les mouchoirs

nyckie-alause

Un peu de nostalgie ? Allez oui…

Ils sont devenus une idée les mouchoirs. Hier encore, disons avant-hier ils étaient l'arène de nos premiers points : ourlet, point de croix, et d'autres dont j'ai oublié le nom. Quelques uns s'ornaient de dentelles mais ceux-là ne pouvaient pas essuyer autre chose qu'une poussière au coin de l'œil, chasser un cil, un moucheron, servir de drapeau pour les adieux. Et mon grand-père, il en avait des mouchoirs. Des mouchoirs d'hommes, immenses comme des serviettes de table, souples d'avoir été beaucoup lavés, doux comme une caresse qui console des douleurs et effacent les larmes. Une fois, une seule, j'y ai eu droit. Un été au jardin. La pompe du puits exténuée faisait une musique semblable à une respiration de sieste. Le gros tuyau jaune éructait dans une vieille étoffe une eau que les sillons des haricots aspiraient avant qu'elle ne ruisselle. Je tournais autour des arbres en disant abricotier, cerisier, citronnier, pommier, figuier… c'était un grand jardin. Les asperges hautes et claires qui ne ressemblaient en rien à celle que nous avions eues au printemps, devenues fines et légères ornées de petits fruits rouges. Les poirées aux côtes rouge-sang aux feuillages d'un vert profonds. Les tomates incapables de s'accrocher seules aux tuteurs de bambou et qui ne tenaient droite que grâce à ces petits bouts d'étoffes colorées, ces lanières de mouchoirs. Les aubergines énormes et violettes qui ne se laissaient pas facilement cueillir. Après avoir bien couru, après avoir ramassé deux ou trois poignées de haricots, respiré quelques fleurs violettes en disant « ça pue l'oignon » j'avais le droit pour avoir aidé d'aller fouiller sous les feuilles des fraisiers. 

Oui, tu attends l'histoire du jour où, pour moi seule, Grand-papa a sorti son mouchoir. Il était gris pâle avec pour bordure un entrelacement de fils rouge et gris comme du ruban. Il faisait chaud et le mouchoir, je l'avais devant les yeux. A chacun de ses coins, Grand-Papa avait fait un nœud, pas un nœud trop serré, un de ces nœud qui laisse dépasser une petite couette. Et le mouchoir était sur sa tête. N'en dépassait qu'un peu de la couronne de cheveux blanc qui entourait sa calvitie. Il avait avec son tablier et son mouchoir sur la tête une allure amusante non dénuée de raffinement car le mouchoir était d'un gris en tout point identique à celui de son tablier. La couleur exacte aurait été « gris de zinc d'arrosoir ». 

L'aventure s'est produite autour des fraisiers. Souvent il me disait « Lave les fraises avant de les manger » mais ce jour-là il avait oublié, ou je ne l'avais pas entendu pressée que j'étais par la gourmandise. Tout au bout de la rangée, une fraise oubliée d'un précédent ramassage. Elle m'attendait. Il l'avait sûrement laissée à mon intention. Mon grand-père m'organisait souvent de petites surprises, d'ailleurs à Pâques… Je m'égare c'est une autre histoire.

La fraise, la main, le cri. Je suis piquée, l'animal s'envole, je hurle. 

La fraise tombe et moi, je hurle, je souffre, j'éclate en sanglots, je marche sur le fruit qui gicle comme du sang sous ma sandale.

Grand-Papa attrape mon bras qui déjà rougit et enfle, m'intime de ne pas bouger, attrape entre deux ongles une petite chose noire en disant « le dard… », aspire le venin (ou fait semblant). Et puis l'eau du puits glacée sur le bras brûlant. Et enfin, le mouchoir qu'il ôte de sa tête pour essuyer mes larmes « je n'aime pas te voir pleurer ». L'odeur de ce mouchoir je la sens chaque fois que je pleure.

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