L'étrange mojito d'Amnios
Christophe Paris
Le lavabo est rempli d'eau froide saturée de glaçons fraîchement évadés du congélateur. C'est dans cette banquise maison qu'Amnios avait plongé sa tête depuis déjà une bonne minute histoire d'optimiser sa phase de réveil. Les anniversaires ça se célèbre c'est certain, mais le lendemain c'est plutôt votre fête. À bout de souffle, l'esquimau d'un jour s'extirpe de sa Mini banquise dans un « Aaahh » mêlant douleur et soulagement.
Il est à la rame comme d'habitude avec un petit truc en plus, une présentation de son nouveau projet de com' devant tout le Directoire de sa boîte. Fatigué, un poil encore bourré mais bien stressé, c'est total paniiiiiiiiiique on board, le tout dans un boxon indescriptible. Rien n'était à sa place. Trouver sa chemise lui avait pris dix minutes, quatre pour les chaussettes, six pour la cravate et une seconde deux dixièmes pour le Smartphone, piétiné au saut du lit.
Coaltar, retard, costard dare dare.
Il squeeze le brossage de dents et passe à la douche française. Trois pulvérisations de parfum histoire de couvrir la misère d'une toilette sacrifiée par manque de temps et excès de flemme. Le voici maintenant presque habillé. Il repense à la tombe, pas la sienne mais à sa pote. Ainsi surnommée non pas à cause de ses mojitos de la mort, mais parce que seule fille sur terre à savoir garder un secret. « Ah la vache elle m'a bien eu la Nathaloche avec sa menthe qui pousse sur le balcon » pensait-il, signe d'un début de connexion neuronale. « Raaah saloperie de veste… ». Impossible de mettre la main sur son vêtement à manches, outil incontournable du bien-pensant, "Propre sur lui," qui vous enduit de respect et de crédibilité même si vous n'avez rien de tout ça en stock… Pourtant ça urgeait sévère, Chronos prenait de l'avance et Amnios un gros handicap. Agacé, il ouvre d'un geste brusque la porte de sa chambre. À peine entrebâillée, le voici qu'il reste figé bouche béante, se transformant l'espace d'un instant en arrêt sur image. « Oh putain » furent ses premiers mots accompagnés d'une fermeture immédiate de la pièce à dodo. Il était stupéfait, choqué, catapulté, atomisé, interloqué, terrifié, médusé. Tremblant comme un Parkinsonien sous caféine, des gouttes de sueurs froides en rivières noyaient son front. « J'pète les plombs, j'hallucine, saleté de mojitos » lança-t-il le souffle coupé comme après un marathon en pleine cordillère des Andes. Amnios s'interroge alors à haute voix sur son état physique et psychologique via une grosse parano sur un AVC potentiel. Le hic, c'est que les clés de l'appart et de la tuture sont in ze veste qui se cache dans la bedroom. Cruel dilemme. Rouvrir la porte, prendre ses jambes à son cou, appeler le SAMU ?
Non trop dangereux, on pourrait le prendre pour un fêlé du bocal et lui offrir une semaine de villégiature en hôpital psy. Prenant son courage à deux mains avec la trouille de perdre son job, Amnios ouvre sa porte d'un coup de pied rageur. Mais rien n'a changé, il est congelé d'effroi cette fois encore. Là, devant lui sur son lit il y a lui. Il se voit assis mais en jeune, vautré en train de retourner une K7 dans son Sony sport, cadeau de ses potes pour ses 20 ans. Persuadé qu'il s'agit d'une hallucination ou d'une crise de delirium qui de tremens devient très grosse, Amnios ne trouve rien de mieux à faire que s'adresser à sa cervelle en criant « Qui que vous soyez sortez de ma tête ». Son moi de vingt ans le fixe alors droit dans les mirettes en lui balançant « J'suis pas dans ta tête Duchemolle, tu vois pas que j'suis sur ton pieu non ? ». Stupéfaction d'Amnios, son jeune moi lui parle, lui répond, et le regarde avec l'insolence de son âge. Convaincu que tout cela n'est que le fruit de son imagination à l'intérieur de dedans sa tête, Amnios persiste et crie encore « Qui que vous soyez sortez de ma tête !!!! ». La réaction de son jeune lui ne se fit pas attendre. « Tu me vouvoies, t'es bigleux ou quoi, tu te reconnais pas là ? Oh lalalalala, le boulet j'y crois pas, va falloir que je mette le poing sur ton i ». Son soi de 20 piges, se lève droit comme la dite lettre et s'avance en direction du vieux soi qui tente de s'échapper par une porte devenue impossible à ouvrir.
