''Les misérables''

enzogrimaldi7

Et nous sommes là à essayer d'exister. Nous. Entre les géants de la génération d'Après-Guerre. Et les pathétiques de la génération à qui l'on donne tout. Nous. La génération d'entre deux. Ni voulus, ni rejetés. Ni loués, ni honnis. Ni vainqueurs, ni perdants. Nous, les transparents.

Ce soir là la lune avait une apparence étrange, plus que de coutume. Une pâleur maladive qui ne laissait rien présager de bon. Cachée derrière les nuages, ils n'y prirent garde. Dans le camp, les femmes étaient occupées à préparer la soupe tandis que les hommes, près du feu, étaient là à fumer la pipe ou quelques cigarettes dont les volutes bleutées dessinaient et parfumaient le décors. 


La nuit s'avança. Et comme le vin était bon, on sortit les guitares. On aurait dit que tout le monde était au diapason,y compris les habituels visiteurs du  soir: dame chouette, maître corbeau et fourbe renard. Le Cante Jondo montait au ciel et l'on vit aussi, malgré la venue soudaine de cette lune jaunâtre, quelques belles se dresser et entamer des pas de danse, guidées par l'instinct.


C'est alors que le silence envahit les bois. L'épouvante se lit dans les yeux de l'ancêtre qui, le premier, sut qu'ils arrivaient. Un pas de charge se fit entendre. Les enfants, les femmes et les hommes n'eurent que le temps d'échanger des regards perdus. Des miliciens, guidés par les ordres, vêtus de marron fasciste, de noir SS, de bottes soviétiques et couverts du chapeau de la Guardia Civil, firent irruption au milieu des gitans, avec, à leur tête, un porte-drapeaux qui agitait l'étendard de l'Inquisition.


Armés d'actions, d'obligations, et de règles, ils se ruèrent dabord sur les enfants qu'ils mirent dans leurs poches. Les femmes croulèrent sous une avalanche de bons d'achat les uns plus hypnotisants que les autres. Enfin les hommes, qui perdirent leur virilité à la vue dun tel carnage, se retrouvèrent encastrés dans des écrans plats ou des pare-brise.


Puis les miliciens convertirent les quenouilles en sex toys, l'âtre en micro-ondes, les guitares en fusils et les roulottes en cars de CRS. Ils brûlèrent ensuite ce qui restait du camp et des corps et, par extension, la forêt, jugée trop sauvage. Ils repartirent comme ils étaient venus, au pas de charge et guidés par les ordres. Ils regagnèrent leurs véhicules où ils s'engouffrèrent comme on va aux toilettes.


Les chants et la mélodie des guitares laissèrent place à une immonde cacophonie que crachaient des haut-parleurs sournois. La conversation des miliciens se limitait à de curieuses prédictions au sujet d'un ballon rond qui coûtait des milliards. Ou s'attardait sur celui qui allait être exclu d'un luxurieux appartement où se chamaillaient des malades mentaux sous surveillance vidéo.


Ils retrouvèrent leur caserne dans l'Etat où ils l'avaient laissée. Sordide, corrompu et extrêmement unilatéral. Ils se prosternèrent devant leur chef, un nain qui ricanait. Ils vomirent le récit de leur forfait. Ils se souvinrent alors qu'ils avaient toujours les enfants dans leurs poches. Ils les achevèrent à coup de jeux électroniques. Un seul survécut, défiguré mais vaillant. L'Etat l'expulsa pour qu'il effrayât ses semblables.


Dans le petit jour verdâtre, on entendit un ricanement entre deux tambours battants. Les guitares étaient interdites à jamais. On avait brûlé tous les livres et le marron était la couleur dominante. Cependant dans la brume il y eut un air de flûte: c'était l'ancêtre, qui avait plus d'un tour dans son sac, que la milice avait confondu avec un tronc d'arbre lors du massacre. Il recueillit l'unique résistant et après l'avoir recousu, ils filèrent vers le sud où, même la milice, pourtant misérable, n'osait plus s'aventurer.

