L'étrange pianiste de la Gare de l'Est
sigismond--tartampion
Sans presque remarquer la proximité du piano, dont elle jouait hier vers 8h30, j'attendais la mise à quai de mon train, les yeux alternativement baissés sur les pages d' « Austerlitz », le fascinant roman de W.G. Sebald, et levés en direction des non moins fascinants nouveaux panneaux d'affichage électroniques.
Très en avance sur l'horaire, lui tournant le dos de trois-quarts, je m'étais adossé à l'un des piliers soutenant la large voûte de verre, tandis qu'elle enfonçait, sur un rythme rébarbatif, les accords monotones d'une quelconque chanson de variété, mais à la différence des habituels braillards qui témoignent de l'intensité de leurs épanchements en bucheronnant l'ivoire, elle faisait cela très doucement.
Les sons se diluaient instantanément dans le grand hall, si bien qu'à deux mètres on n'y pensait déjà plus.
D'ailleurs personne ne se souciait d'elle et pour ma part je ne lui ai prêté que très peu d'attention, étonné seulement de ces longs gants de laine noire dont elle n'avait pas jugé utile de se déshabiller.
Le soir, à mon retour, pas moins de 11 heures plus tard, une fois libéré du flot banlieusard filtré par les portails automatiques, j'aperçus à nouveau les longs gants noirs qui flottaient à la surface des touches, et, scansion imperturbable, ces mêmes accords rébarbatifs - ou peut-être en était-ce d'autres ? - s'évaporant doucement, toujours à la limite de l'effacement, fondus dans la nébuleuse des bruits du monde enveloppant les gens pressés.
Comme j'en étais, je n'eus encore qu'un vague regard pour sa silhouette : l'absurde motricité citadine empêchant la curiosité de vivre davantage qu'une éphémère m'avait poussé sur le chemin qui, chaque jour, m'enfonce littéralement sous terre ; mais pourtant je ne pus stopper durant le trajet du métro l'idée un peu désagréable - et stupide - que l'inamovible pianiste ne révélait qu'une farce ratée ne voulant pas finir, une comédie sans objet faute de spectateurs, une ornementation postiche frauduleusement vissée sur une banquette, à la manière du joueur d'échec de Maelzel, le fameux automate décrit dans la nouvelle d'Edgar Poe.
Alors, le lendemain, qui est ce matin même, une impatience teintée d'appréhension me fait monter l'escalator puis obliquer vers les voies - pour vérifier ! – et, après le vif pincement au cœur que n'a pas manqué de produire la surprise espérée, je suis maintenant en train de la noter sur mon carnet :
« -Un manteau de laine vert foncé à gros carrés noirs boutonné jusqu'au col, massive enveloppe d'un corps tout à la fois rigide et affaissé »
« - Un grand sac à main en plastique rose, passé en bandoulière, presque transparent (où, une seconde, j'essaye absurdement de distinguer s'il contient des partitions) »
« - Un béret de laine chiné, posé de biais sur le haut du crâne, couvrant la pointe d'une oreille anormalement développée, une oreille à la M. Spoke»
« - Dissociée des tissus, comme aux jointures d'un patchwork, la peau d'un visage sans âge, au teint indéfinissable, grisâtre et cireux, les traits inexpressifs, aussi fastidieux que la musique, le nez long comme une larme de chandelle »
« - Un regard trouble, chassieux qui semble figé sur le mouvement des gants (par concentration ? hébétude ?) les fameux gants de laine trop longs, aplatis aux extrémités - ce pourquoi les doigts semblent flotter au dessus de l'instrument, et la sensation pénible que leurs dernières phalanges furent impitoyablement écrabouillées lors d'un accident affreux»
« - Dédaignée, elle ne se soucie ni des gens, ni du temps»
« Questions : Depuis quand moisit-elle ici ? L'avais-je auparavant négligée ? Est-ce un rituel qu'elle accomplit ? Y a-t-il un asile d'aliénés à proximité ? La maniaque qui s'installe ainsi dans un va-et vient permanent y cherche-t-elle, paradoxalement, sa fixité ?»
