Magie de Noël

veroniquethery

   C'est noël ! Il parait que le monde devient meilleur à cette période. Tout s'illumine : les regards, les sapins, les vitrines. Moi, j'ai le blues. Comme d'habitude, je vais avoir droit à un pull offert par ma grand-mère. Un truc tellement chaud que même un Inuit crèverait de sueur ; alors, ici avec les 14 degrés affichés par décembre, c'est l'enfer. Comme chaque année, je le jetterai au fond de l'armoire. Mais, comme je l'aime bien Mamie, avant, je ferai un ou deux selfies que je lui montrerai. Je ne voudrais pas qu'elle se vexe. Je tiens à avoir quelques billets pour mes étrennes, quand j'irai lui souhaiter une belle et heureuse année. Son année va pas être terrible, en fait. Parce qu'elle ne le sait pas encore ; mais, en janvier, elle part en maison de retraite. Alors, après, faudra plus compter sur elle pour me filer un billet. J'en ai besoin pour me payer un Bluephone. Un neuf. Le mien est out. Il a deux ans.

   Ma mère me dit que c'est du gâchis. De son temps, bla bla bla ! Je m'en tape de son temps. C'est pas le mien ! Elle me fait rire, ma mère. Elle répète sans arrêt que Mamie radote. Mais, elle, elle fait quoi ? Ton bulletin, t'as vu tes notes ? Et, ton orientation, t'y penses ? On va faire quoi en fin d'année, si t'as pas ton brevet ? Ben, j'sais pas. Je ferai comme toi, petite Maman. Je vivrais avec le RSA. Et avec un lourd dingue qui me logera contre quelques petites gâteries sur le canapé. Et, je fermerai les yeux, quand il ira faire une petite visite à ma fille au milieu de la nuit, histoire de vérifier si elle ne fait pas de cauchemars.

   Pfff ! Elle me gonfle tellement que je préfère aller faire un tour. Vais voir mon géniteur, qui vit avec sa nouvelle meuf et ses trois lardons. Avec un peu de chance, il me filera un peu de tune.

Mettre un coup de pied dans la porte du garage, histoire de faire aboyer le labrador des voisins. Fumer une cigarette pour faire chier mon père, parce qu'il ne supporte plus l'odeur de la clope depuis qu'il a arrêté. C'est marrant d'ailleurs. Il n'en avait rien à battre, lui, de mes poumons, quand j'étais gosse. Alors, pourquoi, je ne pourrais pas les niquer moi-même !

   Merde ! Le clodo ! Toujours à traîner dans le coin. Une calamité celui-là, niveau odeurs. Aspirer la fumée avant de le frôler. C'est ça ou crever tellement il schlingue. Bien la preuve que les études, ça sert à rien ! Lui, avant de devenir alcoolo, il paraît qu'il bossait dans…

- Dis !

   Putain ! Il me parle, le golio ! T'as vu ?

- Eh ! T'aurais pas…

- Non ! J'ai pas un euro à te filer. J'suis une prolo, moi !

   Prolo ! J'sais pas trop ce que ça veut dire. J'ai entendu mon père dire ça, un jour. Et, là, c'est revenu. D'un coup. Je peux pas m'empêcher de rigoler. L'autre me regarde par en-dessous. Normal, il est rétalé sur le sol, comme un étron.

- T'as pas une clope ?

   Je regarde le mec droit dans les yeux. C'est marrant. Avant, il m'écœurait. Mais, là, j'éprouve une certaine admiration pour lui. Une merde qui parle, c'est quand même pas tous les jours qu'on voit ça. Ou alors, c'est dû à la période. La magie de noël qui agit. Voilà que même moi, je compatis. Je lui tends ma cigarette. Le barbu essaye de ses gros doigts de la saisir. Je souris gentiment : un peu de chaleur humaine, ça fait du bien.

- Aïe ! Salope !

   Ben quoi, il avait froid le pauvre clochard. Je lui ai juste réchauffé la main. Une petite brûlure de cigarette, ça vaut pas une bonne flambée dans la cheminée, mais c'est un début, non ? Et puis, mon vieux, je te rends service : la cigarette, c'est mauvais pour tes poumons.

   Allez ! Je file ! Mais, je suis contente. C'est vrai que c'est bien noël ! Même moi, je deviens sympa ! 

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