Les Tirailleurs sénégalais, Avant la cimaise

saxo

Comment le tableau fut reçu par celui qui l'avait commandé...

Scandaleux, c’est scandaleux ! Attendez ! Non mais attendez Braunstein, votre peintre déraisonne ! Vous croyez que c’est le moment de faire de la rébellion ? On ne lui a pas demandé la lune, tout de même, à votre rapin : peindre le front. C’est si dur que ça de représenter nos valeureux soldats en plein effort patriotique ? Et que s’est-il entêté à inventer, votre Vallotton ? Une scène orientaliste désuète transposée dans un camp de réfugiés. Enfin ! C’est irréaliste, cet exotisme de pacotille en plein hiver. Tout ce blanc, tous ces Noirs… Ça ne répond en rien à la commande initiale, et vous, vous n’avez pas su remplir votre mission. Braunstein, je ne vous félicite pas mon vieux. Ca risque même de vous coûter cher. Vous souriez ? Vous trouvez ça drôle, hein ? Cette toile est un affront pour nos Poilus morts pour la France ou pour ceux salement coincés dans les boyaux du Chemin des Dames. Et je ne parle même pas des milliers d’hommes qui, dans leur agonie sur nos brancards pleurent comme des marmousets leur mère. Non mais regardez-moi ça ! Votre Nabi n’a rien su brosser d’autre qu’une poignée de tirailleurs sénégalais au repos, lascifs. Le cul paresseusement calé dans la neige, voyez-les fumer en toute insouciance le tabac de l’armée française au soleil, pâle certes, mais au soleil tout de même.  Ils jouent même aux cartes, je parie ! Votre Vallotton a peint la neige comme si c’était le sable et les baraquements du camp, comme si c’étaient les cases du Dahomey. Rien qu’à les voir, ces Nègres, on les entend caresser dans leur sabir nos femmes : Toi vu femme blanche ? Toi priser tabac blond hi ! hi ! Braunstein ! C’est tout bonnement insupportable ! Mais qu’est-ce que vous fredonnez, Braunstein ? Quoi ! Cette chanson contestataire ? Leur chanson de Craonne ? Sortez immédiatement, Braunstein, vous êtes déclassé !

Signaler ce texte