Les odeurs

hel

le bout de chose écrit la semaine 7 qui fait le ciment entre la bouche cousue d'Antoine et la suite, un jour, quand elle se dessinera

Je garde le ciré jaune d'Antoine longtemps. Le ciré jaune d'Antoine sans plus personne dedans. À portée de paume, a portée de regard, à portée de mes doigts qui filent et volètent autour sans jamais le toucher. Je l'effleure juste parfois, de loin, sans trop oser, de la pointe des doigts, du bout de la pulpe, juste du bout léger, et  le respire à l'encolure là où l'odeur est. Là où l'odeur reste, plus forte. Je le respire fort et grand. Plus loin elle s'estompe à petit, se perd et s'égare, volatile s'efface comme les mots d'Antoine se sont effacés de sa bouche cousue.

Je le garde longtemps, le ciré jaune d'Antoine. Des jours, des nuits, jusqu'à faire des semaines, et des semaines jusqu'à faire des mois entiers qui poussent les saisons.

Je le garde,  je ne fais plus que ça.
Je le garde, le veille.

Je veille ses plis. Je veille aussi ses poches qui ne portent rien d'autre que de vieux silences  et dans le fond des pelures et des bouloches. Je veille ses manches râpeuses et son col affaissé, ses boutons perdus, égarés, ses fils qui se débobinent, ses coutures dorées,  de l'encolure à la doublure, sans oublier sa capuche qui bée,  je le veille en pièces, je le veille en  entier, le nez dedans, les yeux dessus et les mains froissées, le nez enfoncé collé contre le tissu, la bouche grande ouverte qui avale elle aussi l'odeur quand le nez n'y suffit pas. Car les bouches peuvent, les bouches savent faire, et ma bouche le sait, qui ventile, hume et avale, piste et renâcle les miettes de traces évaporées.

L'odeur d'Antoine est un pays que je parcoure à grain du bout du nez, à pleine bouche entêtée. J'y fais des voyages au long court qui racontent à la fois la peau et les mots perdus d'Antoine. J'y passe des tics et des tacs, des grains de sable, et le temps des battements des vols des petits moineaux. Et  les petits oiseaux savent, qui pépient, et tournoient, combien ces secondes sont de toutes  petites secondes, molles et froides, dans le creux de ma paume, qui ne sont que de petits mirages, petits tout petits, déjà prêt à s'envoler.

Je l'aurais gardé longtemps encore, le ciré jaune d'Antoine.
Je l'aurais gardé, je n'aurais fait plus que ça.
Je l'aurais  gardé pour le coudre froncé à vif contre ma peau, à m'en faire une doublure où j'aurais pu respirer encore les dernières traces et les mots perdus de sa bouche cousue.

C'était sans compter sur madame Simone.

Madame Simone maligne et son alcool de prune plus malin qu'elle  encore, qui vous accroche le sucre  à la langue et  la chaleur au  palais et  de là vous évapore sournois l'esprit tout entier. Juste le temps de mettre à la machine le ciré et de noyer son odeur dans le tam-tam du tambour, et l'eau de gicler le hublot, et Antoine de fondre Je ne parle plus à Madame Simone, je ne fais plus que ça, ne plus parler à madame Simone. Cela me prend du temps, et des minutes grandes et pleines d'amertume, cela demande de l'effort. Car elle est là, madame Simone, dans sa jupe droite pleine de plis que je connais, dans ses chemisiers fleuris,  avec ses sourires qui font comme des soleils, et ses seins ronds et épanouis,  et ses mains sur les hanches, et ses mots articulés hauts, là comme une mère qui tend les bras, comme une mère qui voudrait bercer. Avec des mots et des mots encore, pareils qu'à l'habitude,  plein de trop de raison.

...

  • On sent une respiration

    · Il y a plus de 8 ans ·
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    Philippe Larue

    • sans doute que je me suis appuyée sur une "respiration" oui, un rythme.

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Avat

      hel

  • Ça. Faisait longtemps que je n'étais v envie lire ici et c'est toujours aussi bon. C étendant, je souhaite émettre un av si dans ce passage: dame Simone maligne et son alcool de prune plus malin qu'elle encore, qui vous accroche le sucre à la langue et la chaleur au palais et de là vous évapore sournois l'esprit tout entier. Juste le temps de mettre à la machine le ciré et de noyer son odeur...
    Quelques virgules seraient les bienvenues

    · Il y a plus de 8 ans ·
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    Philippe Larue

    • je les mange au quatre heures les virgules, alors oui, y'en reste que des miettes :(

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Avat

      hel

  • J'adore la trame, je suis certaine que tu vas nous emmener au bon endroit... le meilleur juge, c'est le lecteur et cela fonctionne merveilleusement bien...

    · Il y a presque 9 ans ·
    W

    marielesmots

  • Superbe ce texte écrit avec les tripes, on le vit, tellement tu exprimes bien cette absence, très, très réussi, je te connais... ne nous fais pas trop attendre pour la suite... Je suis trop impatiente de ce qu'il va advenir de tout ça..., bravo Hel, tu es vraiment douée

    · Il y a presque 9 ans ·
    W

    marielesmots

    • Merci Marie contente que ça te plaise. J'ai commencé d'écrire la suite, j'attends un peu pour poster, pas inonder en rafale :)
      Je ne sais pas trop encore exactement vers où ça va aller, c'est étrange comme j'aime écrire ce texte et comme j'ai l'impression qu'il ne peut pas avoir d'intérêt pour quelqu'un d'autre que moi, en fait ça prend la direction d'un long poème, de petits bouts collés, de réflexions, de choses du ventre, je crois que ça peut exister et grandir comme ça. faudra me dire si ça devient barbant, je doute que se soit toujours si envolé, mais on va essayé et se décoller le pessimisme :)

      · Il y a presque 9 ans ·
      Avat

      hel

  • Quelle superbe éloge a l'absence.Tes mots sont comme les odeurs, ils s'imprègnent, ils virevoltent, ils encensent. D'ailleurs comment on les qualifie tes mots ? Bien encrés ou bien ancrés ?... comme une odeur quoi ;) Juste beau. Encore une fois.

