutu de le savoir, la même heure qu’hier avec un jour de plus c'est-à-dire ; le vingt-et-un Août mille-neuf-centquatre- vingt-sept.

Avait-il donc rêvé?

Deux jours plus tard, plein d’interrogations et sans la moindre réponse, il quitta Saint-Malo. Quand son train démarra, de son wagon, à travers la vitre il regarda cette ville pleine de mystères. Il espérait tant les revoir une dernière fois, cette dame au linceul noir et son maître en peinture, mais de cela rien n’arriva.

Vous vous demandez s’il était repassé rue du Diable, où se trouvait sa maison ? Bien sûr, à la place, un trou béant, ou ronces et charançons avaient pris demeure. Cette histoire sans morale peut vous sembler n’être qu’une élucubration.

Mais alors expliquez-moi comment, du jour au lendemain, il avait appris à peindre ?

(A suivre, la semaine prochaine…) 

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