Liberée, délivrée...

embey

Les basses venant de la grande salle raisonnaient devant le bâtiment, un son lourd et lancinant, échantillon étouffé de ce qui   attendait à l'intérieur.

Dehors la rue humide abritait quelques hommes avachis contre les façades ternes des bâtiments alentours, un nuage de fumée dense autour d'eux, certains semblaient conscients, d'autres un peu moins, luttant contre l'apesanteur et priant leur estomac de les délivrer du tour de manège géant qu'il faisaient.

À peine la porte passée le sas se referme derrière nous, 3 personnes sont entrées, je suis venue seule, ce soir, seule avec ma solitude et mon envie. À l'intérieur le bruit, les flashs, les stroboscopes qui fusillent les silhouettes en transes. Une danse presque macabre de corps enlisés dans la noirceur de l'atmosphère. Le son assourdissant me percute l'être et me déstabilise pour mieux me faire décoller de ma réalité et rejoindre la marée humaine amassée en contre bas. Je me laisse doucement emporter, la vague m'attire et me chavire, la chaleur euphorisante de ces dédales de bras et de têtes entremêlées m'entoure, j'ai chaud à mon tour.

Partout des yeux mis clos, lèvres entrouvertes, partout le chaos des consciences, la crasse des âmes à l'état pur, sans filtre salvateur. J'aime ça. Les duos improvisés s'affichent, les mains au creux des reins, les hanches qui se balancent, sur cuisses et entrejambes, les langues langoureuses, les hormones sexuelles déversées par litre inondent le club d'une ambiance décadente. La tension monte, mes yeux s'affutent, ma solitude s'endort et mon envie se réveille...

Je scrute la foule, tous ces visages informes balayés de lumière éphémère, devant moi les proies potentielles d'une envie qui se délecte à l'avance de ce qui s'offre à elle. Les clones de la mode défilent, les apparats sont au beau fixe, le noir domine, le noir confond, le noir dans leurs yeux et dans leurs coeurs, et au milieu seule elle se tient.

Elle et son regard.

Elle me fixait depuis quelque temps déjà, je sentais le poids de son envie sur ma nuque. Je la reconnais comme elle me reconnait, chasseuse experte, louve dans le troupeau, même regard aiguisé, dans ses yeux je sais où la traque se finira.

Les secondes s'écoulent au sein de cette masse vivante et aucune ne daigne lâcher l'autre, la faiblesse se paiera, mais je n'en suis pas, pas cette fois non. Les corps mouvants me bousculent comme j'avance, vers l'inconnu, vers le sombre qui déguise, tunnel obscure à sens unique. Sous mes pieds le sol collant, sale de leurs ivresses passées présentes et à venir, je la vois disparaitre vers le couloir, me jetant un dernier regard défiant mon envie et renvoyant les dernières bribes de conscience de ma solitude au feu. Je me fraie alors un chemin dans cette jungle hostile pour rejoindre les traces du mystère échappé. Les instincts refont surface après ces années de sommeil, un état grisant et sauvage s'empare de moi quand j'aperçois son ombre qui descend les escaliers menant aux backrooms...

Alors que j'arrive dans la pièce aveugle, dont seul le panneau issue de secours luit dans la pénombre, la chasseuse en embuscade fond sur moi dans un élan puissant et me projette sur le premier mur derrière mon dos. Je peux voir devant moi les traits de ce visage et l'éclats dans ses yeux félins. L'atmosphère est lourde des odeurs et des sons, gémissements en série, phéromones de désir. Les personnes qui sont là sont libres, et libérées, la liberté me tend les bras, la liberté m'aguiche, me tente. Elle est là son corps contre le mien sa cuisse contre mon sexe. Elle s'empare de moi, se sert de moi et j'acquiesce, ce soir je veux être libre, libre de laisser mon être hurler au plaisir éphémère de ces mains inconnues. Ma liberté je te veux ici et maintenant, prend moi! Je l'embrasse à pleine bouche, ballet sensuel de nos langues extatiques, mon corps tremble, ondule, se tord et se tend. Je me livre à ses gestes, je m'abandonne à ses jeux, jouons encore toi, la liberté, nos envies et moi, je ne veux que ça. Les flashs s'enchainent sous mes yeux, les beats du son électro m'enchainent et grondent, la transe s'installe plus que jamais, sa main m'agrippant les cheveux, la mienne dans son jean, son souffle court et haletant, elle qui descend contre mon ventre, ma tête qui se révulse en expirant puis arrêt sur image. Elle contre moi, nos regards qui se fondent l'un dans l'autre, remplis de sens mais silencieux, elle m'embrasse et disparait, me laissant un dernier goût d'elle avant la fin.