Ceci fait, légèrement engourdi, je fonds peu à peu dans les insipides accords, lesquels se déroulent, imperturbables, comme se déroulent, imperturbables, sauf en cas de grève ou de conditions climatiques inadaptées, la litanie des départ et des arrivées rythmant ce lieu depuis des lustres – 9h01 Meaux, 9h25 Strasbourg, 9h50 Francfort, 12h42 Metz, 13h30 Château-Thierry, 14h07 Stuttgart, 18h50 Reims, 19h13 Munich, 20h02 Provins, 22h10 Verdun… - avec son cortège de routines, de joies, de fatigues, de chagrins, d'espoirs, de retrouvailles, de mouchoirs agités et de larmes de crocodile, ainsi qu'en d'autres temps les départs au front, les adieux provisoires ou définitifs, et, aux heures les plus noires, pour notre plus grande douleur et notre plus grande honte, ces déportations vers l'est des juifs raflés par Vichy, enfants, parents, familles entières – je flotte dans ces accords qui se dissolvent doucement et inexorablement comme nous finirons tous par nous dissoudre doucement et inexorablement dans le temps et les mémoires.
La folle aux phalanges écrasées ânonne un refrain populaire dans le brouhaha d'une gare, plus que jamais le monde semble impossible à comprendre, aussi faut-il modestement me contenter de l'habiter.
A côté de l'instrument, une borne SNCF placée pour l'occasion indique : « Aimez-vous l'opération pianos en gares ? Si oui, dites-nous pourquoi. »
Ce que je fais.
Les pianos lib´ dans les gares, je ne sais pas qui a eu cette idée mais c'est magique! Vraiment !
· Il y a plus de 10 ans ·pS . D'ailleurs si un gars de la Mairie de Paris voit cette annonce j'ai un piano droit Pleyel année 1899 a donner, parfait état et bien accordé...vous pouvez m'appeler au 06 22892346 pierre/ Merci!
pierre-m
Je l'ai écoutée aussi, Gare de l'Est, dimanche 30 mars, entre 18h00 et 19h45. mais je n'ai pas remarqué son oreille de Mr Spok ...
· Il y a plus de 10 ans ·akhesa
J'aime énormément, ton texte nous happe par son ambiance, son style, par cette mystérieuse pianiste dont on considère sa présence comme quelque chose de mystérieux etc., et puis la chute, irrésistible, ça casse tout le mystère mais c'est là son intérêt : le contraste avec le reste du texte.
· Il y a plus de 10 ans ·CDC pour moi.
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Pas eu le temps de réagir tout à l'heure mais j'aime beaucoup cette atmosphère qui nous aspiré et nous emmène où tu veux, comme tu veux
· Il y a plus de 10 ans ·CDC bien sur
reverrance
CDC ??? merci de m'initier !!!
· Il y a presque 7 ans ·anna-c
Un coup de coeur :)))
· Il y a presque 7 ans ·reverrance
Sur une impasse Gué,tot,Gué,ta,Gare,houu,Vive Gene Vin,Cent,suave Grognard,,Blue Jean BOP,,aux stères,éé,O,Nappe,O,nappe,éé,a,sied,O,ZinG,pat,inn,mat,inn,d Eau,s,terre,Litz,l encre essieu surement un tantinet indigo,Turbigo,,Fandango,,loco,démo,choc,co,pas,vot,pavé sans aucune apologie,d édit herbe,YEAHHH,Vive l alchimie tantrique rigole pat,mouille,d anarchie verbe,a,thym,meuHHH,d échine cil,O,confins sémaphore vasque rotonde d écritoire,voute,paume,O,plante,air,prisme pas pied Gu,li,vert,prime,vers,Wolttt,air,ettt wesh wesh,Rab,Lettt,sur le fronton dé table,O,carte,table,carquois tissé gibecière,redingote,et passe un ban tout Saint Anne,a la botte spartiate,d une gargote d inox,buis,son,au socle FA,DO,Tango Java,pixel Javel,li,Tsé,Tsé,en cri,éé,jetée,Viva,lettt Ev,d,Elle,w,ACE,.
· Il y a plus de 10 ans ·Fil,Hip,Oohhh, 18 Rockin Cher
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· Il y a plus de 10 ans ·Fil,Hip,Oohhh, 18 Rockin Cher