C'est déjà trop tard. À peine s'en rend-il compte qu'une tarte façon super-héros lui écrase la joue droite en guise d'entrée. « Et là t'en penses quoi, tu doutes encore ou j'réitère ? » Balança-t-il en guise de plat de résistance.
La cerise sur le gâteau c'était amnios et sa joue rouge qui réalisait enfin que tout cela était bien réel, surtout la baffe. « Non merci sans façon. Mais qui êtes vous, d'où venez-vous, que voulez-vous ?.
- Uno, je suis toi. Va falloir te mettre ça dans le crâne ou t'es bon pour une deuxième tarte maison, deuzio je viens de ton lit, troizio j'ai des questions »
- C'est insensé ce que vous me dites là, c'est une blague vous êtes comédien ? Amnios reprenait ses esprits qui s'étaient perdus un peu de partout dans une matière grise encore imbibée d'alcool blanc. D'où un champ sémantique plus respectable. Son soi 2,5 fois plus jeune avec toute la spontanéité propre à cet âge réagit simplement par un deuxième service de tarte à la Batman. Seconde joue couleur cerise sur le gâteau pour son 2,5 fois plus vieux.
- Mais arrêtez ça tout de suite ou…
- T'appelle la police avec ton phone tout niqué ? ». Interloqué, l'Amnios tout ridé se demande comment ce p'tit con de lui est au courant.
- Cherche pas je ne suis pas venu sans quelques p'tits tours maison, le téléphone, la porte, j'peux même te soulever à la Dark Vador, mais ça j'ai droit qu'en cas d'urgence.
- Ah bravo pour le téléphone fit Amnios c'était celui de ma femme, de toute façon je l'ai assuré.
- Ouh lalala… assuré… répondit le djeune. Alors t'en es où ?
- Ben….je ne sais pas moi… euh…
- Mouais, c'est bien le problème, d'où ma présence. Dis donc il est où le beau gosse pimpant que je suis ? Parce que c'est plutôt pimpon qui vient à l'esprit quand on voit ta tronche.
- Chronos a fait son travail de sape voilà tout, et je me suis tué au travail. J'ai avancé sur le difficile sentier de la vie et je pense l'avoir réussi. J'ai une BMW à fenêtres fumées, une Rolex, une femme gonflée aux silicones et shootée au botox pour faire bien dans les soirées et puis mon compte en suisse que j'embrasse à chaque fois que je le consulte.
- Oh nooooon le looser, c'est moi ça ? J'ai l'impression de rêver.
- A priori, je rappelle que c'est moi qui ai l'impression de rêver
- Tes devenu cadre ? Tu bosses pas pour des pourris au moins ?
- Ah noooon, je suis chef de com' pour le nucléaire chez Areva.
- AREVA ! Le post ado manque de défaillir en apprenant la nouvelle, et dans un regain d'énergie lui file une troisième baffe, gratuite celle-là.
Juste parce qu'il a la haine.
- Mais mes idées, mes amours, mes révoltes qu'est-ce que t'en as fait ?
- J'ai cédé à la pensée unique et au formatage social, parce que c'était plus facile que de me les cailler dans les manifs comme tu le faisais voilà tout.