    · Il y a presque 9 ans ·
    479860267

    erge

    • Merci beaucoup, vraiment très contente de ce ressenti, que ça puisse fonctionner, je visais complètement l'absence, celle qui mange tout, j'essaie de creuser encore.

      · Il y a presque 9 ans ·
      Avat

      hel

  • en effet ça se déguste des petits textes comme ceux là...

    · Il y a presque 9 ans ·
    Hotel9

    Sophie Marchand

    • Comme je l'ai dit j'aurais pas pensé, je croyais que ça ne parlait qu'à moi mais je suis vraiment contente du coup que ça puisse se déguster.

      · Il y a presque 9 ans ·
      Avat

      hel

  • Magnifique, poignant, terrible. Très émue par ce cri...

    · Il y a presque 9 ans ·
    D9c7802e0eae80da795440eabd05ae17

    lyselotte

    • Merci beaucoup Lyselotte moi ça me fait pareil qu'on ait pu le lire et le ressentir comme ça.

      · Il y a presque 9 ans ·
      Avat

      hel

    • On se comprends n'Est-ce pas? La sensibilité est palpable parfois.

      · Il y a presque 9 ans ·
      D9c7802e0eae80da795440eabd05ae17

      lyselotte

    • Il me semble, c'est en tout cas ce que je me suis dis

      · Il y a presque 9 ans ·
      Avat

      hel

  • Terriblement émouvant ! Qui ne garde pas au fond de son armoire, si ce n'est un ciré, mais un gilet tout imprégné d'une mémoire ...c'est mon cas, et tant que je serais là, personne ne le lavera !
    Votre texte m'a remué...un peu comme cette machine à laver...

    · Il y a presque 9 ans ·
    Louve blanche

    Louve

    • Merci Martine, bah pour tout dire je suis plutôt contente que ça puisse remuer, même très, je voulais que ça puisse se ressentir je crois entre autres choses, mais je ne pensais pas que ça pouvait marcher comme ça.

      · Il y a presque 9 ans ·
      Avat

      hel

  • vous devriez être célèbre avec une écriture pareille. Mais vous l'êtes peut-être. Quand on écrit ainsi peut-on avoir un autre métier?

    · Il y a presque 9 ans ·
    Bbjeune021redimensionne

    elisabetha

    • Oh c'est gentil !
      Et pas du tout :) D'abord ça me ferait plus peur qu'autre chose, les grosses lumières, et ça me fait pas rêver, et puis moi je n'écris que des petits bouts de rien, quand y en qui savent bâtir grand avec du souffle, un jour peut-être...

      · Il y a presque 9 ans ·
      Avat

      hel

    • Je rajoute que ça me fait particulièrement plaisir sur ce bout là, y'en avait un autre qui allait avec et j'étais pas certaine du tout, mais j'ai cette histoire vraiment dans le cœur, alors ça m'encourage à peut-être la pousser, même si je n'ai aucune idée d'où, mais parfois deux petits mots comme ça, ça pousse de l'élan,

      · Il y a presque 9 ans ·
      Avat

      hel

    • Oui, continue à tisser! c'est beau !

      · Il y a presque 9 ans ·
      D9c7802e0eae80da795440eabd05ae17

      lyselotte

    • C'est tout simplement magnifique. A chaque fois que je prends un roman à la bibliothèque, c'est cela que je rêve de lire, et c'est très rare que je le trouve. Alors tu m'as offert un vrai et grand plaisir. Un instant de grâce même. La beauté de l'écriture m'apaise. Elle me permet d'oublier la laideur de la maladie.

      · Il y a presque 9 ans ·
      Bbjeune021redimensionne

      elisabetha

    • Merci à toutes les deux pour ces encouragements, ça m'a vraiment boosté, j'avais, ai cette histoire accrochée, mais ne pensant qu'elle ne me parlait qu'à moi, un peu mon caprice perso, je me retenais à ne l'écrire que par petits bouts, à me dire plus tard, garder ça comme récré, je pensais pas que cette écriture là puisse se faire ce chemin là à la lecture, j'ai envie d'écrire ses choses un peu perchées, un peu déguisées et bref je pourrais en dire beaucoup de choses mais juste merci.
      Elisabetha, dans le rayon belle écriture (mais pas juste belle, avec un regard et un lyrisme un peu grisant) si vous ne connaissez pas l'année dernière j'ai découvert René Frégni, beaucoup de sensualité, d'envolée, d'humanité aussi, j'ai trouvé, enfin une écriture qui emporte Il y a Elle danse dans le noir, La fiancée des corbeaux, et Sous la ville rouge, le reste je 'nai pas encore lu, mais ces trois là, c'était pour moi vraiment des bulles, j'en ai parlé à un ami qui lui a choisit l'été, et se sera mon prochain, là encore ça fait décoller parait-il. En ce moment je lis Jean-Michel Maulpoix, et c'est un bijou aussi, ça brasse dans le ventre.

      · Il y a presque 9 ans ·
      Avat

      hel

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