Ma femme.

Enfin, oui, je l'aime… disons, à ma façon. Bon, disons que je la respecte. C'est la seule personne que j'ai connue dans ma vie qui soit aussi franche et sincère et je ne dis pas cela, parque c'est la seule femme qui m'ait laissé l'approcher sans fuir en criant : « au viol ! Au viol ! Au viol ! » (Trois fois, une honorable performance). Une belle personne, vous dis-je, droite dans ses bottes, vous dis-je, droite un peu comme si elle avait un balai dans le cul. Donc, ma femme je l'aime, disons que je l'aimais pour être précis avec la correspondance des temps, car elle est morte de ce matin. Oui ! Je suis fraîchement veuf, je reviens, à peine de ses funérailles. Certes, cela a été vite expédié, morte à l'aube, cramée au couchant, mais bon, on n'allait pas y passer la semaine, non plus et comme un malheur n'arrive jamais seul, je me suis mis une écharde dans un dernier geste de tendresse sur sa caisse à savon avant qu'elle ne rentre dans l'incinérateur.

Vous allez penser que je suis peu affecté par son décès, c'est faux ! Je suis chagriné de sa disparition et le fait que ce soit moi qui l'ai tuée ne change rien à l'affaire. C'était un simple accident domestique avec un fusil de chasse chargé à la chevrotine. En effet, je l'avais prise pour un sanglier, cela peut arriver à tout le monde. Tout le monde, peut-être pas, si vous avez une femme normale, mais avec la mienne, la méprise était possible. Je ne m'en suis seulement aperçu qu'en vérifiant si c'était un mâle pour le castrer, à cause du goût d'urine dans la viande.

En fait cette habitude n'a pas d'explication scientifique, je pense que ce n'est qu'un rituel transmis de chasseur en chasseur. J'en ai même connu un qui essayait de les castrer avant de les avoir tués, il a arrêté cette pratique originale, sans nous donner plus amples informations, je pense qu'il avait remarqué que cela ne changeait pas le goût de la viande, à moins que comme il avait perdu un bras par cette prévention culinaire, il préféra manger de la viande à l'urine, par la suite.

Enfin, je m'aperçus que ma belle prise de chasse n'était que ma femme défunte. Merde, pour une fois que je la tirais juste, elle n'en aura rien su. Je n'allais quand même pas la faire empailler pour l'accrocher au mur du salon en trophée, donc j'ai fait comme tout le monde, hop l'incinérateur municipal !

Cent cinquante kilos de bonne viande perdus, c'est bête, mais je ne mange pas de ce pain-là.