- Ah mais arrête de parler comme un vieux.
- En même temps c'est ce que tu es maintenant, renvoya old Amnios avec un ti coin de sourire caustique.
- Mais qu'est-ce qui m'es arrivé pour que je finisse en con pourri de chez pourri ?
- En fait je réalise que c'est l'amour qui m'a poussé dans cette voie.
-Tu rigoles, l'amour ça te fait déplacer les montagnes du petit doigt, ça te hisse vers les étoiles, ça te grandit. Toi c'est même pas que t'as rétrécit, tu t'es lyophilisé.
- Oh eh tu restes poli gamin s'il te plaît fait, preuve d'amour-propre quand tu te parles. Et puis oui c'est l'amour, enfin la perte d'amour dont tu t'es pas remis.
- Sympa, merci de rejeter la faute sur ma pomme, je vois que t'as pas fait mieux avec ta montgolfière de blondasse, donc pas la peine de la ramener.
- Dis donc c'est pas moi qui ai tout gâché, j'ai recollé les morceaux comme j'ai pu. C'est pourtant pas compliqué de se remettre d'une déception d'amour. Mais non môssieur est parti dans les limbes du romantisme noir. C'est bien beau ça mais tu nourris pas un homme avec de la mélancolie. J'en avais marre de bouffer des pâtes ketchup et jus de citron pour éviter le scorbut.
- C'est pas du collage c'est du patchwork ce que t'as fait de ma vie. D'accord t'étais un poil maigrichon mais libre. Regarde-toi tu passes ton temps à regarder ta montre, obnubilé par ton rencard. C'est mort je te dis oublie ton rendez-vous. Bon… pas brillant tout ça je sais pas ce que je vais en faire. Well… well…. well… La musique tu pratiques toujours ?
- Ah non c'est plus possible, pas le temps, beaucoup de taf, mon fric à gérer sur mon site de trading, non, terminé. Par contre j'en écoute toujours, seulement en voiture parce que ma femme supporte pas la musique.
- Oh la vache c'est incroyable que je m'entende dire ça… Mais tu te rends compte que t'es malheureux, que tout ce que tu as construit c'est vide de moi ?
- Maintenant oui ça devient assez limpide et puis tu vois je repense à toi et tes idées à la con, j'étais vivant plus que maintenant ou je passe mon temps à acheter des canapés et des vases avec ma femme. Toi qui ne regardais jamais la boîte à souffler les neurones, c'est vrai que je t'ai trahi moi qui passe des heures à compter les morts sur les chaînes d'infos. Désolé…
- Tu t'es oublié, vendu, trahi, comme beaucoup d'entre nous le font chaque matin après avoir dit au revoir à leurs progénitures. En ce sens je ne peux pas t'en vouloir même si je me croyais plus fort que ça. En revanche je pleure sur ce que tu m'as fait devenir. Je pensais que tu aurais pu résister un peu au grand mixer de la pensée unique qui nous nique, garder un peu de moi… Faire un boulot qui serve aux autres pas un taf qui les réduit à néant au moins… Chai pas quoi choisir il me reste 30 secondes… Qu'est-ce que je vais faire de toi ?
- Comment ça, qu'est ce que tu veux dire par là ?
- J'ai pas beaucoup de temps mais tu dois bien te dire que je ne suis pas ici pour rien. Au bilan des cinquante balais, la jeunesse de chacun rend visite à son vieux moi. De la dépend la suite de sa vie.
- Mais comment ?
- Disons qu'en fonction de l'avis de ta jeunesse ta vie peut s'allonger ou se réduire. C'est nous jeunesses qui décidons de nos futurs. En gros si on est déçu on réduit l'espérance de vie, éventuellement on complique avec des souffrances pour se venger si vraiment on est très fâché de notre vieux moi. Tu dois bien te douter que cette étrange conversation avec moi ne se déroule pas comme tu l'entends…
« Ça y est on l'a récupéré, le débit redevient normal, c'est bon il est stabilisé. Quand même quatre grammes et demi d'alcool dans les veines il aurait pu y passer à son âge. C'est abuser franchement, tu m'étonnes qu'on le retrouve à poil sur l'autoroute ».