Là dans le noir je reste encore, inerte, figée, ma liberté, elle, est restée, ma solitude est revenue, et mon envie a disparu.

  • Un bijou ce texte!

    · Il y a environ 4 ans ·
    Fb img 1586286969267

    erronicacult

  • Plus on est libre, et moins on a d'envies. Le désir les remplace. Le désir, parce que c'est quand l'envie, inassouvie, s'inscrit dans le temps et met en jeu la volonté qu'on fait des choix. Qu'on fait oeuvre de soi-même.
    M'enfin, de temps à autres, le lâcher prise fait du bien. C'est comme un nettoyage à grande eau, et on en ressort neufs. De temps à autres. Merci. Belle écriture.

    · Il y a environ 8 ans ·
    Vie1

    thib

    • Merci de votre commentaire, heureuse que ça vous ait plut ;-)

      · Il y a environ 8 ans ·
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      embey

  • Ça biche dans la boîte.

    · Il y a environ 8 ans ·
    Profil fbk

    Cé Bé

  • Beau récit... qui tient en haleine... la chute ( à mon avis trop rapide ), laisse sur sa faim... mais c'est peut-être l'écho de ce manque ?

    · Il y a environ 9 ans ·
    Tulip  avr  21  03

    rechab

    • Peut être parce qu'en soi c'est un peu le reflet de ce qui s'y passe, on se fait une envie, une idée fantasmagorique de quelque chose et puis ça se passe, et puis rien, juste une chute vertigineuse vers le néant et le retour à sa solitude.
      En soi l'acte en lui même n'avait pas mon attention sur ce texte, juste l'investissement et l'accomplissement d'un désir de liberté

      · Il y a environ 9 ans ·
      Img 6998

      embey

    • Oui, en fait, cet embrasement, est l'apogée d'une envie qu'on se construit... comme être amoureux de l'idée de l'amour .. mais effectivement cet embrasement est par définition éphémère, quand on a tout brûlé... et la chute est inéluctable.

      · Il y a presque 9 ans ·
      Tulip  avr  21  03

      rechab

  • Bravo très bien écrit ! On sent presque du vécu, ou alors, peut être un fantasme ! Conception intéressante de la liberté. Le belle inconnue est t- elle partie par peur de perdre sa liberté ?

    · Il y a environ 9 ans ·
    Gvs8z0iq

    Sandrine Darcos

    • Merci! Du fantasme oui, la belle inconnue a emporté sa liberté avec elle, sa liberté de choisir de recommencer à nouveau..

      · Il y a environ 9 ans ·
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      embey

    • Merci pour ton honnêteté ! Je ne suis pas sûre que cette belle inconnue soit si libre que çà ! C'est ma façon de voir les choses ! :))

      · Il y a environ 9 ans ·
      Gvs8z0iq

      Sandrine Darcos

    • Tellement vrai...

      · Il y a environ 9 ans ·
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      embey

    • Et oui, la liberté est un concept tellement subjectif ! Elle est synonyme de bonheur ! Et dans votre histoire çà ne respirait pas la joie ! ;))

      · Il y a environ 9 ans ·
      Gvs8z0iq

      Sandrine Darcos

    • C'est là le paradoxe de la liberté de choix, la liberté éphémère des actes qui enchainent un peu plus une fois exécutés, mais nous avons choisi nous avons été libre et conscients de choisi le sale, la luxure, le sexe pour cette fois, le choix de souffrir est une liberté aussi

      · Il y a environ 9 ans ·
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      embey

    • Qui enchaînent un peu beaucoup ! je pense que la liberté s'arrête lorsqu'il y a obsession des pensées ! Vu l'histoire que vous avez écrite, le lieu est propice aux débordements en tous genres. Enfin, c'est ce que j'ai ressenti !

      · Il y a environ 9 ans ·
      Gvs8z0iq

      Sandrine Darcos

  • la liberté dans la décadence , franchir la porte et tomber soudain dans un monde désinhibé ou la tête accepte tout jusqu'aux jouissances futures foulées de pieds qui ne resteront plus innocents de plaisirs pris

    · Il y a environ 9 ans ·
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    Pawel Reklewski

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