                                                                                                  2011

https://youtu.be/SGrp1Y251TM
  • Heureusement qi'il y a des clairières secrètes sur WLW...
    L'eau de rose et les papillons ne sont pas bons pour ma santé

    · Il y a plus de 3 ans ·
    Autoportrait(small carr%c3%a9)

    Gabriel Meunier

    • Bien dit ça! Et merci pour la visite.

      · Il y a plus de 3 ans ·
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      enzogrimaldi7

  • Merci de m'avoir envoyé ici. J'ai en plus lu ce texte avec la musique que vous m'avez partagée. Merci également pour cette découverte. Que dire de votre écrit? L'ambiance des deux premiers paragraphes donnent envie d'y être. Et le reste... à la fois triste par sa réalité et mordant par ces phrases coups de poings. Il m'a rappelé fahrenheit 451 que j'ai fini de lire la semaine dernière. Je le mets en coup de coeur pour pouvoir le retrouver facilement et le relire. Merci encore.

    · Il y a environ 4 ans ·
    220px lautr%c3%a9amont by vallotton

    Bryan V

    • Merci d'être passé par ici. J'ai trouvé amusant le mimétisme entre le personnage défiguré de votre ''Désert du Sanahalari'' et l'enfant amoché ici. Comme un préambule...

      · Il y a environ 4 ans ·
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      enzogrimaldi7

  • Quelle fable parlante...

    · Il y a presque 7 ans ·
    Journalintimebon

    damephoenix

    • Oui. Nourri à la poésie de Federico Garcia Lorca, le grotesque de tout ce qui est dénoncé ici s'est aggloméré un jour d'un coup. On est loin de la subtilité du grand poète mais il m'a un peu guidé. Merci.

      · Il y a presque 7 ans ·
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      enzogrimaldi7

  • Yl5....

    · Il y a presque 7 ans ·
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    flodeau

  • Pas de bol?!...

    · Il y a presque 7 ans ·
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    flodeau

  • Transe y Sion, filaire et sud Oripare!!! , ;0)

    · Il y a presque 7 ans ·
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    flodeau

  • J'aime cette image, ce cliché malin. Si je peux me permettre, la transition après le premier paragraphe est un peu brutale, il manque juste une petite... transition :o)

    · Il y a presque 7 ans ·
    Gaston

    daniel-m

    • L'effet brutal était voulu mais vous avez raison d'induire que ce conte aurait dû être un peu plus long et mieux construit. J'avoue être plus à l'aise dans le format standard de l'article. Je me suis fort étonné de l'achever cependant. Les critiques constructives sont toujours les bienvenues.

      · Il y a presque 7 ans ·
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      enzogrimaldi7

    • Il m'a fallu 6 ans...et surtout 4 mois depuis votre suggestion pour que je me décide enfin à rajouter un paragraphe, au moins, entre le premier et le 3eme. Peut être que l'équilibre n'en est que meilleur. En plus j'y ai rajouté quelques personnages bien connus, histoire de renforcer l'effet conte. À vous, et aux autres de voir. Bien à vous.

      · Il y a plus de 6 ans ·
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      enzogrimaldi7

    • Du coup, j'ai tout compris lol L'esprit candide aime bien que l'on explique :o) En accord total avec le texte !

      · Il y a plus de 6 ans ·
      Gaston

      daniel-m

  • Incroyable raccourci de ce qui a été, et de ce qui est.

    · Il y a presque 7 ans ·
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    Marcus Volk

    • Bien dit. Ceci dit, les Misérables, dans ce texte, ne sont pas forcement ceux que l'on croit.

      · Il y a presque 7 ans ·
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      enzogrimaldi7

    • C'est une évidence.

      · Il y a presque 7 ans ·
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      Marcus Volk

    • Ce Markus a du mordant!

      · Il y a presque 7 ans ·
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      enzogrimaldi7

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