L'hôpital de l'absurde

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Le docteur Watching parcourait l'allée immaculée et silencieuse, jetant un bref coup d'œil à chacun de ses patients. Il était fier de son service, toujours empli et pourtant si calme. Le directeur était passé la veille pour le féliciter de tenir ce service où aucune mort n'avait été à déplorer depuis son ouverture. Certains patients avaient pourtant disparu dans des circonstances qui ressemblaient à celles d'un suicide mais l'hôpital avait toujours réussi à s'en tirer sans être pointé du doigt.

Le médecin observait d'ailleurs en ce moment même l'un de ses cas les plus préoccupants. La psychothérapie n'avait eu aucun effet sur lui (comme sur, hélas, bon nombre de ses patients) et les traitements médicamenteux n'avaient guère eu plus de succès. Lorsqu'il était passé aux électrochocs il avait enfin pu observer une amélioration, mais quelques jours après le sujet avait rechuté brutalement. L'équipe médicale ne relâchait pas ses efforts mais conservait peu d'espoir. Alors qu'il parcourait le dossier du patient dans l'espoir d'en tirer quelque résultat positif le médecin fut interpellé par une infirmière.


"Docteur, la brigade vient d'emmener un nouveau cas pris en flagrant délit de curiosité !

- Bien, lancez la procédure habituelle pendant que je fais le point avec Monsieur Smith."


Le docteur quitta le chevet de son malade en soupirant, tentant de se réconforter en se disant que cela faisait partie du métier : on ne pouvait pas sauver tout le monde. Il avait fait ce qu'il avait pu, la nature, le destin ou Dieu ferait le reste. Il rejoint son bureau où une autre blouse blanche l'attendait en compagnie d'un patient qui avait quitté le service la semaine précédente.


"Alors Monsieur Smith, dites-moi, comment s'est passée cette semaine ?

- Assez déprimante à vrai dire Docteur. J'ai l'impression d'avoir perdu goût à tout... je ne fais que me lever, manger, aller au travail, manger à nouveau, dormir. Je n'ai plus d'activités en dehors du travail et mes amis se plaignent de mon manque d'intérêt, si bien que je ne les vois plus.

- Oui, ces effets sont souvent observés, mais je suis sûr qu'une fois que vous y serez accoutumé vous irez beaucoup mieux ! La curiosité nous fait faire un tas de choses dont nous pourrions tout à fait nous passer. Vous verrez, vous gagnerez un temps fou.

- Le problème c'est que je ne sais pas comment occuper ce temps gagné...

- Profitez-en pour faire des choses utiles ! Travaillez davantage par exemple, vous gagnerez plus d'argent et pourrez vivre votre vie comme vous l'entendez.

- Mais si je n'ai plus envie de rien, comment dépenserai-je cet argent ?

- Écoutez Monsieur Smith, c'est normal d'être un peu dérouté, mais vous vous y ferez. Une vie sans curiosité est une vie meilleure, je vous l'assure.

- Mais vous Docteur, qu'est-ce qui vous pousse à chercher ces traitements ? À faire tant de recherches sur la curiosité et voir comment les gens se comportent sans ? N'est-ce pas précisément ce que vous cherchez à éliminer qui vous incite à le faire ?"

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