« Il a même pas de caisse le mec, c'est dingue » lui balança son équipier.
Deux jours après, dégrisé mais bien blanc, Amnios disparu vidant comptes et coffres et parti se consacrer à la protection des oliviers millénaires à Juventuda en Espagne. Village où par une chance étrange il croisa son ancien amour, touriste d'un jour, qui finalement posa son cœur sur le sien, à l'ombre des oliviers, jusqu'à leurs dernières saisons.
Très bon ça : le bilan des 50 ans et les trahisons faites à l'enfant que l'on était. Ici tout est bien qui finit bien... Si tout le monde pouvait en dire autant...
· Il y a presque 10 ans ·sophiea
merci c'est gentil pour le passage et le com et l'abo maaaaaaaaaaaaaaarci bôcou :)
· Il y a presque 10 ans ·Christophe Paris
Ca m'a toujours hanté cette question-la. Au point qu'au final il y a des choix que je regrette maintenant... bref! tu l'as tres bien mis en scene, bravo!
· Il y a environ 10 ans ·jasy-santo
oh merci jasy-santo, je crois que quelques soient nos choix on en regrette toujours quelques uns pour ne pas en rater d'autres. thanks for reading !
· Il y a environ 10 ans ·Christophe Paris
c'est pas faux ce que tu dis!
· Il y a environ 10 ans ·jasy-santo
:-)
· Il y a environ 10 ans ·Christophe Paris
Ouf! Et bien tu vois moi je suis contente car je ne suis pas Amnios... (Entre nous l'amnios est le sac amniotique ;-))) c'est voulu????)) Je suis et resterai toujours comme celle qui était a 15 25 35 45 55 65 75 85 95 ans Et je vis comme si j'allais mourir demain...Avec mes convictions, mes envies, mes désirs, mes amours et mes erreurs... j'ai aimé ton texte, de l'humour certes mais aussi une certaine philosophie sur comment gérer sa vie en vrai ou en faux. Bravo! Il est a noter aussi que cela doit être amusant de se revoir jeune, belle ... quoique.... oups...J'ai aussi, quelquefois tout quitté pour tout recommencer ailleurs... Mais maintenant je suis plus calme... On vieillit, sa Majesté et moi... Quoique...Les côtes de l' atlantique... A suivre... kiss mon ami
· Il y a environ 10 ans ·vividecateri
merfi vivi que tu es fine lectrice toi , oui c'est voulu le prénom et suis content de voir que tu as perçu la sous couche de ce texte quel plaisir d'être lu par toi merci pour tes encouragements et tes coms si "accurate" énormes bises et merci pour la lecture, la note le cdc et tout et tout. ainormes bijes
· Il y a environ 10 ans ·Christophe Paris
Excellent. J'adore l'idée. Les trucs qu'ils se balancent dans la gueule. Comme quoi notre vie rêvée en tant qu'ado n'est pas - à presque 100% - celle qu'on vivra.. Génial.
· Il y a environ 10 ans ·dreamcatcher
Merci t'es gentille belle note et cdc chui gâté merci pour ton encouragement fait très plaisir :-)
· Il y a environ 10 ans ·Christophe Paris
J'croyais qu'on arrêtait les "Merci" ? :p
· Il y a environ 10 ans ·dreamcatcher
mdr tu perds pas le nord toi !
· Il y a environ 10 ans ·Christophe Paris
Jamais! ;)
· Il y a environ 10 ans ·dreamcatcher
:-) a peluche, kid time, douche time, food time je disparais till demain ainourmes bijes....
· Il y a environ 10 ans ·Christophe Paris
motivation time! ciao ciao
· Il y a environ 10 ans ·dreamcatcher